Mercredi 14 novembre 2192, 18 h 30
Putain, mec.
C'est tout ce que j'ai à te dire, là. Putain. J'aimerais te l'enfoncer dans les yeux, dans les oreilles. Putain. L'incruster dans ton corps, dans ton esprit. Putain. Putain, putain, putain. Te le répéter jusqu'à ce que tu l'intègres. Putain, mais qu'est-ce que tu es con.
J'étais un gosse quand tu es né. Jusqu'à mes neuf ans, j'ai été privé de ma mère, par ta faute. Et quand elle est rentrée de prison après ces cinq années, bien sûr, c'est vers toi qu'elle est venue, c'est toi qu'elle a serré dans ses bras. Maman ne voyait que toi, toi pour qui elle avait subi la prison. Tu aurais vu la façon dont papa te regardait... Et Annely... Évidemment qu'ils ont été furieux, idiot. Mais ça tu peux pas le comprendre, hein ? Et moi, j'ai fermé ma gueule. Tu m'avais volé ma mère et mon innocence, mais même si j'étais un gosse j'ai compris que t'y étais pour rien et j'ai pris sur moi. Je me suis pas mis à gémir comme une larve stupide. Et j'avais neuf ans, pas vingt.
Arrête de dire que t'es seul au monde, que personne te comprend, que tout le monde veut ta mort. C'est faux, putain ! Tu crois que t'es le seul dans ton cas ? Les petits cons de ton genre qui pensent que personne n'est assez bien pour eux, je t'en trouve des dizaines, des centaines ! T'es ni plus unique ni plus seul que les autres.
Mais continue à pleurer sur ton sort, allez. Tu sais, j'en connais des « Erreurs », la moitié de mes amis en sont, et je peux te dire que, si tu t'obstines, demain soir tu pleureras pour de vrai.
Tu te souviens de Juliette Fécamp ? Elle était dans ma classe en Terminale. Tu l'as à peine vue, je ramène pas mes potes « Erreurs » à la maison, ça les mettrait mal à l'aise. Juliette, elle te ressemblait. Introvertie, presque hypersensible, et une tendance beaucoup trop forte à tout tourner en tragédie. Elle était peut-être un peu moins centrée sur elle-même que toi, cela dit.
(Le temps qu'il m'a fallu pour me rapprocher d'elle... Ton Olivia m'a l'air plus accessible, mais fais gaffe, les ruisseaux, ça va pas toujours vite au moment où on s'y attend. Je parle d'expérience, mais c'est pas le sujet.)
Juliette, elle a tué un vieux. Soixante-neuf ans, la limite. Elle trouvait ça moins condamnable. Bah elle s'en est jamais remise. Elle pleurait pas, elle hurlait pas, mais je te jure qu'il y avait plus rien en elle. Une poupée, un robot. Comme si elle s'était tuée elle-même.
C'est ça que tu veux ? Ce vide ?
Je suis con, moi. Je croyais que tu voulais exister.
Mais qu'est-ce que j'en sais ? Qu'est-ce qu'il en sait ce bouffon de Samir, incapable de comprendre la personne supérieurement complexe que tu es ?
Si tu savais comme je te déteste parfois. Rien n'est simple avec toi. Faut toujours que tu t'inventes ton petit mélodrame, hein ?
Putain...
Me fais pas dire ce que j'ai pas dit. Je te déteste parfois, hein, parfois. Pas toujours. En temps normal, t'es même un frère plutôt agréable. Assez intelligent (je parle pas d'intelligence émotionnelle, là tu frises le zéro absolu), drôle et facile à vivre. Si t'avais pas cette envie permanente de vivre une tragédie, tu serais un mec bien.
Je blague. Te sers pas de ça pour te placer en pauvre victime innocente, une fois de plus.
J'ai décidé d'écrire les mots comme ils me viennent. Sans filtrer ou presque. Alors désolé si ça te semble incohérent ou violent, fallait que ça sorte. Je te veux pas de mal. Je suis ton frère. Simplement, après avoir passé dix minutes au moins à fixer tes feuilles comme un con, fallait que je me lance. (D'ailleurs, en parlant de feuilles, celle-ci est à moi. Prise dans ma réserve personnelle. Vu tout ce que je te balance à la gueule, j'allais pas en plus te piquer une feuille, si ?)

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Nos erreurs
Kısa HikayeJe suis une Erreur. Je n'avais pas le droit de vivre. Demain, je devrai gagner ce droit. Je devrai tuer. 2192. L'humanité ayant trop souffert de la surpopulation pour laisser ce fléau perdurer, le Traité de Genève régule les naissances depuis plus d...