Fantine
— Ah ? Et...?
J'arrive à aligner deux syllabes, formidable.
— Toi, chômage, voyage, changer d'air, stop-à-la-déprime, et hop !
On est passé au mode télégramme. Une grande malade, je vous le dis...
La brume présente dans mon cerveau s'épaissit. C'est possible ça ?
— J'ai rien compris. T'as bu, non ?
Je pense que la question est légitime.
— Katell m'a dit que tu tournais en rond à Paris et que tu n'avais pas de boulot. Et elle se fait du mouron pour toi.
Elle élude. Je comprends.
— Ah, mais je vais très bien. Et je ne suis pas au chômage, continué-je. Sache qu'un artiste n'est jamais au chômage, il est en panne d'inspiration, c'est différent. Et je ne déprime pas, je sors presque tous les soirs...
— Pour aller grapher dans le métro et les catacombes... mouais, me coupe t-elle.
— ...et je travaille de temps en temps chez Charlie, tu sais, le bar dans le quartier du marais, le vendredi et le samedi..., enchéris-je.
— À servir des ivrognes et des étudiants aux hormones en folie, mmmh..., elle m'interrompt encore.
— Et j'ai commencé une toile immeeeeense qui...
— Va finir sur les murs de tes chiottes !
— Rhoooo, mais, euh ! pesté-je.
— Quoi ? Ce n'est pas vrai ? Allez, je sais que tu es une grande artiste en devenir mais parfois, il faut changer d'air. Tu sais ? Pour se renouveler, pour trouver de nouvelles idées quoi, argumente t-elle.
C'est vrai que depuis ma sortie des Beaux-Arts, dont Katell et moi sommes diplômées, je stagne un peu. Pendant mes études, certains de mes projets se sont bien vendus. Quelques expositions ont permis de me faire connaître et le réseau a fait le reste. Grâce à ça, j'ai de l'argent de côté. Quand certains directeurs de galeries d'art m'ont contactée, j'ai été flattée. Et depuis, rien. Je n'ai pas donné suite. Mon esprit s'est vidé. Le syndrome de la toile blanche. La plus grande phobie de tous les artistes.
J'ai alors voulu prendre mon indépendance. Maman me surprotège comme une louve et parfois j'étouffe. Elle a du mal à couper le cordon avec son « ange » de presque vingt-cinq ans. Elle m'appelle d'ailleurs tous les jours, entre deux patients ou deux opérations. Je suis surveillée comme du lait sur le feu. Je sais que je suis ingrate et que ça fait un peu petite-fille-gâtée-qui-fait-un-caprice-en-tapant-du-pied, mais j'ai eu envie de m'échapper et de prouver à mes parents que je pouvais m'en sortir. Seule. Oui bon, ils paient le loyer de mon appartement transformé en atelier de peintre dans le XIIe arrondissement, quand même. Mais, pour le reste, je me débrouille. Plus ou moins. Et surtout, je voulais retrouver l'inspiration.
Le souci est que je n'arrive pas plus à créer depuis que je suis partie de la maison qu'avant. Je ne sais pas pourquoi. C'est comme ça. Comme un fil qui s'est coupé. Un manque d'envie. Je ne fais plus qu'un peu de Street Art de temps en temps avec Kamel et Victor, des potes d'école.
— Ok, ok. Alooors ? C'est quoi le projet ?
— Tu m'écoutes attentivement là ? me demande t-elle.
— Oui, oui, vas-y, balance ! Je suis toute ouïe.
— Mon amie, Zoe, travaille chez J&J's à New-York. C'est un grand magasin, genre Les Galeries Lafayette, Le Printemps, tu vois le style ?
— Mmmoui. J'habite Paris depuis ma naissance je te rappelle quand même. Et ?
— Elle est au stand Chanel et elle m'a dit qu'ils cherchent des jeunes français pour les fêtes de Noël pour faire un peu plus « French touch », tu comprends ?
— Je vois, je vois bien même, mais qu'est-ce que je viens faire là-dedans ?
— Ben, tu pourrais postuler, en tant que vendeuse ou pour faire des emballages cadeaux, je ne sais pas moi. C'est toi qui vois. C'est juste pour la période des fêtes, Fantine, et ils prennent n'importe qui, du moment que ça parle français et anglais. En plus, New-York à Noël, c'est splendide, et super froid, et magnifique, et super froid, radote t-elle.
— Tu me vends du rêve là.
— Nan, je te vends un vent de fraîcheur, me répond-elle, taquine.
À suivre ...
VOUS LISEZ
Un Ange en Cadeau
RomanceLes anges se sont peut-être chargés de les réunir, mais leur passion promet d'être aussi chaotique que culottée... Fantine Qu'est-ce que je fiche à New-York déjà ? « Un vent de fraîcheur pour retrouver l'inspiration » qu'elle disait. Ouais, je t'en...