J'arrive à seize heures devant chez moi. Je m'habituerais presque à finir aussi tôt tous les jours. Au lycée, tout était très différent : en plus de mon bac scientifique, je cumulais plusieurs options. Cette année je ne me suis encore même pas inscrite au conservatoire. Par dépit et manque d'envie de voir la pitié dans les yeux de mes anciens camarades sans doute. Et puis, je me rends compte que je n'avais que peu de temps libre pour profiter de la vie. J'ai toujours voulu un quotidien cadré, chose qui m'était impossible lors de mon enfance avec une mère toujours sur la route. Mais, à présent, je comprends sa manière de fonctionner, le fait que la routine puisse la lasser. J'ai besoin d'un renouveau, d'envoyer tout valser. Mon « relooking » était la première étape. Me libérer des carcans de la musique classique la seconde.Après avoir posé ma moto au garage, je vois mon petit frère descendre du bus, accompagné d'une jolie rousse que je ne connais pas. La fille rit, pousse son fauteuil jusqu'à l'entrée, et il lui dit au revoir avec un sourire digne d'une couverture de magasines. Elle semble déçue mais lui fait un petit signe de la main et repars. Je sors de l'arrière de ma bécane puis lui pousse la porte d'entrée. Le garage se ferme automatiquement derrière moi.
—Alors, elle s'appelle comment celle-là ? le questionné-je.
—Pauline ! On est ensembles en sciences, elle est sympa.
Je pose mes bottes puis pars me faire chauffer du thé. Je n'en prévois pas pour Clovis car je sais que c'est une « boisson de vieux ». Petit ingrat. Cette fois, je ne peux m'empêcher d'être curieuse.
—Pourquoi tu ne les invites jamais à entrer ?
Ses yeux bleus se perdent dans le vague et il se frotte son début de barbe. Ses poils furent sujet à discorde, mon beau-père partant du principe qu'un homme digne de ce nom est toujours parfaitement rasé. Mais il a dû s'incliner suite aux remontrances d'Alban et ses fantaisies de mannequin débutant.
—Parce que je préfère réserver ma maison aux personnes dont je suis proche, comme mes amis du hockey. Mais pour le moment, mis à part Mina, aucune fille n'a atteint ce stade.
Mina est sa meilleure amie, qui est partie étudier dans une autre ville. Décidément, mon frère est un grand rêveur romantique. Bien différent de ses deux ainés. Depuis son coming out, qui n'a suscité aucune réaction particulière à la maison mais à entièrement secoué son lieu de travail, Alban enchaine les conquêtes d'un soir. Je me souviens encore de la réaction de ma mère lorsqu'il était rentré une nuit, effondré suite aux critiques homophobes de son patron. Bien qu'il ait tenté de l'en empêcher, elle était entrée de manière fracassante dans son agence de mannequinat, explosé littéralement quelques bureaux, effrayé toutes les secrétaires, et annoncer qu'elle portait plainte au nom de son enfant, encore mineur à l'époque, pour propos diffamatoires. Le patron était tellement terrifié en voyant à qui il avait à faire qu'il s'est excusé publiquement, et depuis plus personne n'a jamais moufté. Même s'il en parle peu, je sais que mon demi-frère lui est reconnaissant, car ce n'est pas sa mère biologique qui l'aurait soutenu ainsi. Celle-ci a simplement décidé qu'il s'agissait d'une passade et qu'il reviendrait un jour dans le droit chemin d'un héritier de grande famille.
Et de mon côté... avec un cœur encore cassé, je préfère me tenir loin de tous ces problèmes.
Je nettoie mécaniquement la cuisine en réfléchissant et c'est mon beau-père, un verre à la main, qui m'interrompt. Au début, je ne réagis pas, car il ne me parle pas de tâches ménagères. Puis je constate que Clovis est parti dans sa chambre, donc que c'est effectivement à moi qu'il parle.
—Asche, tu m'écoutes ? me questionne-t-il, blasé.
—Pardon, j'étais ailleurs.
Je pose mon chiffon et lui fait face afin de me concentrer. Je suis toujours trop absorbée par mes tâches quand je fais le ménage.
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Mission Cendrillon
Teen FictionAsche est une musicienne de génie. Violon, batterie, guitare, accordéon... rien ne lui résiste. Sauf l'école de ses rêves qui lui refuse son accès avec le pire prétexte possible : elle est une fille. Et, une fille, ça n'a rien à faire dans une grand...