Mission Cendrillon

19

Je patiente face au Hypersonic, la salle de métal la plus célèbre de notre ville. Mon cerveau tourbillonne comme une furie. Je n'ai pas été autant stressée depuis mon audition. Pourtant, les deux situations n'ont strictement rien à voir ...

—Salut demoiselle, tu attends quelqu'un ?

Je souris en reconnaissant la voix grave de mon ami et me tourne vers lui.

—Peut être bien. Pourquoi, tu voudrais me tenir compagnie ?

—J'en serais absolument ravi.

Il se penche vers moi et me prends la main. D'un coup j'ai du mal à réfléchir.

—On y va ? me questionne Lars.

Je me contente d'hocher la tête. Nous faisons la queue quelques instants puis entrons dans la salle. Nous nous dirigeons instinctivement vers le bar. Je sens qu'il m'épie.

—Tu sais que tu es toute rouge ?

—J'ai chaud, je rétorque. Puis ne fait pas genre que tu n'es pas tout rouge toi aussi.

Il rit et passe sa main libre dans ses cheveux cendrés. Je démêle mes doigts des siens lorsque je récupère la pinte que j'ai commandée et ressent comme une sensation de manque. Fichtre, je suis ridicule.

Nous nous avançons vers le centre de la salle. La première partie a commencé à jouer et la foule se masse vers l'avant. Ce sont des rockeurs plutôt calmes.

— Qui joue ce soir ? Je n'ai pas fait attention aux affiches, demandé-je.

Lars hausse un sourcil.

— Tu verras bien alors, tu n'avais qu'à regarder !

Je me contente de lever les yeux au ciel. Je finis ma bière, me laisse prendre dans la musique. La foule se fait compacte et je me retrouve collée contre Lars. Je manque de trébucher suite à un début de pogo mais il me rattrape. Il se cale alors dans mon dos puis me prends par la taille. Je me sens rougir de nouveau. Lars se penche vers mon oreille.

— Ca te plait ? chuchote-t-il dans un moment de calme.

— Carrément.

Et je ne suis pas certaine de parler de la musique. Le groupe actuel termine, et un de métal celtique lui succède. Je suis surprise.

— Je ne pensais pas que le celtique c'était ton style ! Je m'exclame.

— Je ne pensais pas que c'était le tien non plus, me réplique-t-il.

Nous posons nos verres dans un coin puis, sans nous lâcher, nous avançons vers l'avant de la scène. Pour une fois, je trouve le son parfaitement équilibré et je ne ressens pas le besoin de mettre mes bouchons.

Le joueur de cornemuse entonne une note unique, puissante, accompagné par le flutiste, puis par le batteur et la guitariste. Je me sens vibrer. Et je pense à une autre vie, si j'avais suivi une autre voie, où ce joueur de cornemuse, ç'aurait pu être moi.

— T'as l'air bien songeuse, me lance Lars.

— On ressent quoi sur scène ?

Je sais que ma question sort de nulle part. Pourtant, j'ai l'impression qu'elle le touche. Il me sert plus fort dans ses bras et rabat une de mes mèches derrière mon oreille.

— Tu sens chaque personne qui vibre au son de ta musique. Une puissance qu'ailleurs tu n'arrives même pas à imaginer : celle de transporter les gens. La peur et le trac aussi. Puis la gloire.

En cet instant, j'ai l'impression que quelque chose de fort nous relie.

— Moi aussi, j'ai envie de vivre tout ça.