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Nous arrivons une heure plus tard. Plus de larmes ni de rage dans mon corps. Je me sens vide. Je n'ai presque pas parlé du trajet, me contentant de répondre à Gonzague qui me parlait des nouvelles lubies de ses petites sœurs : Olivia veut devenir vétérinaire, et Tissia une fée en herbe.

Il s'arrête devant chez moi et mes pensées se perdent un instant devant cette grande bâtisse en bois. J'ai toujours du mal à me dire que cela fait six ans que nous vivons ici. Dans le quartier des « riches ».

— Tu veux que je vienne avec toi ? demande Gonzague.

Ses grands yeux bruns me fixent, inquiets. Je caresse sa joue couverte de barbe et sourit faiblement.

— Ca va aller. Ta famille t'attend. Je t'ai déjà monopolisé une grande partie de la journée...

— Okay. Au moindre problème...

— Je t'appelle, terminé-je.

Il me tire la langue puis je l'enlace maladroitement et sors. Il démarre en trombe après un dernier signe et je le regarde disparaitre au coin de la rue. Je m'avance, sac sur le dos et partitions froissées à la main.

Mon beau-père va surement encore râler devant mon manque flagrant d'envie de ressembler à une jeune fille de bonne famille. Seule ma mère comprendrait la raison de ce désastre.

Je travers le jardin dont l'herbe verte déborde et constate qu'il est plus que temps que je passe la tondeuse. Notre chat Slippy se roule avec plaisir dans la pelouse ce qui me fait grimacer d'avance. Je sens que la maison va encore se transformer en porcherie.

— Asche ? m'interpelle une voix sur la droite.

Surprise, je me retourne puis me fige quand je découvre mon interlocuteur.

— Simon, quel déplaisir.

Il soupire puis frotte sa barbe rousse. Malgré tout ce qu'il a pu me dire, j'ai envie de le prendre dans mes bras, qu'il m'embrasse, qu'il me murmure qu'il m'aime. Alors que j'ai très bien compris que tout est fini.

— Je pars demain. Je voulais te dire au revoir...

Je tremble, mes partitions toujours en main que je froisse un peu plus. Il les remarque et me sourit faiblement.

— Ca a été ton audition ?

— Non, je me contente de répondre laconiquement.

— Oh...

L'air désolé, il s'avance. Je le laisse me toucher le bras sans réagir. Je me retiens de toutes mes forces de ne pas l'enlacer. Chaque minute en face de lui me détruit un peu plus le cœur.

— Pourquoi tu es venu ? je murmure.

Ses yeux bleus me supplient de le pardonner. Il me prend dans ses bras, me caresse les cheveux, et je ne peux empêcher une larme de rouler sur ma joue.

— Tu sais que je t'aimerais toujours, chuchote-t-il.

— Moi aussi. Mais arrête ça. C'est trop dur.

Il me lâche et je constate que ses yeux aussi sont embués.

— C'est ta faute après tout, c'est pas moi qui part aux US, je lâche en riant jaune.

Il tremble. J'ai beau être heureuse qu'il accomplisse son rêve, qu'il parte en me laissant derrière me fait mal. Mais bon, une grande fac de droit l'a accepté, et je sais qu'il ne s'est jamais senti totalement à son aise en France, étant américain d'origine.

Je déglutis.

— Pardon. Je voulais pas être méchante. Enfin, voilà quoi.

— La vie est injuste.

Il me lance un dernier regard désespéré.

— On se reverra peut-être à mon retour.

— On verra. C'est long trois ans, je constate.

Il me prend la main.

— Au revoir.

— Au revoir, je conclus.

Il me lâche de nouveau et je le regarde partir. Comme un robot, j'ouvre la porte et grimpe directement dans ma chambre. Je ferme ma porte, m'écroule sur mon lit, passe mon casque sur mes oreilles et lance ma playlist spécial rage. Je divague en regardant les murs et le plafond violets, couverts de posters de groupes plus ou moins connus.

J'ai le cœur détruit. Entre le refus à l'école de mes rêves et revoir mon ancien copain qui m'a plaquée un mois plus tôt à cause de son départ, cette journée est vraiment une journée pourrie.

J'ai passé ce dernier mois au bord des larmes, aujourd'hui fut la goutte de trop. Je suis fatiguée d'être au bord des nerfs tout le temps. De me laisser marcher dessus sans rien dire, en bonne petite fille sage.

Le chanteur de Vengeurs, mon groupe de métal préféré hurle dans mes tympans.

Comment j'ai pu me laisser plomber à ce point ? J'ai toujours eu une ambition démesurée. J'ai toujours rêvé de gloire, et ça fait des années que je m'entraine pour y arriver. Je ne peux pas me laisser abattre par un cœur brisé et une bande d'enseignants arriérés.

Je me lève puis me pose devant le miroir. J'ai la tête typique de l'enfant sage. Blonde aux longs cheveux et yeux bleus peu maquillés, grande, peau dorée. La seule chose qui dénote dans mon apparence c'est ma narine percée, souvenir partagé avec ma mère le jour de mes seize ans.

Elle, avec ses multiples boucles d'oreilles et tatouages, c'est une vraie maman punk qui n'hésite pas à se battre pour ce qu'elle veut. Elle est mon modèle. Et si je veux réussir dans la vie aussi bien qu'elle, il est temps que j'arrête de ramper comme une loque.

Je pose mon casque, abandonnant à lui-même le chanteur qui ne cesse de brailler des mots incompréhensibles et m'installe à mon bureau.

Je prends l'un des nombreux bouts de papiers à musique qui trainent puis un crayon. Sans réfléchir, j'écris.

« La gloire.

Etape 1 : ne plus se laisser dépendre qu'un garçon.

Etape 2 : rentrer dans cette fichue école et prouver à ces profs qu'ils ont tort, sans piston

Etape 3 : travailler toujours plus dur, et ne plus se laisser écraser »

Je souris. Ce n'est pas parfait, mais c'est déjà ça. Après tout je n'ai jamais été douée avec les mots. C'est bien pour ça que je fais de la musique.

Je sors discrètement de ma chambre et rentre dans ma salle préférée de la maison : le studio. Lorsque ma mère a eu assez d'argent elle a entièrement isolé la pièce, récupéré une vielle console de mixage et quelques micros, ainsi que tous les instruments dont j'ai pu rêver. Face à moi s'alignent guitares, basses, batterie et violon. Après m'être assurée que la porte est bien fermée, ce qui garanti l'isolation acoustique, je me dirige vers ma cornemuse. J'ai toujours été passionnée par les sons celtiques : c'était donc une évidence pour moi d'apprendre à en jouer. Je m'installe confortablement et laisse mon corps jouer.

Une demi-heure plus tard, je suis essoufflée. J'ai un peu trop tiré sur mes limites mais je me sens bien. Car jouer me permet d'oublier tous ces soucis idiots. Malgré tout, je ne peux me résoudre à toucher le piano. Mon échec cuisant ne date que d'il y a quelques heures.

Puis, prise d'une inspiration subite, j'appelle Gonzague. Il décroche immédiatement.

— Allo ?

—  Gonz, tu as toujours besoin d'un modèle pour ton dossier ? je questionne.

— Euh, oui, pourquoi ?

—  J'ai un truc à te demander...

Mission CendrillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant