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La bataille fait rage entre Lars et moi. Et malheureusement le score est serré. Je me sens décuver au fur et à mesure que l'envie de gagner enfle dans mes veines. J'ai toujours eu un esprit de compétition un peu trop fort. Nous sommes tous les deux relativement silencieux pour des fêtards éméchés. Je le regarde seulement de temps à autres afin de ne pas me déconcentrer. Ses cheveux cendrés tombent devant ses yeux couleur orage.

Alors que nous allons jouer le dernier point, nous sommes interrompus pas le barman.

—Les enfants, le bar ferme ! Tout le monde dehors !

Lars tente de négocier tandis que je regarde aux alentours. Il y a moins d'une dizaine de personnes présente, dont nos trois amis qui enfilent leur veste. Je me dirige vers mon adversaire et lui prends le bras. Le sol tangue toujours un peu, donc je suppose que je n'ai pas décuvé tant que ça.

—Viens, ce n'est que partie remise.

Je lui caresse instinctivement la joue. Il me fixe de manière étrange puis un sourire étire ses lèvres.

—OK.

Nous partons chercher nos affaires et rejoignons nos amis à l'extérieur.

—Bien, qui rentre où ? commence Ava. Autant partager les taxis, c'est plus écologique.

—On peut pas prendre le bus ? je demande naïvement.

Ava me toise froidement.

—Asche, je ne sais pas quelles expériences tu as pu avoir dans les bus de nuit, mais personnellement je ne remonterais plus jamais dedans, plutôt rentre à pieds avec des talons aiguilles.

Bon, il est vrai que je me fais souvent approcher par des lourdauds, donc je comprends bien sa position. Je sens Lila se tortiller. Je sais qu'elle doit régulièrement travailler pour payer ses sorties, et que malgré le fait que son père ait de l'argent, sa belle-mère ne lui laisse pas en voir la couleur. Un taxi ne rentre pas vraiment dans son budget. Je grimace. Je suis stupide de ne pas y avoir pensé. Je n'ai plus envie de me sentir mal à l'aise par rapport à l'argent, mais à présent je regrette d'avoir autant étallé ma richesse au vu du nombre de tournées que nous avons payées. Je lui en parlerais lundi, mon cerveau est bien trop embrouillé.

—Au vu de nos situations géographiques, Lars et moi rentrons avec Lila, expose Eunji.

—Et Asche et moi ensembles, conclu Ava.

Nos deux camarades appellent leurs chauffeurs respectifs. J'ai tendance à oublier que dans les grandes familles il y en a toujours un dédié, et ce même en pleine nuit. Celui d'Ava arrive en premier. Nous disons au revoir à nos amis et je tente de ne pas trop fixer Lars. J'ai envie de l'enlacer. Pourtant, je fuis. Au moins l'alcool dans mon cerveau empêche une crise de panique pour cette fois.

Je suis Ava et nous grimpons à l'arrière de la voiture noire. Elle est luxueuse mais relativement passe partout. Le chauffeur démarre. Je sais que nous en avons pour un petit quart d'heure. Mon ancienne camarade de lycée se tourne vers moi. Décidément, elle est toujours aussi belle. Ses cils sont interminables, sa bouche ourlée mise en valeur par un savant rouge à lèvres.

—Asche, il faut qu'on parle.

Je soupire et me tasse dans mon siège.

—Encore ?

Elle grimace. Je suis surprise. Ava est classieuse en toutes circonstances normalement.

—J'ai eu tort. Je me dois de t'expliquer pourquoi.

Ma stupéfaction est croissante.

—Je t'écoute, dis-je simplement.

—Bien. Disons que j'ai toujours été très protectrice envers mes amis. J'ai rencontré Nathan il y a bien longtemps, et Lars trois ans auparavant. Nathan et moi sommes rodés aux problèmes que posent la célébrité. Notre future rock star ne l'est pas. Il faut savoir qu'à cette époque, il était plutôt du genre rêveur romantique, autant intérieurement qu'en apparence. A la fin du lycée, il a rencontré une fille qu'il estimait parfaite. Douce, calme, angélique, à la voix pure, de condition plutôt pauvre.

« Nous n'avions pas fait attention au début. Elle semblait gentille. Puis, elle lui a accaparé tout son temps. Littéralement. Elle lui demandait de la rejoindre en pleine nuit la veille d'examens. Voulait traquer toutes ses sorties. Lui mentait sur tout et sans arrêt, ne s'excusait pas lorsqu'il le découvrait car elle se pensait dans son bon droit. Puis, elle lui a demandé d'arrêter de nous voir, Nathan et moi. Car nous avions soi-disant une mauvaise influence sur lui. Les notes de Lars ont dégringolé et j'avais l'impression qu'il avait perdu toute son énergie. Il continuait de nous voir en cachette. Et la goutte de trop, ce fut lorsqu'elle lui a demandé de ne plus jouer que guitare, un instrument trop peu noble selon elle.

« Cette phase a duré un an. J'ai craqué et je suis allé voir son père. A ce moment, ses parents étaient relativement absents, et il venait de rentrer d'une longue tournée. Je l'ai mis devant le fait accompli et nous avons envoyé Lars chez un psychiatre. Je n'ai jamais autant pleuré de ma vie. Mon ami était juste éteint. Elle l'avait vidé de tout ce qu'il y a de beau en lui.

Sa voix tremble. Je lui touche l'épaule. Je ne peux imaginer ce que j'aurais fait si une chose pareille était arrivée à Gonzague. Ou plutôt si. J'aurais oublié la voie diplomate et envoyé cette fille à l'hôpital. Ava inspire et reprends.

—Le comportement de sa copine avait un nom. Perverse narcissique. Elle a fini par le quitter lorsqu'il lui en a parlé. Elle l'a envoyé valser devant tout le lycée, en lui jetant des choses plus horribles les unes que les autres au visage. A quel point il était « décevant, égoïste, imbu de lui-même, mauvais... ». C'était la fin de l'année scolaire. Ça l'a détruit. Il a raté son bac et a redoublé. Et mis encore un an où il était en licence scientifique pour s'en relever.

« Il s'est transformé en ce Lars actuel, et à enfin laissé sortir ce qui bouillonnait depuis si longtemps. Son côté rockeur, autant dans le caractère que vestimentaire. Il a toujours été beau, mais là, il se surpassait. Il est devenu un grand séducteur. Il me parle toujours des filles qui lui plaisent car je suis devenue comme son garde-fou. Il a eu quelques coups de cœur, bien sûr, mais cela n'a jamais duré très longtemps. Car il garde une peur certaine au fond de lui. Ainsi qu'une grande colère.
C'est pour cela que lorsqu'il m'a parlé de Stella, j'ai paniqué. J'ai cru que tout allait recommencer. Cependant, tu n'es pas comme elle. Au fond, je pense que tu es aussi brisée que nous.

Un temps passe.

—Je ne sais pas quoi te répondre, je lui expose simplement.

—Il n'y a rien à répondre. Il ne t'en aurait jamais parlé de lui-même. Il me parle de toi souvent. Au son de sa voix, j'ai compris de suite que c'était différent des autres dont j'ai des échos. Il ne m'a jamais dit que tu lui plais. Cependant c'est plus que visible lorsqu'on le connait bien. Il passe bien plus de temps sur sa guitare que d'ordinaire. J'ai l'impression que vous vous ressemblez beaucoup sur ce point.

Elle fait craquer ses os et retire ses talons.

—Une dernière chose, conclut-elle. Tu devrais lui parler de ta famille. Depuis cet épisode, il déteste qu'on lui mente. Alors si tu omets de lui dire que vos parents se connaissent il risque de mal le prendre.

J'ai envie de lui répondre que moi aussi j'ai mes problèmes, mais une chose me fait tiquer.

—Comment ça, nos parents se connaissent ?

Elle me fixe, blasée.

—Pourquoi tu crois que le premier album des Vengeurs s'appelle s'appelle « The way to Hell » ? 

—Hum, je crois qu'il va falloir que je parle avec ma mère, je marmonne.

La voiture se stoppe. Je vois ma maison par la fenêtre. J'ouvre la porte et me tourne vers mon ex-némésis.

—Merci de m'avoir ramenée. Et de m'avoir parlé de... tout ça. J'ai besoin de réfléchir.

—Oh, crois-moi, Lars ne te laissera pas le temps de réfléchir, me sourit-elle.

Mission CendrillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant