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Je n'arrive pas à répondre. Au vu de sa réaction, il est au courant de choses que j'ignore. Il rit nerveusement, passe une main dans ses cheveux. J'ai envie de le prendre dans mes bras, d'éteindre cette étincelle que je sens s'allumer en lui. Pendant ce temps, nos parents se fixent toujours sans un mot, inconscients de e qu'il se passe à côté d'eux. Lars, quant-à lui, se contente de secouer la tête et partir sans un mot.

Sous mon crâne tout explose. Trop de petites voix parlent en même temps, me fustigent, m'incendient, me rappellent que j'aurais dû lui parler de mon appartenance au monde mondain avant. Puis une s'impose. Je ne peux pas le perdre.

Alors, je remonte ma robe et je lui cours après. Il sort et s'arrête dans le petit jardin intérieur, actuellement vide. Il s'écroule sur un banc.

—Attends ! Je lance.

Je m'affale à côté de lui, totalement essoufflée, et retire mes chaussures. J'ai déjà les pieds rouges et presque les talons qui saignent. Sa colère enfle, mais il parle pourtant d'une voix très calme.

—Tu m'as menti.

Sous l'effet de la trouille, je parle vite et mes mots s'inversent.

—Je t'ai pas menti. Je voulais te le dire. Mais comme ma mère est connue maintenant, je me sens toujours mal à l'aise. J'en ai souffert au lycée. J'étais une paria parmi les autres gosses de riches, car ma mère est réalisatrice et pas traider ou chirurgienne. Puis plus jeune encore, les autres enfants me harcelaient pour avoir son autographe, pour avoir des faveurs financières, et moi je ne comprenais rien. Elle a fini par m'enlever de l'école publique après que je me sois faite courser dans les couloirs, et j'ai atterris dans mon lycée de riches. J'ai eu tellement peur que ça recommence à la fac, je ne voulais pas que ça se sache. Mais j'ai revu Nathan, puis Ava, et...

—Tu crois que je ne l'ai pas vécu, tout ça ? m'interromps-t-il. Moi aussi, mon père est devenu une star quand j'étais enfant. Et crois-moi, rock star c'est bien pire que star du cinéma au niveau médiatisation. Mais ce n'est pas ça le problème.

Je m'agite. Mon chignon s'est défait et j'enlève les lambeaux de pinces qui restent, me cachant derrière mes cheveux. Je me calme doucement de ma course intempestive. Le corps de Lars reste très proche du mien. Nous nous observons quelques instants, et je n'arrive pas à comprendre comment nous avons pu nous quitter la dernière fois en nous embrassant, pour en arriver là. Je caresse son visage, troublée. Malgré sa colère il ne me repousse pas. Je le sens et je le sais, nous sommes bien trop attirés l'un par l'autre.

—J'ai envie de t'embrasser, je murmure.

—Moi aussi... mais il faut qu'on parle avant. Tu n'es vraiment pas au courant de ce qu'il s'est passé entre nos parents ?

J'hausse les épaules.

—Tu le sais, j'admire énormément le groupe de ton père. Mais avant que Ava ne me fasse la réflexion, je ne savais même pas qu'ils se connaissaient. Elle ne m'en a jamais parlé, et pourtant elle sait bien à quel point je suis une groupie.

Lars souffle, immensément triste, et me prends instinctivement la main. Je me déconcentre instantanément.

—L'histoire ne vas probablement pas te plaire. Et il faut bien que quelqu'un de la raconte. Alors, si ce n'est pas ta mère, je vais m'en charger. Je ne connais pas tous les éléments, mais suffisamment pour savoir à peu près ce qu'il s'est passé...

« Une chose à savoir avant de démarrer cette histoire. Mes parents ont toujours eu une drôle de vie, qu'ils ont caché à tous et dont ils m'ont parlé assez tard. Pour me dire que le monde est vaste et que beaucoup de choix parfois méconnus s'offrent à moi. Eux sont en couple libre depuis toujours. Ils sont ensembles, amoureux, mais ont d'autres partenaire à côté. Ma mère, uniquement du côté affectif et charnel, car elle aime aussi les filles. Et mon père est polyamoureux.

Ma panique revient en force.

—Oh, non. Si tu m'annonces que ton père est aussi le mien et que cela fait nous des frères et sœurs, je m'exile de suite en Allemagne.

—Non, non, tout va bien à ce niveau.

Je me détends instantanément, même si j'ai une bonne idée de ce qu'il va se passer à présent.

—Ta mère était déjà enceinte quand mon père l'a rencontrée, et elle venait tout juste d'arriver en France, continue Lars. Il se sont croisés au hasard d'un tournage où elle était machiniste. Son ventre était déjà bien visible mais elle continuait de bosser. Ils ont sympathisé, à un point où elle a logé quelques temps chez mes parents, le temps de trouver un appartement décent. Elle est partie vivre à l'autre bout de la ville quand tu es née. J'étais trop petit, je n'en ai aucun souvenir, et logiquement toi non plus, mais on se voyait apparemment souvent. Je sais que ma mère a encore des photos de nous deux dans notre jardin qui trainent quelque part.

Troublée, je serre sa main fort.

—Ils sont tombés amoureux, c'est ça ? j'expose dans un souffle.

Je ne vois pas quelle autre raison aurait pu mener à la haine aussi forte que j'ai perçue entre eux deux tout à l'heure à présent que je connais le début de l'histoire.

—Oui. Mon père a été très présent quand tu es arrivée pour ta mère. Pourtant, il était toujours aussi peu doué avec les enfants. Je sais qu'au début il a eu du mal avec le concept de famille. C'est ta mère qui lui a hurlé dessus en lui expliquant qu'il était hors de question qu'il délaisse son petit garçon, et visiblement elle a réussi à lui faire rentrer l'idée dans le crâne assez vite. Puis, petit à petit, ils ont fini inséparables. Ma mère le vivait bien, elle avait d'autres copines à côté. Mais elle s'inquiétait, car quand mon père est amoureux, cela peut être, disons extrême.

—Donc, il est devenu potentiellement un peu possessif, a voulu trop aider ma mère qui avait au contraire besoin qu'on respecte son indépendance et sa liberté, et elle a fui du jour au lendemain, c'est ça ?

Il ouvre la bouche, surpris, et rabat une mèche de cheveux qui me bouchait la vue. Je frisonne. Je caresse sa main presque inconsciemment.

—Oui, exactement.

—Elle a toujours été comme ça, je lui expose. Elle a eu un nombre incalculable de conquêtes et de copains réguliers. Mais elle finissait toujours par paniquer et s'enfuir. Jusqu'à Hyppolite, car là, les rôles se sont inversés. C'est lui qui est dépendant d'elle, et la laisse complètement mener sa vie comme elle l'entend. Je l'ai compris très tard. Et depuis, je pense que c'est surtout pour ça que j'ai eu l'effet inverse, à vouloir m'attacher à une seule personne sur du long terme, avoir quelque chose de stable.

—Moi aussi, chochotte-t-il.

Je le prends dans mes bras. Nous sommes tous deux épuisés émotionnellement.

—Et maintenant, on fait quoi ? questionné-je.

Il me contemple. Comme s'il me disait adieu. Je sens que la suite ne va pas me plaire.

—Mon père a mis des années à s'en remettre. Il en est tombé en dépression, Asche. Ça se sent dans les albums qui ont suivi. Et inconsciemment, j'ai peur de suivre le même chemin. J'ai besoin de temps.

—De temps ? C'est-à-dire ?

Mon cœur s'affole. Il se détache de moi.

—Pour digérer tout ça.

—Je ne suis pas comme ma mère.

—Et moi, pas comme mon père. Mais depuis mon ancienne copine, tout est plus dur. Je te fais confiance. Il faut juste que j'apprenne à me faire confiance à moi-même. Et puis...

—Si tu attends trop, c'est moi qui viendrais te chercher. Maintenant que je t'ai trouvé, hors de question que je te laisse filer

Il me sourit, mais je perçois encore sa tristesse profonde. Il enserre mon petit doigt avec le sien.

—Promis ? demande-t-il.

—Promis, je conclus.

Mission CendrillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant