Mission Cendrillon

16

A peine ma journée de cours démarre que je suis complètement épuisée. J'explique à demi-mots à Lila que j'ai fait une insomnie avant de comater toute la matinée à l'arrière de l'amphi. Et, cet après-midi, épreuve ultime : les trois heures de solfèges bi-mensuelles. Du haut de la salle, je vois Lars rendre notre copie et me faire un petit signe. Je lui réponds puis baille. Même de loin, je vois son expression rieuse. Aussitôt mon téléphone sonne.

« Trop fait la fête hier ? »

Je ne peux m'empêcher d'avoir un petit sourire. Si seulement.

« Non, petite insomnie plutôt »

« Mince ! Toujours partante pour ce soir ? »

« Évidement ! »

Le prof démarre son cours et Lars se concentre vers le tableau. Contrairement à moi, lui aime ces sessions. Je constate que Lila me fixe, indécise.

—Un souci ? chuchoté-je.

Elle grimace.

—Suite à ta sieste ton maquillage à légèrement bavé. J'aurais envie de sortir mes pinceaux pour le retoucher mais je me retiens très fort.

Ça ne m'étonne pas. Je me suis vraiment écroulée comme une masse. Pourtant, comme nous sortons à la fin des cours, j'ai eu envie de faire un effort. J'ai donc décidé, étant donné que je viens en bus afin de boire un peu, de porter une robe moulante bleu sombre qui m'arrive jusqu'en bas des cuisses, et de bottines à talons. Pour le maquillage, j'ai mis autant de noir autour des yeux que d'ordinaire, avec un peu de gris pailleté. Plusieurs élèves m'ont dévisagée, surement surpris que je ressemble à une « vraie » fille pour une fois. J'ai eu envie de les assommer à coup de cymbales.

—Tu te balades avec une trousse complète de maquillage ?

Je dois avouer que c'est surtout l'information que j'ai retenue.

—Toujours. Chacune ses manies. Je sais que tu n'aimes pas avoir ton vernis écaillé. Moi, c'est le maquillage qui coule.

—Bon, ben on passera aux toilettes en sortant.

—Super !

Son sourire m'éblouit autant que celui de Clovis. Je devrais leur demander leur marque de dentifrice. Lila est fidèle à elle-même : un top rose pâle qui dévoile ses épaules et dont le tissu descend jusqu'à ses coudes, une jupe patineuse noire, et des sandales compensées à talons. Le tout accompagné d'une veste en jean, car la température se rafraichit à présent. Même moi j'ai dû sortir mon cuir, mais j'ai abandonné les collants car je déteste littéralement ça. Plutôt me raser les jambes et avoir la chair de poule.

Mes yeux se ferment tous seuls. J'entends Lila écrire furieusement à mes côtés, et ce petit bruit ainsi que la voix soporifique du professeur me bercent. Quelques instants plus tard, je sens qu'on me secoue.

—Asche, le cours est fini, murmure mon amie.

Je sors mon téléphone et propose à Lars que l'on se rejoigne directement au bar. Celui-ci me répond simplement ok avec un petit smiley. Nous filons donc aux toilettes avec Lila qui transforme mes yeux de panda en regard « sombre et ténébreux ». Je dois avouer qu'entre le maquillage et la couture, elle est particulièrement douée.

—Tu veux faire quoi plus tard ? je lui demande d'un coup.

Elle pose le bout d'un de ses pinceaux contre sa joue, indécise.

—J'ai toujours rêvé d'être chanteuse. C'est pour ça que j'ai voulu faire de la musicologie.

—Si ça ne marche pas, tu pourrais te reconvertir dans l'audiovisuel comme costumière ou maquilleuse.