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Le reste du gala m'a paru bien terne. J'ai fait bonne figure pour mon oncle, mais je me sens dévastée à l'intérieur. Je n'aspire qu'à rentrer chez moi. Ma mère m'a à peine adressé un mot et ne semble pas être dans un meilleur état que le mien. Je finis par craquer.

—Mama, c'est minuit. On s'en va ?

Elle soupire, soulagée.

—Oui, mein sptaz. On a assez fait de présence.

Nous disons au revoir à tonton Franck, et j'aperçois Lars au loin. Je le salue vaguement de la main. Il a un petit rictus triste. Et, sur ce, je sais que nous ne nous croiserons pas avant le retour des vacances.

Le trajet de retour est silencieux. La ville est calme, la nuit. Et, pour une rare fois, ma mère aussi. Je prends de nouveau les devants alors que nous nous vautrons sur le canapé. Clovis et Hyppolite sont déjà couchés, Alban surement à une soirée mondaine. Nous avons donc la maison pour nous seules. Je pose mon verre d'eau sur la table.

—Mama. Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

—Le rejeton de ce grand benêt t'as parlé alors.

—Ne l'appelle pas « rejeton ». C'est le garçon que j'aime.

Je me bloque. La fatigue m'a fait aller plus loin que mes pensées. Et pourtant, je sais très bien que les mots que j'ai prononcés sont vrais. Je serais bien incapable de les dire à Lars, surtout au vu de notre situation actuelle. Un étau que je connais bien commence à me comprimer la tête, puis je tremble.

—Asche ?

—J'ai mal, je gémis.

Automatiquement, ma mère réagit. Elle vire ses énormes chaussures et me prends dans ses bras. Elle me caresse les cheveux doucement.

—Tu le sais, c'est juste une petite crise de panique. On respire, on se concentre, ça va passer.

Je suis ses indications. Elle et moi avons l'habitude, à force. Je souffre de ce problème depuis approximativement mes dix ans. Impossible de me souvenir comment cela a démarré. Le constat reste le même. Les crises commencent d'un coup, parfois sans raison valable, et je ne suis soudain plus capable de réfléchir. Tout se brouille. Je me concentre sur la voix de ma mère et reviens sur terre, étape par étape. Lorsque je suis enfin calmée, ma mère me prend la main.

—Tu sais, que j'aime pas bien parler de mes histoires de cœur. Avant Hyppolite, tout était naufrage. Je n'étais pas une bonne personne avec les hommes. Je n'étais pas prête. Mais toi, tu n'es pas moi. Je sais que tu chéris l'amour unique, que ce petit garçon parti en amérique t'as fait beaucoup mal. Thor et moi, ce fut compliqué. Mais si son enfant devient ton amoureux, on saura tous les deux faire des efforts, je te l'assure.

Je renifle. Je n'avais même pas senti mes larmes couler.

—Lars m'a dit que sa mère à des photos de nous deux petits. Toi aussi ? je questionne.

Elle se lève doucement en direction de sa collection de disques. Elle récupère un vinyle des Vengeurs qui doit bien avoir mon âge au vu de son état, et se pose de nouveau avec moi. Je l'ouvre. Du côté droit, le CD. De l'autre, une petite dizaine de photos. De ma mère et Thor jeune, enlacés. De deux enfants presque aussi vieux l'un que l'autre dans l'herbe. Je suis troublée. Je devais avoir un an. Je ne peux bien sûr pas m'en souvenir. Et pourtant, ça me fait quelque chose. Je serre l'objet entre mes mains. Ma mère me touche le crâne et se lève.

—Garde le tant que tu veux. Je vais dormir. Toi aussi, part au lit.

J'hoche silencieusement la tête et m'exécute. Je m'écroule sur mon matelas, fixe le plafond un long moment, calme, le vinyle à côté de moi. Puis je tombe dans un sommeil sans rêves.

Mission CendrillonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant