J'avais deviné qu'il serait facile de m'habituer à vivre avec Melcrith puisque je le connaissais depuis longtemps. La réalité était très différente, Melcrith était différent. La froideur et la distance que je lui avais toujours connues avaient disparu et il me révélait une nature tendre et attentionnée. Il veillait sur moi et sur mon bien-être, d'une manière très personnelle, qu'il ne s'était jamais permise quand nos positions sociales nous contraignaient à une certaine distance. Mais cette nouvelle proximité entre nous n'était ni envahissante, ni étouffante.
Dormir avec lui, prendre un bain ensemble, faire l'amour ensemble, tout cela se faisait dans un mélange de complicité, de désir brûlant et de respect. Melcrith m'entourait de sa présence et de ses soins, mais il me laissait aussi à la paix de réflexions intimes et m'offrait les moments de solitude dont j'avais besoin pour penser à l'enquête, réfléchir à la meilleure stratégie à adopter, et également, je devais le confesser, prendre toute la mesure de ce que j'expérimentais à ses côtés.
Et dans ce domaine, cette mission était un désastre. Pas parce que les choses se passaient mal entre Melcrith et moi, mais parce qu'elles se passaient trop bien. Si bien peut-être, il fallait en convenir, que je pressentais que la fin de notre liaison allait me fracasser le cœur. Cette mission me replongerait tout entier dans la perte de mes parents, et quand j'y aurais réellement fait face, je devrais faire face à la perte de Melcrith, définitive et irrémédiable elle aussi.
Mais en avoir conscience ne me prémunirait pas contre la peine. À chaque fois qu'une telle pensée me traversait, au lieu de prendre mes distances, de me protéger le cœur, de me caparaçonner contre les blessures à venir, je ne me réfugiais que plus désespérément dans l'étreinte de Melcrith pour le serrer de toutes mes forces en souhaitant farouchement ne jamais le perdre.
Je savais pourtant, combien cela avait été inefficace avec mes parents. Je n'avais rien appris de mes souffrances...
Je songeais à cela, dans le bain que nous partagions et qui depuis un moment, avait commencé à tiédir. Melcrith, tout aussi silencieux que moi, me caressait distraitement le dos et les cheveux et j'étais sur le point de me couler contre son torse quand je le sentis se tendre.
Presque au même instant, on toqua à la porte de la salle d'eau.
― J'ai entendu sa voix, Agate, répondit Melcrith sans que la domestique n'ait eu besoin d'ouvrir la porte. Nous arrivons.
Les bruits de pas s'éloignèrent dans le couloir.
― Que se passe-t-il ? demandai-je alors que nous sortions tous deux de l'eau.
― Khalkôs est là, dit-il simplement.
Alors je me tendis à mon tour. La soirée était bien entamée à présent, si Khalkôs s'était déplacé jusqu'ici alors que nous nous étions vus quelques heures plus tôt, c'était peut-être que quelque chose s'était produit. La pensée me traversa qu'il y avait peut-être eu d'autres corps retrouvés, d'autres morts que je n'avais pas pu empêcher.
Melcrith et moi nous vêtîmes rapidement de peignoirs après nous être séchés, puis nous rejoignîmes Khalkôs dans le salon où Agate l'avait installé.
Je compris tout de suite en le voyant assis dans un fauteuil, courbé en avant, la tête dans les mains, qu'il n'était pas venu pour le travail, c'était beaucoup plus personnel. Khalkôs, toujours dur et fier, parlant fort, se moquant de tout, plaisantant aux dépends des autres, semblait profondément triste et cette vision m'immobilisa sur le pas de la porte.
Melcrith, lui, me dépassa, entra dans le salon, et comme une routine établie, servit trois verres d'alcool fort. Il en tendit un à Khalkôs qui se redressa et le prit sans rien dire, m'en donna un et garda le dernier en main, sans le boire.
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Mâchefer
VampireLe Royaume d'Argyre vit une époque sinistre. Le règne des humains n'est plus depuis l'avènement des mâchefers, des êtres aux crocs d'acier buveurs de sang. Et des meurtres inexpliqués terrifient les habitants de la capitale. Cobalt, un inspecteur hu...