Chapitre 1 - Cobalt

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Je descendis de cheval et confiai les rênes au premier homme en uniforme que je croisai. Puis, tout en marchant vers l'agitation, je portai mes mains à ma bouche et soufflai sur mes doigts engourdis par le froid. Je n'avais pas les moyens de m'acheter des gants de cuir fourrés et mes gants de laine étaient mangés de trous.

― Vous êtes là, Cobalt, claqua la voix de mon chef alors que j'arrivais au milieu d'une scène d'horreur.

Je m'immobilisai un instant, interdit. La missive par laquelle le capitaine Devard Noir-Fer m'avait ordonné de venir de toute urgence n'expliquait pas les raisons de l'urgence. Je les comprenais un peu mieux en détaillant les neuf corps qui gisaient sur le sol et imbibaient la neige de pourpre.

Les lames, qui constituaient la police humaine de la cité, s'affairaient partout.

― Que s'est-il passé, capitaine ? demandai-je d'une voix plus sidérée que protocolaire.

― Nous voudrions bien le savoir. Les traces dans la neige montrent qu'ils n'ont pas été tués ici. Ils ont été apportés sur une calèche et jetés dans cette ruelle. Nous avons pu remonter les traces de la calèche mais elles se perdent sur une artère principale.

Je m'accroupis pour observer les corps mutilés. Devant moi, le cadavre sanglant d'un homme à la cage thoracique écrasée me fixait avec une expression de pure terreur figée sur son visage, que le froid et la mort avaient rigidifiée.

― On dirait que quelqu'un a donné une épée à un ours ! lança une voix forte que je reconnus aussitôt.

À côté de moi, le capitaine Noir-Fer jura très grossièrement et il s'écarta à grands pas dans la direction des nouveaux venus. Je me relevai plus lentement en comprenant qui était arrivé. L'enquête, apparemment, n'allait plus me concerner très longtemps...

― Que fait le Gantelet ici ? gronda mon chef à l'adresse du lieutenant Khalkôs de Calcédoine. Le district de Lenclume est un quartier exclusivement humain placé sous la juridiction de la Lame Brisée.

― Parce que vous pensez réellement que ce sont des humains qui ont fait ça ? grogna le Mâchefer.

Khalkôs était un géant à la chevelure rousse. Il me dépassait de presque deux têtes et ressemblait à un taureau sauvage : énormes bras, énormes cuisses, énorme torse, très petite capacité de résistance à la colère. Il était le même type rustre et brutal que j'avais rencontré dix ans plus tôt dans une ruelle sombre du district de Cinabre.

― C'est ce que l'enquête tendra à déterminer, rétorqua Devard qui ne se laissait pas démonter.

La dispute se tenait à plus de dix pas mais tous deux vociféraient tant que même les curieux que les lames tentaient difficilement d'éloigner de la scène n'en devaient rien manquer.

― Et nous vous ferons part de nos résultats, afin de poursuivre, le cas échéant, l'enquête dans le district de Titane, continua mon chef avec aplomb. En attendant disparaissez, vous n'avez aucune autorisation pour...

― Melcrith ! s'époumona Khalkôs. Est-ce que tu as notre autorisation ?

Je détournai alors vivement le regard du cadavre à l'abdomen broyé pour le chercher du regard. Melcrith de Leïr s'éloigna du corps au-dessus duquel lui-même était penché et se dirigea vers les deux hommes en tirant un rouleau de parchemin de son uniforme noir.

Je ne l'avais pas vu arriver. Contrairement à Khalkôs, Melcrith savait se faire discret.

Il était aussi grand que son ami roux, mais mieux proportionné que lui. Là où Khalkôs ressemblait à un taureau, lui était taillé comme un grand félin agile et souple, aux muscles puissants, au contrôle parfait. Sa longue chevelure blonde tombait en boucles aristocratiques sur ses épaules larges et son visage était aussi sérieux et froid que celui de Khalkôs était furibond.

MâcheferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant