Chapitre 5 - Cobalt

2.8K 349 20
                                    

― Où allons-nous ? demandai-je en enfilant mes gants de laine élimés.

La nuit était tombée à présent. Nous avions passé le reste de l'après-midi à éplucher les rapports qui nous parvenaient au compte-goutte. La Dame de Mercure avait tenté en personne de sonder les reflets d'orichalque et avait échoué ; l'arrière-cour où avait été tué Achéron Passelieu avait bien été trouvée mais elle ne donnait en réalité sur rien – les bâtiments qui l'entouraient étaient aveugles et s'il était logique d'imaginer que les corps avaient pu être traînés depuis une maison voisine, aucune trace n'avait permis de le prouver et le Gantelet ne pouvait pas légalement fouiller les demeures au hasard. Un rapport nous avait également annoncé que les gardes de la porte de Titane n'avaient rien remarqué de suspect lorsque la calèche était passée, ni à l'allée, ni au retour. Évidemment.

― Je voudrais t'emmener dans une taverne de Titane, répondit Melcrith à ma question.

Je haussai un sourcil.

― Tu comptes m'effrayer pour me dissuader en m'emmenant dans une taverne ? Moi qui craignais que tu me fasses visiter vos prisons, ou votre marché aux esclaves...

Je faisais le fier, mais j'avais conscience de ne pas être prêt à affronter toutes les choses que les mâchefers infligeaient à leurs esclaves. Et cette excursion m'inquiétait. Je ne craignais pas de changer d'avis, j'avais peur d'être définitivement terrifié. Et j'étais sûr que Melcrith qui me connaissait bien redoutait exactement la même chose. Ses raisons de refuser que je sois son esclave étaient légitimes, mais insuffisantes à me convaincre.

― Je n'ai pas l'intention de t'effrayer, je veux seulement que tu saches à quoi tu t'engages et le prix que cela va te coûter, dit-il de son habituel ton impassible.

Je hochai la tête, ne souhaitant pas argumenter puisqu'il avait promis qu'il accepterait de marcher dans mon plan s'il ne parvenait pas à me convaincre d'y renoncer.

― Mais tu seras en sécurité, ajouta-t-il pour me rassurer.

― Je sais, Melcrith. Quand tu es là, je suis toujours en sécurité. Et j'ai menti tout à l'heure : je ne pourrais pas demander cela à quelqu'un d'autre.

J'eus l'impression de lire une émotion presque douloureuse dans son regard. Mais il se détourna de moi précipitamment sans faire la moindre remarque, comme je m'y attendais.

― Attends, ne mets pas ton manteau, dit-il en ouvrant un placard dissimulé dans le mur de son bureau.

Il en sortit un long manteau de cuir noir à col montant et hauts revers, et un tricorne qu'il plaça sur ma tête pendant que j'enfilais le vêtement de qualité. Il était presque trop long pour moi. Il aurait certainement dû s'arrêter à mi-cuisse et il descendait jusqu'à mi-mollet. Mais au moins il tenait vraiment chaud, le col dissimulait la moitié de mon visage, et l'odeur de Melcrith imprégnait le cuir d'une façon enivrante.

― Allons-y, décida-t-il lorsqu'il fut satisfait de mon apparence.

Nous récupérâmes nos chevaux à l'écurie et il me guida à travers les rues propres et bien entretenues de Titane, jusqu'à ce qui ressemblait à une belle auberge avec une façade à colombage de la couleur du beurre frais. Il y avait des fleurs aux fenêtres et une enseigne aux lettres d'or. Le seul indice de ce qui se passait à l'intérieur était les épais rideaux qui occultaient les fenêtres.

Un abri avait été aménagé pour les chevaux, et après y avoir placé nos montures – ce qui n'aurait pas été possible à Lenclume car sans surveillance, ils auraient été volés dans la demi-heure – Melcrith toqua à la porte.

Une sorte de petite lucarne s'ouvrit sur un beau regard noir ourlé de maquillage charbonneux. Il ne fallut qu'une seule seconde, puis la lucarne se referma, la porte fut déverrouillée et ouverte en grand.

MâcheferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant