39.2. Savannah

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J'y retrouve Ricky qui s'attèle à organiser son comptoir. Mes autres collègues ne sont pas encore arrivés, il en profite donc pour venir à ma rencontre et s'assurer que notre soirée ensemble n'a pas entaché notre entente. Par chance, alors qu'il se confond en excuse depuis de nombreuses minutes, Lorène fait irruption dans la salle et vole à mon secours. Elle nous ordonne de reprendre notre travail et de redoubler d'efforts pour combler l'absence d'Hayley, souffrante.

Je ne vois pas les heures passées. Le manque d'une collaboratrice nous oblige Lorène et moi à rediviser l'espace en deux sections au lieu de trois initialement. J'ai à peine le temps d'honorer une commande qu'on me hèle déjà de toute part. Je me retiens de rétorquer à un client que je ne suis pas une pieuvre et que je ne dispose que de deux bras pour le servir.

À la fin de notre soirée, nous sommes tous éreintés. Pourtant, nous puisons dans nos dernières forces pour tout ranger et nettoyer avant de nous quitter.

- Tu as assuré ce soir, Ana, me félicite Lorène. Je ne m'en serais pas sortie sans toi.

Je la remercie du compliment avant que nos chemins se séparent. Selon le texto de Carter, sa voiture se trouve plus bas dans la rue.

- Ana, attends-moi, me hèle Ricky.

Il accourt vers moi tandis que je m'interroge sur la raison qui le pousse à me rejoindre.

J'espère que ce n'est pas pour s'excuser encore une fois.

- Je suis vraiment désolé, Ana.

Je sais, c'est au moins la dixième fois qu'il me le dit depuis tout à l'heure.

- Ne t'inquiète pas, tout va bien.

- Je ne veux surtout pas que ça change notre relation au travail.

Tandis que je m'apprête à le repousser, un bras se faufile dans mon dos et entoure ma taille. En reconnaissant la fragrance de Carter, je me laisse faire. Il arrive à point nommé.

Comme un preux chevalier.

- Ça va, ma puce ?

Carter profite que je tourne la tête vers lui pour lui répondre pour déposer sa bouche sur la mienne. Si au début le baiser est plutôt chaste, la passion prend rapidement le dessus. Sa langue trace le contour de mes lèvres et se fraie un chemin entre elles à la rencontre de la mienne. Instinctivement, je fonds contre son buste tandis que sa main libre s'immisce dans les nœuds que forment mes cheveux.

Un raclement de gorge me ramène au moment présent. Ricky détourne le regard sur le feu aux joues et s'excuse une dernière fois avant de pivoter pour rejoindre son véhicule. Carter se moque de lui mais je l'arrête d'une tape sur le torse. Il embrasse tendrement le bout de mon nez tandis que je le remercie de son intervention.

- Je tenais à lui montrer ton indisponibilité, déclare-t-il simplement.

- Si j'avais voulu qu'il se passe quelque chose, j'en aurais profité, lui rappelé-je.

- Je sais, mais j'ai senti ton malaise de l'autre côté de la ville, ma puce.

Nous avançons vers sa berline bras dessus bras dessous.

- Je t'aime, ma puce.

¤¤¤

Le vent me fouette le visage à chacune de mes foulées. Les températures ne dépassent pas les quinze degrés ces derniers jours. Pourtant, deux semaines plus tôt, elles étaient encore clémentes. La fraîcheur ne m'empêche cependant pas de courir. J'atteindrais les quatre miles dans quelques blocs.

- Bordel ! pesté-je quand un homme me percute alors que je tente de l'éviter.

Je ralentis au croisement, le feu du passage piéton étant toujours au rouge. Je prie intérieurement qu'il devienne vert afin de ne pas devoir m'arrêter. Malheureusement, ma supplication est vaine. Je m'immobilise à l'intersection et en profite pour reprendre mon souffle.

Alors que j'inspire une bouffée d'air frais, le visage tourné vers le ciel, je reconnais les bâtiments qui m'entourent. Louis réside à quelques mètres. Mes pieds m'amènent jusqu'à son immeuble, sans que je le décide. Les rideaux de son appartement sont ouverts mais je ne vois pas sa silhouette déambuler à l'intérieur. Pourtant, si mes souvenirs sont exacts, il devrait être là.

Louis a une routine précise et chronométrée qu'il ne modifie pour rien au monde. Levé à 6 h 45, il occupe la salle de bain jusqu'à 7 h 30, ensuite il prend son café dans la cuisine pendant 25 min en lisant le journal. Pour finir, il passe 5 min aux toilettes avant de se rendre au sous-sol pour récupérer sa voiture et aller au travail.

Réglé comme du papier à musique.

Selon ma montre, il en est à l'étape du petit-déjeuner. Le seul moment de la journée où il est possible de lui parler sans craindre d'énervement. Enfin la moitié du temps.

J'ignore d'où me vient l'idée mais je m'imagine le confronter une bonne fois pour toutes. Malgré ma bonne volonté, je redoute que cette discussion ne m'apporte rien de plus. Pourtant, une nouvelle fois mes pieds m'amènent à l'entrée du bâtiment, à la différence de prêt que cette fois, une boule d'appréhension s'est formée dans mon ventre.

Je prends tout de même quelques instants pour envoyer un texto à Carter.

Je vais parler à Louis. Pardonne-moi, je t'aime.

Je range mon téléphone et avance d'un pas décidé avec l'intime conviction que je me dirige tout droit dans la gueule du loup.

Souls - Tome 1 - Two Broken SoulsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant