Quatorze février

4 - Sirius

Sirius était en proie à un mélange de mille sentiments différents, si bien qu'il ne parvenait pas à les démêler. Il n'arrivait pas à déterminé s'il était soulagé ou catastrophé d'avoir fait son coming-out auprès de Remus. Il ne savait pas s'il ressentait plus de honte, ou de reconnaissance. Mais il était certain de ressentir les deux. En comparant sa situation à la sienne, Remus avait su trouver les mots pour apaiser quelque peu la tempête qui animait Sirius. Il avait peur, il avait honte, mais il trouvait enfin possible d'espérer que, effectivement, sa relation avec Remus ne changerait pas. Il avait eu une réaction dix fois plus adaptée que ce qu'il aurait pu imaginer. Il était soudain pris d'un élan d'affection pour son ami. Il avait l'air de le comprendre. Sirius avait été idiot de ne pas voir à quel point tout cela pouvait être similaire. Ils devaient tous deux porter le poids d'une chose qu'ils n'avaient pas choisie, et qui pourtant les définiraient aux yeux de tous, et leur vaudrait le jugement de tous ceux qui trouveraient ça anormal. Qui auraient peur. Qui les prendraient pour des anomalies. 

Et pourtant, Sirius savait que Remus devait porter un poids encore plus lourd que le sien. Car si l'homosexualité n'était pas acceptée par tous, la lycanthropie l'était encore moins. Il fit léviter d'un coup de baguette magique une boîte de mouchoirs qui se trouvait à deux tables de là et se moucha bruyamment, tentant de retrouver un visage acceptable. Il s'en voulait d'avoir pleuré ainsi devant Remus. Il détestait se mettre à nu. Il n'aimait pas parler de ses émotions à ses amis. Il avait l'impression que Remus voyait en lui trop clairement. Il écarta ses cheveux de son visage et esquissa un sourire. 

- T'es un putain de Saint, tu le sais ça, Remus ? 

Remus lâcha un rire, visiblement soulagé. 

- Je sais, je sais. Je vous surpasse tous là dessus. 

Sirius se mit à rire avec lui, mais au fond, c'était vrai. Remus était infiniment meilleur qu'eux sur un tas de points. Il s'en était toujours rendu compte. Et il avait toujours semblé plus mature. Sans doute n'avait-il pas eu le choix. 

- Je voudrais que tu n'en parles pas à James, s'il te plaît, dit Sirius. 

James. Chaque fois qu'il y pensait, sa gorge se serrait. Son amitié avec James était trop précieuse, depuis toujours. Il avait l'impression de partager mille points communs avec lui. Que tout était facile, que chaque moment qu'il passait en sa compagnie lui promettait des heures de rires et de complicité. Il savait que lorsqu'il saurait, il ne pourrait s'empêcher de changer le regard qu'il portait sur lui. Il le connaissait, il savait comment il fonctionnait. Alors non, il ne pouvait pas lui dire. Il s'en sentait incapable et préférait mille fois vivre dans le mensonge avec lui. C'était douloureux, mais le perdre l'aurait été encore plus. 

- Bien sûr. C'est à toi de décider à qui tu le dis et comment, et même si je ne pense pas que ça doive rester un secret, je ne peux que comprendre que tu veuilles le garder pour toi. 

Comme il gardait sa lycanthropie pour lui. En dehors de James, Peter et lui-même, seul Dumbledore était au courant. C'était lui qui leur avait parlé du passage secret. Mais il le cachait au reste des élèves. Ils partageaient finalement encore plus de choses qu'il ne l'aurait cru. 

Ils se mirent petit à petit à parler d'autre chose, pour retrouver le fil d'une discussion plus naturelle. Les élèves revenaient peu à peu de leur virée à Pré-Au-Lard, les poches pleines de sucreries pour les plus jeunes, un sourire satisfait sur le visage pour les plus âgés. Dans la Salle Commune, il régnait une joyeuse atmosphère de légèreté. Vers la fin de l'après-midi, James se présenta dans la salle accompagné de Lily et tous deux s'assirent à la table où étaient assis Remus et Sirius. Ce dernier ne put s'empêcher de ressentir un petit sursaut dans la poitrine lorsque Remus et James échangèrent leurs premiers mots. Mais bien évidemment, Remus ne mentionna en rien leur petite conversation de l'après-midi, et Sirius parvint à se détendre. 

- Alors, cet après-midi ? demanda-t-il à son ami avec un sourire. 

- Parfait. Enfin je crois, ajouta-t-il avec un clin d'oeil à Lily. 

Cette dernière leva les yeux au ciel mais un léger sourire semblait flotter sur son visage. Visiblement, ce dernier n'avait fait aucune bourde lors son rendez-vous. Sirius, malgré ce qu'il pouvait dire, les enviait légèrement. Même s'ils se tournaient autour, même si Lily s'évertuait à refuser ses avances tout en ayant l'air de vouloir les accepter, tout semblait facile pour eux. Tellement facile. Malgré la douleur et la honte qu'il ressentait chaque fois qu'il entendant James plaisanter sur la prétendue homosexualité de Peter, Sirius ne pouvait s'empêcher de provoquer la conversation, dans le simple but de mesurer encore un peu plus à quel point James serait à des kilomètres de le comprendre. Aussi s'enquit-il de la situation de Peter. 

- Non, je ne l'ai pas vu, il ne s'est pas pointé chez Mme.Piédodu. Je me demande même s'il ne nous a pas menti pour passer son après-midi tout seul dans un recoin de Pré-Au-Lard, répondit James avec un rire. 

- Oh James, pourquoi dis-tu ça enfin ? Tu devrais te montrer un peu plus gentil avec Peter. Et puis tu sais bien que tout le monde ne va pas forcément au salon de thé, ajouta Lily avec le ton réprobateur qu'elle employait chaque fois que James avait un propos qui lui déplaisait. 

James haussa les épaules. 

- De toute façon, quelqu'un l'aura forcément croisé, ça ne tardera pas à se savoir. Et puis il a intérêt à nous raconter ! Je n'en reviens pas qu'il ne nous ait rien dit. 

- Tu n'aurais pas cessé de te moquer de lui ! s'exclama Lily. 

Elle était de celles qui faisaient attention à tout le monde et qui avaient toujours un mot bienveillant pour les autres. En toute logique, elle avait souvent reproché à James et Sirius leur manque de délicatesse avec Peter qui était - elle l'avait dit elle-même - plus fragile et qui manquait de confiance en lui. Chaque fois qu'elle se trouvait avec eux, elle faisait de son mieux pour faire sentir à Peter qu'il avait autant de valeur et d'importance que n'importe lequel de ses amis. 

- Peut-être, mais on ne cache pas ce genre de choses à ses amis. 

Sirius se redressa légèrement sur son fauteuil, en proie à une gêne qui venait de naître dans sa poitrine. Il ne coula pas un regard vers Remus. Peter avait caché qu'il avait un rendez-vous. Lui cachait bien autre chose. Il cachait tous les rendez-vous qu'il n'aurait jamais.