8 - Remus

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- Faut que j'aille pisser, s'exclama Sirius.


Le jeune homme se leva, titubant, et s'éloigna d'un pas guilleret jusqu'à disparaître au coin du cloître, à plusieurs mètres de la fontaine où ils étaient postés. Remus contempla quelques instants l'endroit où son ami venait de disparaître, l'esprit légèrement embrumé par l'alcool. Il se sentait bien, lui aussi. Le whisky avait le même effet sur chacun d'entre eux : il rendait leurs escapades nocturnes délicieusement légères et leur forgeait des souvenirs inoubliables. Remus avait tendance à perdre de son sérieux et de son calme légendaire dès lors qu'il buvait quelques gouttes. Il avait également tendance à faire des choses qu'il n'aurait pas fait sobre, notamment s'exprimer avec plus de franchise, ou avoir des idées sensiblement mauvaises.

Depuis leur conversation le jour de la Saint-Valentin, Sirius et lui n'avaient pas eu l'occasion de reparler du coming-out du jeune homme. Cependant, le Loup-Garou avait des questions à lui poser, mille interrogations, et une soudaine et furieuse envie de comprendre. Il avait aussi envie de lui parler de James. Après réflexion, il lui semblait que le jeune homme serait capable de comprendre, et que le lui dire pouvait soulager Sirius d'un poids non négociable. Remus se leva et déclara :

- Je vais voir si Sirius n'est pas tombé raide mort dans son pissoire, j'arrive.

Il se leva, s'immobilisa un instant, pris d'un tournis soudain, puis partit en direction de l'extrémité du cloître. Sirius reboutonnait son jean en sifflant un air fantaisiste. Remus surgit dans son dos avec un sourire et lui tapa dans le dos.

- Content de voir que t'es pas mort.

- Ma vessie était pleine à rabord, répliqua Sirius en se retournant vers son ami.

Il s'appuya nonchalamment au mur de pierre du château et manqua de tomber. Il se releva en riant.

- Comment ça va ? Depuis la dernière fois ?

- Ça va.

Sirius avait soudain retrouvé son sérieux.

- On n'a pas vraiment eu l'occasion d'en reparler, dit Remus.

Sirius haussa les épaules.

- Bah. Y a pas grand chose à dire.

- Tu ne veux toujours pas que James le sache ?

- Non.

Sirius secoua la tête et croisa les bras en regardant le sol. Sa tête semblait instable sur ses épaules et il menaçait de perdre l'équilibre toutes les 30 secondes.

- Comment t'as su ? demanda Remus après quelques instants de silence.

- Comment j'ai su quoi ?

- Que t'étais gay.

Sirius le regarda un instant puis éclata de rire.

- A ton avis ?

Remus secoua la tête, déconcerté. S'il lui posait la question, c'était bien qu'il n'en avait aucune idée, et ce malgré ses nombreuses réflexions et tentatives d'éclaircissement. Sirius le regarda, les yeux pétillants, laissa planer un silence un instant, puis se mit à rire à nouveau.

- OK. Bah, je l'ai su, c'est tout. Disons que à partir du moment où tu as plus envie de passer tes nuits dans les bras d'un homme que dans ceux d'une femme, il faut commencer à se poser des questions.

- Oui, mais comment tu as su ? Que tu préférais passer ta nuit dans les bras d'un homme plutôt qu'une femme ?

Sirius regarda son ami comme s'il avait dit quelque chose de tout à fait incongru.

- Ahlalala, Remus, tu m'étonneras toujours.

Remus lui lança un regard déconcerté mais Sirius n'alla pas plus loin dans ses explications. Il contempla son ami. Il avait l'impression que ses joues allaient se mettre à brûler. Il l'observa, lui et son attitude fidèle à elle-même, ses cheveux bouclés tombant son son visage carré à la barbe naissante, sa nonchalance, ses yeux bruns constamment animés de cette étincelle de confiance. Il avait l'impression de le voir d'un autre oeil. D'un regard nouveau. Soudain, à la silhouette masculine sans visage qu'il avait imaginée dans le dortoir quelques jours auparavant se superposa les traits séduisants de Sirius.

Remus savait que c'était l'alcool qui parlait pour lui, mais il eut la soudaine envie d'embrasser Sirius. Il était surpris par cette envie qui était tout à fait contraire à ses habitudes, et qui chamboulait toutes les réflexions qu'il s'était faites au sujet de ses préférences et de la façon dont il imaginait son avenir. Mais le fait était qu'il avait envie d'embrasser Sirius.

Plus spontané qu'il ne l'était lorsqu'il était sobre, Remus s'approcha de son ami et posa ses lèvres sur les siennes. Il sentait Sirius avoir un léger sursaut et il se recula aussitôt. Ce dernier le dévisageait avec un air de profonde surprise.

- Qu'est-ce que... ?

- Pardon, dit Remus en reculant d'un pas.

Sirius paru perdu un instant, et s'exclama :

- Non, non, c'est juste que... enfin ça m'a surpris. Tu es... ?

- Je ne sais pas, dit Remus en secouant la tête.

Il avait conscience qu'il aurait dû se sentir gêné en une pareille situation, mais l'alcool le rendait plus imperméable à cette sensation et il se sentait plus entreprenant qu'à l'habitude.

- OK, OK. C'est pas grave, dit Sirius.

Un sourire naissait sur son visage et ses yeux s'étaient mis à pétiller encore plus qu'à l'ordinaire. Il s'approcha de Remus jusqu'à ce que leurs deux silhouettes se rencontrent et le regarda dans les yeux un instant, presque rieur, avant de rétablir le contact entre leurs lèvres. Remus ferma les yeux, attentif à toutes le sensations qui lui semblaient soudain décuplées. Ce baiser ne lui apportait aucune réponse. Il aimait le contact de la musculature de Sirius sous ses doigts. Il aimait la sensation de son corps, tout proche, de la chaleur qui émanait de lui. Il aimait l'odeur d'alcool qui s'était échappée du souffle de son ami, il aimait sentir ses cheveux ondulés caresser son visage à lui, et sa barbe naissante frôler son menton. Il aimait l'odeur de Sirius, mais ce baiser ne lui donnait aucune réponse. Il ne savait toujours pas s'il aimait les hommes, les femmes, plus les uns que les autres, ou pas. Il n'en avait aucune idée et en cet instant, tout cela n'avait aucune importance. Il savait qu'il aimait embrasser Sirius et c'était tout ce qui comptait. Les questions qui s'étaient bousculées dans son esprit n'étaient plus, pour le moment, car il était totalement concentré sur ce baiser, sur ses mains posées sur les bras de Sirius.

Il était si profondément concentré sur toutes les sensations que ce contact lui procurait qu'il n'entendit pas le bruit des pas, étouffés par l'herbe, et qui avaient débouché au coin du cloître. 

Quatorze févrierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant