9 - James

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TW : Homophobie.

Après le départ de Remus, qui était parti vérifier que Sirius ne s'était pas endormi sur place, James et Peter étaient restés seuls un instant et un silence s'était installé entre les deux adolescents. James avait le ventre retourné par la quantité de whisky qu'il avait ingurgitée et ses yeux ne cessaient de se perdre dans le vague. Peter avait étouffé un bâillement. James avait songé un instant l'interroger à nouveau sur l'identité de sa mystérieuse amoureuse, qui lui donnait un sourire béat depuis la Saint-Valentin, mais il n'avait pas trouvé suffisamment d'énergie pour se voir offrir un nouveau refus. Peter semblait catégorique, et même si James continuait à penser que tout cela cachait quelque chose de pas net, il n'insistait plus vraiment.

Au bout d'une petite dizaine de minutes, à peine, il jeta un coup d'oeil en direction de l'extrémité du cloître avec un regard interrogateur.

- Qu'est-ce qu'ils foutent ?

De là où ils se trouvaient, ils ne pouvaient entendre les voix de Remus et Sirius et n'avaient aucune idée de ce qu'ils fabriquaient, ni même s'ils étaient encore là. Légèrement renfrogné d'avoir été abandonné ainsi par deux de ses amis, James se leva avec maladresse et s'adressa à Peter, qui s'était allongé dans l'herbe et gardait les yeux fixés sur la lune en croissant.

- Tu viens ?

Le garçon se leva à son tour, sensiblement plus sobre que les trois autres, et tous deux prirent la direction de l'endroit où Sirius et Remus avaient disparu plusieurs minutes plus tôt. Grelottant, Peter fit demi-tour à mi chemin pour retourner chercher sa cape, et James pressa le pas. Il déboucha bientôt au coin du cloître et se figea sur place, la gorge sèche, le coeur descendu d'un étage dans sa poitrine.

Contre le mur de pierre, Remus et Sirius étaient collés l'un contre l'autre et s'embrassaient, paupières closes. James contempla ce spectacle avec un air de profonde stupéfaction et sentit aussitôt un mélange de sentiments confus se déverser dans son esprit avec la force d'une vague de pleine tempête. Il ne parvenait pas vraiment à démêler ce qu'il ressentait à la vue de cette scène. Il se sentait en colère. Il ne savait pas réellement pour quelle raison il se sentait aussi en colère, mais il avait la sensation d'avoir été mis à part. Voir ses deux amis s'embrasser ainsi provoquait en lui un profond sentiment de jalousie, non pas parce qu'il aurait voulu partager ce genre de choses avec eux - pas le moins du monde d'ailleurs - mais qu'ils partageaient, eux, quelque chose qui ne leur appartenait qu'à eux et qu'ils ne pourraient jamais partager avec James. Il était également en colère de n'avoir été au courant de rien, de n'avoir rien vu, et considérait cette scène, qu'il avait surprise malgré lui, comme un trahison. Comment avaient-ils pu lui faire ça ? Comment pouvaient-ils s'éloigner si fort de l'image qu'il avait d'eux ? Il avait l'impression de ne plus les connaître.

James contempla Sirius et d'autres sentiments confus affluèrent par-dessus la colère. Il avait envie de détourner le regard. Il ne supportait pas de voir Sirius dans une telle situation, si éloignée de la façon dont il le voyait, dont il le connaissait. Ce n'était pas lui. Ce n'était plus lui, l'ami qu'il avait toujours eu. Il avait le sentiment qu'il ne pourrait plus jamais porter le même regard sur son ami, que ce dernier n'existait plus de la même façon à ses yeux, que tout était trop... différent. Ainsi, la colère, la jalousie, le dégoût presque se déversaient en lui comme un torrent, décuplés probablement par l'alcool. Il entendit à peine Peter qui était arrivé derrière lui et qui laissa échapper un petit cri de surprise en voyant Remus et Sirius enlacés.

Les deux jeunes hommes se détachèrent avec un sursaut et James contempla leurs visages avec une amertume qu'il n'avait jamais ressentie à leur égard. Comment pouvaient-ils lui faire ça ? Comment avaient-ils pu lui cacher ça ? Comment avaient-ils pu devenir comme ça ? Sirius affichait un visage catastrophé et James eut soudain envie de le gifler avec vigueur. Il n'en fit rien. Remus avait montré de la surprise d'abord, puis il avait retrouvé son implacable air de calme, de sagesse et de maturité, qui eut soudain le don d'agacer James. Il aurait dû dégouliner de honte lui aussi. Ils auraient dû se sentir coupables tous les deux, s'épancher en excuses, lui demander pardon.

Il n'auraient jamais dû faire ça.

Peter avait compris que ce n'était pas le moment de faire des commentaires, et il se tenait en retrait, recroquevillé sur sa cape, ne supportant pas le conflit, comme à son habitude. James ne savait que dire tant un millier de mots lui venaient en tête, sans un seul pour exprimer de manière correcte ce qu'il ressentait. Ce fut Remus qui prit la parole le premier :

- James, fais pas cette tête.

Il s'exprimait avec la même autorité que lorsqu'il faisait remarquer à James qu'il s'était comporté de manière odieuse. Mais cette fois, c'était lui qui était en tort.

- Vous êtes sérieux ?

C'était la seule chose qui était sortie de sa bouche, le seul témoignage de sa confusion, de sa stupéfaction. Remus fronça les sourcils sans comprendre où il voulait en venir.

- C'est quoi, c'est l'alcool qui vous donne soudain envie de vous rouler des pelles ? Vous avez perdu la tête ou quoi ? Sérieusement ?

Sirius baissa les yeux et fixa ses chaussures, tandis que Remus lui offrait un nouveau regard consterné.

- C'est le quoi le problème, James ? demanda-t-il en le fixant de ses petits yeux plissés.

James était estomaqué. Ils ne voyaient pas où était le problème ? Pourtant il y en avait un, énorme. James n'aurait su expliquer pourquoi, mais il y avait un problème majeur.

- Le problème ? Tu ne vois pas le problème Remus ? Tu étais en train de rouler une putain de pelle à Sirius, Sirius ! Depuis quand t'es branché mecs en fait ? Non, depuis quand vous êtes branchés mecs ? Et tous les deux en plus. Je rêve. Sérieusement Remus, à quel moment tu t'es dit que c'était une bonne idée ?

Remus s'apprêtait à répondre mais James ne lui en laissa pas le temps.

- En fait, ça ne te suffisait pas d'être un Loup-Garou ? Tu t'es dit que tu n'étais pas assez pestiféré comme ça, qu'il fallait en plus que tu sois PD ? Tu t'es dit que ça pouvait être sympa de ne pouvoir être accepté nulle part ? T'aimes bien avoir un putain de problème jusqu'au bout ?

James sentait les mots sortir de sa gorge avec rage, et il avait bien conscience qu'il allait trop loin. Mais c'était là son seul moyen d'exprimer la colère, le sentiment de trahison, l'amertume qui grandissait en lui. Il avait envie de le blesser, de le blesser si fort qu'il pourrait ôter de son visage son expression de calme et de sang-froid. Il voulait qu'il se sente aussi blessé et minable que lui en cet instant. Il voulait qu'il souffre, qu'il paie pour avoir détruit ainsi l'harmonie de leur petit quatuor. Et c'était visiblement efficace. Remus ouvrit une bouche ronde mais pas un son ne sortit de sa bouche. Il paraissait profondément choqué, stupéfait même, par les propos de James. Ce dernier se tourna vers Sirius et cracha :

- Et toi, alors ? C'est quoi ton problème ? T'as toutes les filles à tes pieds, pourquoi tu nous compliques la vie ? Tu pouvais pas juste te contenter d'être normal pour une fois ? Ou bien ça t'amuse de me mentir ? Oui, vous vous êtes bien amusés tous les deux.

Il lui semblait que le venin qui sortait de sa bouche était inarrêtable. C'était comme si c'était un autre qui parlait à sa place. Il voulait que Sirius relève les yeux vers lui. Qu'il lui dise, yeux dans les yeux, qu'il lui avait menti. Mais lorsqu'il regardait son ami, il voyait quelqu'un d'autre. Son baiser avec Remus tournait et tournait encore dans son esprit, désormais indissociable de l'image qu'il avait de Sirius.

- Vous me dégoûtez.

Et il tourna les talons d'un pas rapide, une grosse boule coincée au fond de la gorge, les yeux piquants et humides, l'estomac à demi-retourné par l'alcool. Il avait envie de hurler et de pleurer à la fois. Il avait envie d'enfoncer son poings à travers le mur de pierre, à défaut de le faire sur la jolie mâchoire de Sirius. Comment avaient-ils pu changer les choses ainsi ? Comment avaient-ils pu le trahir de la sorte ? 

Quatorze févrierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant