Chapitre 5

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« Cher journal,

Cela fait presque cinq ans que j'ai commencé à t'écrire, et les premiers mots que je t'ai confiés ont été « Je crois que j'ai fait une connerie. », juste après mon arrivée en Australie.

Avec le temps, j'ai réussi à me persuader du contraire. À me persuader que tout allait bien, que j'avais toujours été un garçon respectueux envers ceux que j'aimais.

J'ai eu la preuve que non aujourd'hui. J'ai vu Haru. Et dans les pires conditions qui soient.

Cher journal, tu n'imagines même pas à quel point il est devenu beau. Bon sang, si tu l'avais vu. Et si tu avais vu la façon dont il m'a regardé. Je n'avais jamais vu un tel concentré d'émotions négatives en une seule personne.

Il y a cinq ans, j'ai été le pire de tous les connards. Je ne réécrirais pas les propos que j'ai tenu, parce qu'ils me hantent déjà suffisamment comme ça, tout comme je pense qu'ils hantent le dauphin du Japon.

J'aimerais m'excuser auprès d'Haru. Je ne l'ai jamais fait. J'ai envie de lui parler encore. Je ne sais pas pourquoi, mais il m'obsède encore plus qu'avant.

Cher journal, j'ai cru être devenu un homme, mais finalement, je suis resté le même enfant égoïste qu'avant. Je veux Haru, sans même mériter qu'il me regarde. Je lui en ai voulu simplement d'être, et maintenant, je veux qu'il soit mien sans conditions. Je regrette certes, et les remords m'étreignent tous les soirs où j'essaient de dormir, mais il m'est impossible de ressentir ce que lui a pu ressentir quand je lui ai crié et hurlé les rares défauts qu'il avait multipliés par cent à la figure, comme s'il était le plus imparfait des êtres.

L'être imparfait, c'est moi, et moi seul.

Cher journal, je suis un crétin, comme tu as sans doute pu le constater dans les six cents pages que j'ai rempli ces cinq dernières années et qui ne sont, au fond, qu'un mélange d'adulation pour un homme (car il en est définitivement un) qui ne ressent à mon égard qu'une haine profonde, et un puissant déni des sujets suivant : mon homosexualité, ma bêtise, la douleur que j'ai pu causer.

Bien à toi. »

Rin lâcha doucement son stylo. Dans le dortoir, tout était silencieux. Déposant son journal sur son lit, il déplia sa longue carcasse osseuse, attrapa son maillot qui séchait sur une chaise et sortit doucement de la chambre.

Les couloirs aussi brillaient par leur vide et leur calme, qui détonnaient avec le brouhaha habituel. Cela faisait longtemps que Rin n'avait pas été seul, et dans l'obscurité, il se retrouvait enfin. L'odeur du chlore lui parvenait alors qu'il n'était qu'à mi-chemin de la piscine. Les portes des dortoirs défilaient à sa droite. Bien malgré lui, il se mit à chercher le panneau « Japan », puis détourna les yeux quand il le croisa.

Quelques minutes plus tard, il poussait les lourdes portes métalliques de la piscine. L'odeur de chlore lui agressa aussitôt les narines et il frissonna dans l'air nocturne que les baies vitrées n'arrivaient pas à filtrer. À pas lents, il s'approcha du grand bassin, ôtant son tee-shirt qu'il laissa tomber au sol, puis son bas de pyjama, avant d'enfiler son maillot.

Lentement, il se laissa glisser dans l'eau, grognant quand le liquide, glacé à cette heure, engloutit ses épaules. Il fit quelques mouvements de brasse pour se réchauffer puis commença à nager un crawl lent et régulier. La lumière de la lune à travers le toit en verre parait sa peau blanche d'éclats argentés. L'eau chlorée calme se plissait de ridules sur son passage avant de redevenir aussi plate que de l'huile. Une profonde sensation de calme l'envahit alors qu'il effectuait un demi-tour parfait. Il se sentait presque complet, loin du bruit de ses camarades, et des regards lourds que tous lui lançaient depuis cette après-midi. Le clapotis régulier de ses doigts heurtant la surface de l'eau dans cette nage presque langoureuse apaisait son âme pleine de démons.

Il naga de longues heures ainsi, sans s'arrêter, sans se reposer, seul avec ses pensées trop bruyantes et l'eau qui l'enlaçait sans fin.

Under the WaterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant