16 mars 1944
Point de vue Nelly :
Philippe vient de sortir du salon, suivi de loin par Robert. Ce dernier veut peut-être avoir une discussion avec son neveu... Je regarde Konrad et remarque qu'il est toujours assis au piano, en train d'observer Jean. Je me tourne vers celui-ci et vois qu'il me regarde en souriant. Je lui rends son sourire et me lève en prenant soin de ne pas oublier le livre. Il le remarque et sourit d'autant plus.
-Très bel ouvrage.
-Oh vous l'avez lu ? Je dois dire que de tout les livres que j'ai lu, il est de loin mon préféré. Cet amour entre Elizabeth et Mr Darcy est très palpitant !
-Je trouve aussi. Et puis le personnage d'Elizabeth est très intéressant, j'aime beaucoup son côté rebelle.
-Oui c'est vrai ! Et je trouve celui de Darcy assez complexe, ce qui est assez intriguant... Je suis très contente d'avoir pu en parler avec vous, cela a été un réel plaisir !
-Tout le plaisir est pour moi ! Et si l'on se tutoyait, ne serait-ce pas mieux ?
-Oui pourquoi pas !
Nous nous sourions tandis que j'entends Konrad en train de râler. Je me tourne et m'approche de celui-ci. Le regard dans le vide, il ne me remarque pas et continue à se perdre dans ses pensées. Lorsque que je m'assois à côté de lui, il relève les yeux vers moi et me sourit. Nous nous observons quelques instants en silence avant qu'il n'entame la conversation :
-Ça va toi?
-Oui je vais bien. Dis... Je voulais te remercier de prendre ma défense face à Jean mais tu sais, il ne pouvait pas savoir ce que ça allait provoquer...
-Je sais mais je ne peux pas m'empêcher de lui en vouloir c'est plus fort que moi !
Je baisse la tête et regarde mes mains. Mon regard tombe sur ma cicatrice au bout de mon doigt, lorsqu'une oie m'avait mordu alors que je voulais simplement lui donner à manger. Un sourire s'étire sur mon visage tandis que je repense à cette époque heureuse, loin de tous malheurs. La voix de Konrad me ramène vite à la réalité :
-Je suis vraiment désolé.
Je relève la tête subitement.
-Pourquoi tu t'excuses ? Tu n'as rien fait de mal...
-Le jour où Jean est revenu à la cour des Miracles, j'ai dit le fond de ma pensée sans peser mes mots. Je ne voulais pas te rappeler ce qu'il s'est passé, je ne voulais pas te faire mal...
-Ce n'est rien ne t'inquiète pas. Je vais bien !
Afin de le rassurer au maximum, je lui fais mon plus beau sourire puis lui tire la langue. Il rigole de mon comportement puis passe une main dans ses cheveux tout en souriant. J'entends des pas s'approcher de nous alors je me retourne, Konrad relevant simplement la tête. Jean s'appuie contre le piano et observe Konrad avec un regard qui en ferait frémir plus d'un.
-Je peux savoir ce que t'as contre moi au juste ? Je t'ai rien fait à ce que je sache. Et puis, si c'est à cause de ce qui est arrivé à Nelly, je n'ai rien à me reprocher. D'ailleurs, même elle ne m'en veut pas alors cou couche panier tu veux ?
Konrad serre les poings.
-Rendez-vous demain à l'aube dans la ruelle des tonneaux, je te règlerai ton compte. Maintenant dégage.
Tandis que Jean tourne les talons et sort de la pièce, Konrad le suit de son regard haineux. Je pose ma main sur son avant bras pour attirer son attention.
-Qu'est ce qu'il y a ?
-Vous allez vous battre c'est ça ?
-Ne t'en fait pas, tout ira bien pour moi. Par contre pour lui, je ne peux pas te le garantir...
Je souffle d'exaspération tandis que l'inquiétude s'empare de mon âme. Et si ça finit mal ? J'essaie de ne plus penser à ça et me remémore certains souvenirs depuis que j'ai rencontré Konrad. Un détail me revient alors en tête lors de notre rencontre avec Philippe :
-Konrad ?
-Oui ?
-Tu comptes vraiment aller en Suisse avec moi ?
-Pourquoi pas ? Je n'ai plus rien qui me retient ici ou chez moi alors autant en profiter et prendre un nouveau départ. Mais si tu ne veux pas de ma présence alors je m'en irai et disparaîtrai de ta vie ne t'en fait pas...
-Ah non ! Enfin je veux dire tu pourras rester avec moi cela ne me dérange pas...
Il se met à rire tandis que je me passe une main derrière la nuque, assez gênée. Il pose sa main sur mon genou et me regarde tendrement.
-Tu es si belle quand tu rougis... Je n'avais jamais vu cette facette de toi encore.
Alors que ma gêne s'accentue, il regarde dans le vide quelques instants :
-Tu sais, j'ai toujours voulu vivre dans un petit chalet au creux des montagnes, éloigné de tous problèmes de la vie. Je m'imagine être sur le balcon, une tasse de chocolat chaud à la main en train de regarder le soleil disparaître derrière les montagnes, laissant derrière lui une aura rougeâtre me rappelant qu'on a vécu des choses horribles, mais qu'on a toujours lutté, qu'on a survécu et fini par y arriver. Et si tu le veux bien, je t'emmènerai dans cet havre de paix. Je t'achèterai des dizaines de livres comme celui que tu tiens, et tu les liras dans le petit fauteuil près de la cheminée, un grand sourire collé sur ton visage. Voilà comme j'imagine notre avenir, ensemble, moi te protégeant envers et contre tout, mais malgré tout heureux comme jamais.
-J'en serais ravie, ça a l'air génial...
Une multitude d'étoiles dans les yeux, je me perds dans mes pensées avant de tourner la tête vers lui. Son regard croise alors le mien et je décèle en lui une lueur que je n'avais jamais vu auparavant. Il se tourne complètement vers le piano, le sourire aux lèvres. Nos épaules l'une contre l'autre, il ouvre le clapet et commence à jouer. Les doigts de Konrad parcours les touches, laissant s'échapper de multiples notes dans une harmonie divine. Je me surprends à observer Konrad avec insistance, celui-ci ayant les yeux fermés, continuant à jouer comme si rien autour n'existait, à part lui, moi et le piano. Il se met à sourire puis continue à jouer de plus belle, ajoutant cette fois ci plus d'intensité et de puissance, me percutant en plein cœur. La mélancolie du pianiste se fait ressentir à travers la mélodie, m'emportant dans un tourbillon infernal de souvenirs. Je finis par poser ma tête contre son épaule en fermant les yeux et me laisse porter par la douce mélodie émergeant de l'instrument, tandis qu'une larme coule sur ma joue.
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L'ennemi
أدب تاريخيFévrier 1944. La France est sous l'occupation allemande, affaiblie par une guerre interminable et sans pitié. Nelly est une jeune femme qui a vu son monde s'écrouler depuis qu'une troupe allemande a mis à feu et à sang son village et exécuté toute...