Chapitre 8 : Traître

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7 mars 1944, département de la Haute-Savoie

Point de vue Nelly :

Nous sommes actuellement le 7 mars, cela fait déjà 12 jours que le massacre de mon village a eu lieu. Ma famille me manque terriblement, et à chaque fois que je pense à eux, un sentiment de culpabilité m'envahit. Je regrette sincèrement le fait de ne pas avoir plus profité d'eux tant que je le pouvais avant la tragédie. Et puis, une part de moi me dit que j'aurais dû essayer de m'opposer aux allemands, pour que mes proches n'aient pas cette macabre destinée... J'ai longuement discuté avec Konrad à propos de cela et il a raison : si je m'étais opposée à eux, j'aurais été tué moi aussi. Et puis, quoi qu'il en soit, on ne peut changer le passé même si celui-ci est douloureux et injuste.

Il y a sept jours, nous nous sommes rendus à un petit village, après s'être fait interpeller par le side-car allemand. Nous nous sommes donc arrêtés dans une petite auberge, où Konrad a pu nous raconter en détail la conversation qu'il avait eu avec l'allemand et pourquoi il s'était mis à boiter soudainement. Lorsque j'ai appris qu'il m'avait fait passer pour sa femme, un trouble s'est installé à l'intérieur de moi. Je n'ai jamais réellement connu l'amour malgré mes 22 ans à part avec Paul, et je suis pratiquement sûre que cela va me porter préjudice un jour ou l'autre. Peut-être que je vais être naïve au point d'être trahi qui sait ? Enfin je me perds... Revenons à nos moutons.

Depuis ce jour là, nous avons repris notre chemin. Nous approchons de jour en jour du village de Philippe, endroit où nos chemins se sépareront. J'attends ce jour avec impatience et en même temps je le crains : certes, cela voudra dire que nous nous rapprochons de plus en plus de la frontière mais je vais perdre un ami et Konrad et moi seront plus vulnérable. Je me perds dans mes pensées un instant jusqu'à ce que Konrad pose sa main sur mon épaule :

-Tu vas bien ?

-Je vais bien ne t'en fait pas...

Un bruit à notre droite se fait entendre. Nous tournons la tête brusquement, sur nos gardes. Philippe s'approche de moi et prend le couteau qu'il a trouvé par terre il y a de cela deux jours et le pointe vers la source du bruit. Un homme sort des buissons et apparaît devant nous, un tas de branches dans ses bras. Il paraît surpris en nous voyant, puis fronce les sourcils en remarquant le couteau.

-Que faîtes-vous par ici ? La zone n'est pourtant pas sûre, elle grouille d'allemands ! Et si vous voulez bien ranger ce couteau cela m'arrangerait...

Je regarde les environs. Des allemands par ici ? Pourquoi perdraient-ils leur temps ici ? Nous sommes à la lisière d'une petite forêt sans importance avec une pauvre maison non loin de là, où s'étendent devant nous une multitude de plaines à perte de vue ! Je me retourne vers Konrad qui plisse les yeux. Pense-t-il à la même chose que moi? Après maintes réflexions, Philippe range le couteau à sa ceinture et regarde au alentour. Il montre du doigt une colline :

-Il n'y a pas un village derrière cette colline ?

L'homme acquiesce. Philippe se retourne vers nous, le sourire aux lèvres.

-J'ai reconnu la colline, j'y jouais quand j'étais gosse. Mon village est de l'autre côté !

Je saute de joie tandis que Konrad regarde l'homme. Il s'approche de lui, méfiant.

-Merci de nous avoir informé pour les allemands mais maintenant, je crois qu'on va y aller.

L'homme lâche brutalement son tas de bois et se précipite sur lui. Il le retient par le bras.

-Non n'y allez pas je vais vous aider !

Konrad se dégage de son emprise.

-Nous aider pour faire quoi ?

-Éviter les allemands et peut-être vous aider à passer la frontière...

-Et qu'est ce qui vous fait dire que nous avons l'intention de passer la frontière ?

Le ton sec de Konrad surprend l'homme.

-Allons allons ne vous méprenez pas ! Je m'appelle Prosper et vous?

Devant notre silence, il soupire.

-Venez au moins vous ressourcer chez moi ! Vous ne le regretterez pas vous verrez ! Ma maison est juste à l'entrée de la forêt vous la voyez bien non ? Vous ne risquez rien !

Konrad paraît septique. L'homme s'approche de moi et m'entraîne avec lui :

-Venez !

Je manque de trébucher.

-Mais monsieur je peux marcher toute seule !

Konrad me dégage de la prise de Prosper puis passe son bras autour de ma taille. Il le fusille du regard.

-Pourquoi vous êtes si insistant ! J'ai dit qu'on doit y aller vous êtes sourd ?!?

Prosper baisse les yeux en réfléchissant.

-Écoutez si je suis comme ça c'est que j'ai entendu dire que les allemands ont attaqué le pauvre village qui se trouve derrière la colline. Ma femme y était allé un matin pour nous chercher des provisions mais elle n'est jamais revenue. Je veux juste servir à quelque chose dans ce bas monde !

Konrad semble réfléchir un instant.

-Très bien, mais nous repartirons le plus tôt possible.

Prosper hoche la tête, enchanté.

***

Cela fait une heure que nous sommes assis dans des fauteuils à l'intérieur de la maison. Prosper est parti je ne sais où afin de nous trouver de quoi manger nous a-t-il dit. Je me retourne vers les garçons et constate que Philippe s'est endormi, sûrement épuisé. Quand à Konrad, il regarde droit devant lui en se triturant les mains, signe de nervosité. Je pose ma main sur la sienne pour attirer son attention :

-Qu'est ce que tu as ?

Il relève les yeux vers moi et je décèle une pointe d'inquiétude dans son regard.

-Je ne sais pas j'ai un mauvais pressentiment...

Je lui souris. Philippe se met à bouger puis s'étire en ouvrant les yeux. Il nous regarde puis prend la parole.

-J'ai entendu ta dernière phrase Konrad. Ne t'inquiète pas on est en sécurité ici, Prosper nous l'a assuré, tout va bien.

-C'est bien ce qui m'inquiète...

Soudain,la porte d'entrée s'ouvre en grand, laissant passer un Prosper tout souriant. Je me lève en lui souriant.

-Ah Prosper vous êtes de retour ?

-Oui et j'ai une petite surprise pour vous...

Sous mon regard horrifié entrent dans la maison une dizaine de soldats allemands. Konrad se lève précipitamment et me place derrière lui afin de me protéger. Je regarde Philippe qui est mort de peur, debout à côté de moi. Konrad se met à hurler :

-POURQUOI PROSPER ?!?

Le concerné s'approche lentement.

-Tout simplement parce que vous êtes des juifs, et que j'ai besoin d'argent.

Hors de moi, je me décale afin que Prosper me voie.

-Vous vous êtes trompé nous ne sommes pas...

Deux allemands me coupent dans ma phrase en me saisissant et m'entraîne dehors. Je regarde derrière moi et vois Konrad et Philippe se faire traîner eux aussi par des soldats allemands. Le soldat à ma droite se met à rire avant de me mettre une gifle. J'entends Konrad hurler avant de perdre connaissance. Est-ce la fin ?

L'ennemiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant