29 février 1944
Point de vue Nelly :
Après une demi-heure de marche à travers des champs, nous avons enfin aperçu un village. Lorsque nous y sommes allés, les rues étaient désertes malgré le peu de magasins ouverts. Les commerçants doivent payer le prix cher à cause de la guerre... Nous traversons la place en silence, regardant les alentours, méfiants. La faim se fait de plus en plus ressentir chez chacun d'entre nous, il devient urgent de trouver à manger. Je repère une épicerie au coin de la rue alors m'arrête et fait signe aux deux hommes qui m'accompagnent :
-Eh regardez ! Il y a une épicerie là-bas on pourra sûrement y trouver à manger !
Ils s'en réjouissent et nous nous y rendons. Arrivée devant la devanture, j'ouvre la porte et entre suivie de Konrad et Philippe. Ce dernier vient se poster à côté de moi alors que Konrad reste en retrait. L'épicier vient à notre rencontre :
-Qu'est-ce que vous faites ici ?
-Euh... Bonjour monsieur, nous souhaiterions avoir à manger s'il vous plaît.
-Je ne sers que les allemands.
Quoi? Ces propos me laissent perplexe. Philippe essaie tout de même de le convaincre.
-Écoutez monsieur nous avons fait un long chemin, nous sommes épuisés et affamés et...
-Ce n'est pas mon problème.
-Si c'est une question d'argent nous pouvons vous payer nous avons de l'argent !
L'épicier ricane avant de prendre son fusil et de le pointer sur nous.
-Sortez de mon épicerie maintenant où sinon vous allez avoir à faire à mon fusil !
J'entends Konrad rire avant qu'il ne nous décale Philippe et moi sur le côté pour passer devant. Il commence à parler à l'épicier de son léger accent allemand :
-Alors comme ça vous ne servez que les allemands ?
L'épicier devient blême et se met à bafouiller :
-Vous... Vous... Vous êtes allemand ?
-Ça pose un problème ?!?
La voix de Konrad est ferme et tranchante.
-Allez nous chercher à manger maintenant, tout de suite !
Son interlocuteur semble avoir saisi le message mais ne bouge pourtant pas d'un pouce. Philippe et moi nous nous regardions avant de pouffer de rire. Si à la fin, l'épicier a toujours son pantalon propre, cela sera un miracle ! Konrad tape du pied, un sourire en coin. Lui aussi s'en amuse, c'est certain !
-Je n'ai pas beaucoup de patience vieux croûton... Tu comprends le français ou peut-être qu'il faut que je te parle en allemand pour que tu saisisses le message ! Hol uns was zu essen ! (Va chercher à manger !)
L'entendre parler allemand me fait réprimer un frisson dans la nuque. L'épicier tremble de tout son long et se précipite sur les étagères. Après avoir choisi une multitude d'articles, il revient vers nous le tout dans un sac. Konrad regarde à l'intérieur puis fronce les sourcils.
-C'est tout ?
-Je... Euh...
-Va nous chercher de la charcuterie, du pain et de l'eau. On va en avoir besoin.
-Mais monsieur...
-Discute pas !
L'épicier hoche la tête péniblement et va chercher ce que Konrad lui a demandé. Pendant ce temps, celui-ci se retourne et nous fait un clin d'œil. Philippe me chuchote à l'oreille.
-Finalement, ça a du bon d'avoir un allemand de notre côté !
Je lui souris et me perds dans mes pensées. Espérons que Konrad soit toujours de notre côté... L'épicier revient et donne le tout à Konrad.
-Et bien voilà quand tu veux.
Konrad tourne les talons et s'apprête à sortir de la boutique suivi par Philippe et moi jusqu'à ce qu'il se retourne une dernière fois.
-Oh un conseil... La prochaine fois que des français viendront dans ton épicerie, fait preuve d'un peu de bon sens et sers leur ce qu'il leur faut. Après tout on ne sait jamais, tu pourrais tomber sur bien pire que moi...
Konrad se met à rire avant de sortir, tandis que l'épicier devient livide et finit par s'évanouir.
***
Nous sommes actuellement assis sur un rocher au bord d'une petite rivière, à l'ombre d'un arbre. Konrad est occupé à couper quelques tranches de saucisson, tandis que Philippe s'occupe du pain. Je suis la seule à profiter de la vue appuyée contre l'arbre. Je prends la tranche de saucisson que Konrad me tend puis mon bout de pain et commence à manger. Soudain Philippe se met à rire sans raison apparente :
-Bon sang Konrad, je n'arrive pas à croire ce qu'il vient de se passer ! Vous avez vu la tête de l'épicier ? C'était hilarant !
Je me mets à rire tandis que Konrad en rajoute une couche.
-Moi, ce que j'ai surtout vu, c'est la tâche de pipi qu'il y avait sur son pantalon...
-Pfff c'est normal ! Il a eu tellement peur de toi qu'il s'est fait dessus voilà tout !
Konrad est fier de lui tandis que je rigole de plus belle.
-Ça suffit les garçons j'ai mal aux côtes à force de rire !Pfff...
Konrad me sourit en me passant une nouvelle tranche de saucisson. Il se perd dans ses pensées puis prend un air grave.
-J'étais quand même étonné de voir qu'un français habitant dans un petit village comme celui-ci avait cette mentalité, c'est...J'en ai même pas les mots !
-Moi ça ne m'étonne même plus ! La guerre nous a au moins permis une chose : on peut maintenant voir quelles personnes sont pourries jusqu'à la moelle et des saloperies de traîtres !
-Oui c'est vrai, Philippe a raison.
-Bien sûr que j'ai raison Nelly ! Je vais vous racontez quelque chose... Vous savez, avec mon père, j'habitais un petit village en Auvergne. Un jour, des juifs sont venus et ont essayé de se cacher du mieux qu'ils pouvaient les pauvres... Je ne comprends toujours pas pourquoi ils sont persécutés comme ça m'enfin... Toujours est-il que nos voisins, qui étaient pourtant français et apparemment pour la liberté ont décidé de trahir les leurs en informant des allemands de la cachette des juifs. Un matin, ils ont été arrêté et depuis je ne les ai jamais revus. Ils sont sûrement morts...
Konrad prend un brin d'herbe et le déchire en petit morceaux, l'air perdu dans ses pensées. Je l'observe un petit moment puis l'interpelle.
-Konrad ?
Il relève les yeux vers moi.
-Tu vas bien ?
-Oui oui ne t'inquiète pas. Oh et pour répondre à ta question Philippe, dès les années 30, Hitler a accusé les juifs de faire partie des responsables de la crise de 1929 et de l'incapacité de l'Allemagne à s'en sortir. Pour lui, les juifs sont responsables de tous les maux dont souffre l'Allemagne... Il est donc nécessaire pour les nazis de se débarrasser des juifs qui sont des parasites. Enfin je te rassure, je n'arrive pas moi-même à savoir pourquoi ils font une chose pareille même en connaissant ces informations. Après tout, c'est comme si je disais que je détestais les épiciers et qu'il fallait tous les éradiquer !
Nous nous mettons à rire et avons une pensée pour ce très cher épicier, qui a sûrement dû changer de pantalon à l'heure qu'il est. Je me mets ensuite à contempler le ciel, respirant l'odeur de la campagne puis ferme les yeux, en espérant voir bientôt venir les jours meilleurs.
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L'ennemi
Fiksi SejarahFévrier 1944. La France est sous l'occupation allemande, affaiblie par une guerre interminable et sans pitié. Nelly est une jeune femme qui a vu son monde s'écrouler depuis qu'une troupe allemande a mis à feu et à sang son village et exécuté toute...