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réponse

Je ne veux pas rater une occasion d'en savoir plus sur mon assistant, quel genre de phrase était-ce donc? Savait-il que ses mots avaient l'effet d'un aphrodisiaque sur moi? Que le moindre phonème sorti d'entre ses lèvres insufflait en moi le sentiment d'être dans une oasis? Était-il fou pour prononcer si nonchalamment un possessif pour me désigner? Assez cruel pour me faire croire qu'il voulait en savoir plus alors que rien ne m'assurait qu'il jetterait ne serait-ce qu'un bref coup d'œil sur moi le lendemain?

Ou plutôt étais-je à ce point stupide et alangui pour me préoccuper autant de son mon qui bourdonnait encore dans mes oreilles? À quel moment ce garçon avait-il pris autant de place dans mon esprit? Comment était-il même possible que je puisse lui accorder une telle importance tandis que je ne connaissais rien au delà de son prénom? Depuis le départ, je ne faisais que deviner avec lui. Deviner ce qu'il aimait faire. Deviner ce qu'il aimait lire. Deviner ses hobbies. Deviner ce qu'il pensait. Deviner, rien que deviner sans n'avoir aucune affirmation. Est-ce que lui aussi jouait aux devinettes pour en savoir plus?

C'était dans cet état confus que le lendemain, dans la salle des délégués, je ruminais assis devant lui. Malgré le travail qui ne faisait que croître sous mon nez, je n'arrivais pas à me concentrer plus de deux minutes sans que mes pensées ne s'élancent ailleurs. Et Jaemin sembla le remarquer —de toute façon qu'est-ce qui pouvait bien lui échapper?

— Tu sembles agité, quelque chose te préoccupe?

Sa question était si naïve et innocente que je voulus rire. Peut-être d'un rire nerveux. Peut-être d'un rire désespéré. Quand il me posait ce genre de question, comprenait-il par mon hésitation qu'il était lui-même la réponse? Ou écartait-il complètement cette vérité?

— Ça doit être le café, j'en ai un peu trop bu.

Est-ce qu'il croirait vraiment à mes misérables excuses?

— Ah bon? Tu en as pris que quelques gorgées pourtant.

Mes lèvres s'étirèrent; il n'était pas à ce point ignorant.

— J'ai bu un Expresso avant de venir, je me justifiais. Depuis peu j'aime beaucoup déjeuner avec.

Il fit un léger mouvement et mes yeux se posèrent sur ses fins doigts qui eux-mêmes se posèrent sur la table, laissant sa plume glisser de sa main. Je pris ce geste, d'ordinaire trivial, comme une ouverture à la conversation.

— Ça commence toujours comme ça. Un petit Expresso le matin, puis ça finit en un café à toutes les pauses.

— Tu en bois à toutes les pauses? Demandais-je, curieux.

— En réalité j'en bois six par jour, parfois huit. Je suis rassasié que lorsque j'ai ma dose d'Americano, rien qu'à l'expression de son visage, je devinais tout l'amour qu'il portait pour le café. Je crois que je suis complètement addict.

— Tu crois?

Il rit.

Et je souris.

— C'est un Americano que tu bois-là?

— Oui, tu veux goûter?

J'acquiesça timidement, non sans essayer de réprimer toute la chaleur qui commençait à picoter mes joues —j'allais boire dans la tasse de Jaemin, et même si c'était probablement anodin pour lui, pour mon corps c'était un réel combat entre la gêne et la joie.

Je saisis alors la tasse qu'il me tendit et la porta à mes lèvres faisant taire toutes mes pensées qui se demandaient: est-ce que tu vas poser tes lippes là où il a posé les siennes? Tu te sens plus proche de lui, n'est-ce pas? Parce que ces réflexions pouvaient me trahir. Même si au final je n'eus pas besoin d'astreindre mon esprit au silence car la simple gorgée d'Americano m'électrisa.

— Purée c'est du poison ça.

La phrase m'avait échappé et il éclata de rire.

— Désolé, j'aurais dû te prévenir que c'était fort mais ta tête était si drôle.

Je rougis définitivement.

Quelle tête avais-je fait?

— Je-

La sonnerie m'interrompit de son habituel cri aigüe. Et je voulus l'éteindre, la casser, la briser en morceaux car je savais que ce bruit signalait non pas que le début des cours mais également la fin de notre échange et je détestais tellement cet instant où nous quittions ce bureau pour ne plus se parler.

— Eh bah, le temps file à une vitesse.

Devrais-je plutôt m'en prendre au temps dans ce cas?

— Merci encore pour ton travail Jeno, on se voit demain.

Pourtant ce que j'abhorrais pas dessus tout n'était ni la sonnerie, ni le temps. C'était son « on se voit demain », alors que nous étions dans la même classe. Que nous partagions la même rangée. Que nous sortions dans la même cour.

— Oui, on se voit demain.

Et je répondais ces mots que je n'aimais pas répondre mais que je ne changeais pas, parce que qu'est-ce que je pouvais lui rétorquer d'autre? A part prendre mon sac et quitter la pièce, mes pas sur son ombre, que pouvais-je faire d'autre?

Rien.

Je le suivais, et même si j'avais le choix de partir directement en classe, je restais jusqu'à ce qu'il ferme la porte de la salle des délégués à clef. Parce que c'était les derniers moments où je me permettais d'être proche de lui.

— Tu voulais me dire quelque chose?

J'arquai un sourcil.

— Pardon?

— Avant que la sonnerie ne te coupe.

Mes yeux se perdirent dans les siens.

Oui je voulais lire dire quelque chose. Beaucoup de choses en réalité. Cependant le manque de courage qui m'étreignait chaque fois, m'empêchait de dire toutes ces choses.

Mais et si ce n'est pas maintenant, quand?

Quand est-ce que j'aurais ce courage?

Dans un an?

Un mois?

Une semaine?

Demain?

Maintenant.

— Je... Hier tu as dit ne pas vouloir rater une occasion d'en savoir plus sur moi, je voulais seulement te dire que moi aussi... Moi aussi je veux apprendre à te connaître.

Sur mes mots, ses iris aux tons automnales se mirent à me scruter étrangement, passant de mon œil gauche à mon œil droit. Puis ils me sondèrent intensément. D'une telle intensité que je crus qu'ils étaient prêts à disséquer mon âme pour y découvrir tous ses secrets. Pour y éplucher toutes ses pensées. Ce regard me faisait peur, m'effrayait. Et devenait presque insupportable à soutenir.

Pourquoi me mirait-il ainsi?

— D'accord.

Breve.

Acerbe, froide.

Voire glaciale.

C'était sa réponse.

Et si Renjun n'était pas passé dans ce couloir à l'instant où le président des élèves m'avait tourné le dos pour s'en aller, je pense que j'aurais pu fondre en larmes.


love u ♡

Ineffable [NOMIN]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant