peut-être
Cela avait peut-être commencé ce jour, où d'une voix claire et d'un regard intimidant, le président des élèves avait bouclé son discours de début d'année. Les cheveux en arrière, la chemise repassée et les chaussures cirées, aucune imperfection ne maculait son allure. Seul son charisme inné surplombait la salle, nous laissant, un à un, happés par chacun de ses mots. Personne n'écoutait d'ordinaire ces longues et ennuyeuses présentations de rentrées, mais cette matinée-là nous n'avions jamais été aussi attentifs.
À la fin, sans que nous nous en rendions compte, nous avions tous applaudi.
Très fort.
Peut-être que tout avait commencé le mardi, quand madame Kim eut tellement de retard à se présenter en classe que nous avions tous fini par tuer le temps à notre façon. Certains étaient sur leurs portables, d'autres bavardaient, et moi je lisais mon livre. Un que j'emportais dans mon sac pour occuper mes trajets en bus. Un qu'il avait remarqué ce même jour. Je me souviens qu'il s'était installé en face de moi, et que d'un ton à demi-surpris, m'avait demandé « Tu lis du Fred Uhlman? ». À son étonnement, je n'avais rétorqué qu'un simple « Oui », presque froid. Distant. Il avait ensuite dit: « C'est rare », et j'avais seulement haussé des épaules.
Cette après-midi là, malgré mon impassibilité, il était resté assis en face de moi.
Ou peut-être qu'en réalité, tout avait commencé après mon exposé. Celui où je présentais ma critique sur l'Etranger de Camus. Je me remémore encore aujourd'hui la manière dont il m'avait regardé. Encourageant. Bienveillant. Doux. L'avait-il remarqué? Mes doigts tremblants, mon cou rosi et mes jambes paralysées; était-ce pour cela que ses prunelles exhalaient autant de compréhension? Était-ce pour m'aider à me sentir plus confortable face à la classe? Car à ce moment-là, je ne voyais plus que lui.
« J'ai beaucoup aimé ton analyse », ce fut mot pour mot ce qu'il m'avait chuchoté une fois revenu à ma place.
Et pour la première fois nous nous étions souris sincèrement.
Hier.
C'était peut-être hier que tout avait commencé. Lorsqu'en pleine pause, il s'était posté devant mon bureau et y avait glissé une feuille avec son numéro. Je l'avais fixé curieusement, mon sourcil droit devait s'être arqué tandis que j'attendais une explication. « Le directeur souhaite que je fasse une rédaction à partir de sondages concernant l'école. Il m'a autorisé à avoir quelqu'un pour m'aider, et je ne voyais que toi. Écris-moi si tu acceptes. » Sur ces paroles, il s'était brièvement courbé avant de rejoindre son banc.
Je n'avais vu que son dos le restant de la journée.
En y creusant un peu plus, peut-être n'y avait-il jamais eu de peut-être.
Que c'était juste un toujours durant tous ces mois.
Un toujours sans que je m'en aperçoive.
Un toujours qu'il n'avait fait qu'accentuer de part ses attentions.
Un toujours sur lequel je ne savais poser de mots.
Car désormais, allongé sur mon lit, le bout de papier entre mes doigts, je souhaitais ardemment lui parler.
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Ineffable [NOMIN]
FanfictionCe qu'on appelle une raison de vivre et en même temps une excellente raison de mourir.