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fœdera

Sans que je n'y prête réellement attention, l'habitude de boire du café s'était malignement imprégné en moi. Sur ma table à manger, mon habituel thé au jasmin avait pris une couleur plus tannée, un goût plus amer et une odeur plus singulière. Et à chaque gorgée de celle-ci, le souvenir des iris avelines du président des élèves fleurissait dans mon esprit.

Dans moins d'une heure j'aurais le loisir de le revoir assis en face de moi, ses mèches dorées tombant parfois sur ses yeux et ses phalanges se mouvant gracieusement sous la peau de ses doigts. Mais l'impatience me gagnant dès l'aube, j'aimais me laisser croire au petit-déjeuner que j'étais déjà dans son bureau, le regard dans le sien, avec les simples effluves de cette boisson chaude.

Seuls quelques grésillement émanant de la télévision me ramenait promptement à la réalité qui était, quant à elle, bien plus fade. Mes parents travaillant avant même que le soleil ne se lève, je me retrouvais souvent dans cet appartement désert à manger devant ce pauvre écran. Les médias étaient devenus, au fil des années, une compagnie que je trouvais presque réconfortante bien qu'ennuyante.

Célébrités, scandales, débats inutiles, et parfois, quand le pays allait mal, ils aimaient diffuser des images assez inquiétantes. Comme aujourd'hui, derrière le chignon serré de la présentatrice, une vidéo de l'effondrement du siège de l'Assemblée nationale se répétait en boucle. Les briques se détachaient l'une de l'autre sous le feu qui les consumaient, et, en grande police, était écrit: Incendie criminel ou accident involontaire? Enquête ouverte.

Je savais que cette histoire allait être relayée dans tous les journaux télévisés et ce, pendant un bon moment. L'audience, aussi saine d'esprit soit-elle, était friande de ces actualités plutôt alarmantes — comme si le Malheur avait des courbes plus séduisantes que les bonnes nouvelles. Alors sur cette aquarelle rouge qui ne cessait de se peindre et de se dépeindre, j'éteignis la télévision car demain j'allais de toute façon revoir ces mêmes nuances écarlates.





Comme un prisme, la perle d'eau ruisselante sur le front du président des élèves réfractait la lumière du couloir. Et si la culpabilité n'avait pas déjà entamé un tango dans ses billes brunes, j'aurais pu suivre le cheminement de cette insignifiante gouttelette jusqu'au creux de son cou.

— Je suis sincèrement désolé pour mon retard.

Essoufflé, il laissa ses astres aux couleurs de Jupiter éclairer mes cieux noirs, et à travers cet échange sa culpabilité prit la forme d'une émotion bien plus joyeuse. Car devant lui ne se trouvait qu'un imbecile heureux. Heureux de le voir. Heureux même si le temps s'était fait long dans ce corridor. Heureux parce qu'il était enfin là.

— Pas de soucis, je t'avoue que j'ai aussi eu un peu de retard.

Je mentais. C'était évident. Derrière cette voix faussement calme se cachait une allégresse qui ne répondait que par son nom, mais lui ne semblait pas l'avoir compris.

— Décidément, c'est pas notre matin, en un geste délicat, il fit glisser ses clefs dans la serrure de la porte du bureau et m'invita à y entrer. Je te laisse t'installer, je vais nous préparer un café.

Sur un énorme sourire, il disparut dans le couloir, le pas plus léger qu'à son arrivé. Son enthousiasme me laissa un esculent goût en bouche et je savais d'ores et déjà que mon café de ce matin serait bien fade à côté du sien.

Cette pensée me fit d'ailleurs sentir terriblement niais et une partie de moi voulut se moquer de cette nouvelle facette de ma personne si soumise à mes émotions. Je ne savais toujours pas quand est-ce que tout cela avait commencé, mais la seule conclusion que j'en avais tirée était que j'étais devenu malléable à la moindre virgule qui s'échappait de ses lèvres.

Ineffable [NOMIN]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant