7;

77 15 2
                                    

larmes

Cela faisait bientôt deux semaines et demi que le président des élèves et moi n'avions pas échangé le moindre mot. Pas une brève œillade. Pas une seule goute de café partagé ensemble. Seul mon Expresso du matin me donnait encore l'illusion d'un éphémère aparté avec lui. D'une simple conversation qui ne se déroulait que dans mon imaginaire désespéré. Parfois, je pensais à son «on se voit demain», à la façon dont il prononçait distinctement chacun de ces mots, et je me disais que finalement je ne détestais pas cette expression.

Ce que j'abhorrais en réalité était ce sentiment d'incompréhension qui grandissait en moi, cette terrible frustration et avidité qui me faisaient presque mépriser tout ceux qui entouraient désormais le président en classe. Ses amis auxquelles il accordait un sourire, une attention tandis qu'il me laissait dans l'indifférence la plus totale. Pourquoi me faisait-il ça? Lui qui a demandé en premier de mon temps, voilà maintenant que je le supplierai presque de m'allouer une seule seconde du sien. Pourquoi me fuyait-il? Pourquoi avoir soudainement arrêté nos entrevues matinales? Qu'avais-je dis de mal? Me détestait-il désormais?

Je me le demandais et j'en avais longuement pleuré, durant des nuits, n'arrivant pas à panser mes émotions si secouées et dévastées par l'idée qu'il pouvait réellement me détester. Mais ce qui était encore plus insupportable était cet instant où, avant de m'endormir les yeux gonflés par mes larmes, j'apercevais son parapluie en face de mon lit. Sa simple vue me rappelait que j'avais tout gâché. Que nous aurions au moins pu être amis, mais que nous avions fini par n'être que des inconnus aujourd'hui.

Na Jaemin. Je ne comprenais sincèrement pas la nature de ses sentiments, tout ce que je savais c'était que les miens devenaient étouffants. Alors, je pris cette décision de lui rendre la seule chose qu'il m'avait donné.

— Quelqu'un a une interprétation pour la citation Je est un autre?

À l'entente de ce passage tirée de la lettre de Rimbaud, je levai ma main pour la première fois en cours de philosophie. D'ordinaire, j'appréciais l'oubli de ma personne entre ces quatre murs, que nul ne me parle ou ne m'interroge. Mais aujourd'hui, je voulais exister parmi mes camarades.

— Oui Jeno.

— Je pense que par cette expression, l'auteur voulait dire que nous agissons selon des normes sociales et ses règles de conduites tacites, selon le regard des autres et leurs façons de penser de nous. Ce « je » que nous considérons comme étant notre propre personne, nos propres choix ne sont en réalité qu'impostures puisque nous sommes constamment dictés par des valeurs, des convictions, des habitudes qui réprouvent le « je ». Ce « je » face au monde n'est toujours qu'un « autre » que nous avons érigé.

Un silence s'abattu dès lors que mes derniers mots furent prononcés. Le temps d'une latence flotta dans l'air avant qu'une poignée d'élèves ne se retournent en ma direction, les traits tirés par la curiosité, et que le professeur ne me réponde.

— Eh bien, c'est une très bonne analyse que tu nous présentes-là.

— En réalité il parlait de création artistique lorsqu'il a rédigé cette lettre.

Une voix s'était élevée.

Sa voix s'était élevée.

— Rimbaud voulait probablement dire par là que lorsque nous créons une œuvre, nous laissons parler cet « autre » qui sommeille en nous car ce dernier n'est pas aussi censuré que le « je ». Il n'a pas de contraintes ou de valeurs, cet « autre » en nous est libre contrairement au « je » qui vit derrière des restrictions imposées par autrui ou par lui-même. L'artiste assiste donc à l'éveil de sa pensée et de son inspiration en étant seulement un spectateur.

Ineffable [NOMIN]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant