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bibliotheque

Je ne puis guère me rappeler la dernière fois où mes pieds foulèrent le sol du pont Dongho. Cela devait remonter à bien longtemps. Assez longtemps pour que mes sens, aujourd'hui, s'imaginent y venir pour la première fois —ou peut-être était-ce la présence du président des élèves qui embaumait l'air d'un sentiment nouveau? Car épaule contre épaule, tout se révélait empreint d'une couleur inusitée. D'une teinte rare et vive qui pouvait enluminer n'importe quel tableau gris. À peine étions nous sortis de l'établissement que le ciel me parut venir d'outre-mer, et que ses mèches blondes, sous ce soleil, me semblaient être faites de fils d'or.

— Dis, tu connais la bibliothèque Starfield?

Il parla. Et si je n'étais pas aussi attentif à la moindre de ses paroles, au moindre de ses mots, je ne l'aurais certainement pas entendu avec le bruit de toutes ces voitures qui roulaient près de lui. Nous étions encore au milieu du pont, à trainasser sans réellement bavarder —et c'était bien ainsi, il marchait, contemplant l'horizon, et je suivais son rythme lent, jetant quelques œillades vers lui. Parfois mes rapides regards recevaient une réponse de sa part, et lorsque ses iris avelines se posaient sur moi j'étais assuré que dans mes yeux s'y reflétaient une explosion de nuances brunes.

— Que de nom, je n'y suis jamais allé.

— Oh? Il faut absolument que je t'y emmène alors, c'est le paradis des livres, tandis qu'il parlait, son enjambée se fit plus grande. Allons prendre le bus, il nous déposera juste en face.

Mes pas s'harmonisèrent naturellement aux siens dont la cadence prit, à la fin de ses mots, une allure plus précipitée. Il ne fallut pas moins de quelques minutes pour que nous arrivions au bout du chemin et que les bruits des moteurs s'étouffent dans l'air —me laissant enfin le loisir de tendre l'ouïe jusqu'au plus petit bruissement de ses vêtements. Mes yeux, quant à eux, balayèrent le paysage, désormais dégagé, et virent un arrêt de bus s'y dessiner. Il s'agissait du 7017. Celui qui menait à Gangnam-gu, le district où je n'osais mettre les pieds.

L'embarras de ne pas être approprié à ce quartier où l'opulence prônait comme une loi, me provoquait un tel vertige que les rares fois où j'y suis allé était pour accompagner Renjun. Cependant, aujourd'hui étrangement je me sentais digne de me rendre à Gangnam-gu, car j'étais à ses côtés. Lui à la silhouette suintante d'un luxe que nul lieu n'avait. Que nul autre ne pouvait prétendre avoir tant rien ne l'égalait. Son aura débordante d'aise et de confiance rehaussait mon assurance qui se serait, d'accoutumé, écrasée à l'idée de prendre le 7017.

— Regarde, il est déjà arrivé.

— Mn? Le vrombissement du véhicule bruit dans mes oreilles et au soupir de celui-ci, nous y entrâmes.

Sans montrer nos abonnements, sans saluer le chauffeur, nous nous assîmes promptement au fond du bus, toujours nos épaules l'une contre l'autre. Ni lui, ni moi ne les avait séparées, et cela m'emplissait d'une exultation indescriptible. Presque démesurée. J'avais ce sentiment de ne pas être esseulé dans ma béatitude, que tous deux savourions ce simple contact qui ne faisait que frictionner nos tissus mais qui provoquait bien plus en bas de mon ventre.

Nous n'étions pas seuls à l'arrière du véhicule. En réalité il était même plutôt plein, toutefois, assis à cette place près de la fenêtre, j'avais l'impression que nous étions les uniques passagers.

— J'écoute souvent mes plus longues playlists quand je prends ce bus, dit-il. Tu aimes Queen?

— You know it's time for the Hammer To Fall.

Ineffable [NOMIN]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant