première heure
Une épaisse odeur de café, s'exhalant des deux tasses encore chaudes posées sur le bureau, flottait dans la salle des délégués. Elle papillonnait entre les quatre coins de la pièce et venait chatouiller nos narines de son parfum si singulier. D'ordinaire, je n'affectionnais pas particulièrement cette boisson à l'amer arrière-goût mais, étrangement, lorsqu'elle me fut proposée par le président des élèves, elle eut un arôme que je décrivis comme agréable.
— J'espère que tu as bien dormi. Nous avons beaucoup de travail pour aujourd'hui.
Les commissures de mes lèvres s'étirèrent en un léger sourire, cachant derrière cette mince risette l'absence de sommeil qui m'avait tant submergé la veille — et ce, parce qu'il avait été la source de mes tracas. La source de mes nombreuses pensées. La source d'un sentiment nouveau. Mais le simple fait de l'entendre parler en nous me requinquait d'une force que je ne me savais pas encore en réserve.
— Ça va, répondis-je alors d'une petite voix. Je suis prêt pour cette longue mâtiné.
Il rit. De son rire aux courbes enivrantes. Il riait toujours ainsi, même lorsqu'il n'y avait rien de drôle.
— C'est exactement ce que je voulais entendre.
Dans son allégresse, il sortit une volumineuse farde d'un des nombreux tiroirs du bureau. Et je compris dès lors ce qu'il signifiait par beaucoup de travail; les multiples feuilles essayant de s'échapper du dossier annonçaient d'ores et déjà une lourde besogne.
— Bon, continua-t-il. Le but est que nous tirions l'essentiel de tous ces sondages pour en faire une sorte d'enquête, et vu que nous n'avons qu'une heure tous les matins, je propose que nous nous concentrons uniquement sur ce que la majorité demande.
— C'est injuste pour les autres, soufflais-je entre mes dents, ne m'attendant pas à ce que le président des élèves m'ait entendu.
— Tu as raison, c'est injuste.
Un hoquet de surprise s'échappa de ma gorge tandis que sa paire de billes noisettes se scellèrent dans les miennes, essayant d'y démêler toute la frustration qui troublait mes iris obsidiennes. Et la peur qu'il aille au delà de ma soudaine consternation et y découvre le raz de marée d'émotions encore sibyllines à son égard, me fit détourner des yeux.
D'un murmure chancelant, je m'exprimai:
— J-Je pense que ce serait plus équitable de garder les bonnes idées des minorités et d'essayer de les mettre en lumière.
Un petit éclat de satisfaction surgit de ses entrailles, et d'une voix calme il me répondit:
— Eh bien, qu'attendons-nous pour commencer alors?
⁂
L'harmonie de nos plumes, patinant sur le papier, s'éteignit au retentissement de la sonnerie qui annonçait le début des cours. Huit heures était déjà arrivé et bien que nous n'ayons pas spécialement dialogué durant ces longues minutes, je ne voulais pas quitter cette pièce où nous nous faisions face. Car je savais qu'en salle de classe, je ne verrais que son dos.
— C'est passé vraiment vite, on doit déjà y aller...
Le président des élèves s'affala sur le bureau, une mine faussement boudeuse peignant ses traits fins. Son bref soupir affichait délibérément le manque d'entrain qui le submergeait et je pouffai face à cette scène. Il avait cette facette enfantine plutôt inattendue mais qui le rendait attachant à mes yeux — comme la tantôt, lorsqu'il ne sut lire l'écriture illisible d'un élève et qu'il gonfla ses joues, retroussa son nez et plissa les paupières dans une expression adorable.
Se rendait-il compte qu'il avait ce côté mignon dès qu'il travaillait?
— Oui, en plus c'est le cours de madame Choi, faut pas être en retard.
— J'ai pas envie, je déteste les sciences.
Je ris.
Il mentait.
— Tu es le meilleur en sciences pourtant.
Il souffla à nouveau, mais cette fois-ci avec les lèvres élongées dans un sourire.
— Raison de plus pour ne pas y aller non?
— Est-ce que le président songe à sécher?
— Si seulement, il se releva laissant Bruns et Noirs se croiser. Mais madame Choi va sûrement péter un cable, je l'imagine bien m'en vouloir jusqu'à la remise des diplômes.
— La remise? Elle t'en voudrait jusqu'à la mort plutôt.
Et il s'esclaffa, provoquant une ambiance gai qui me donnait encore moins le goût de retourner en classe.
— Elle en est tellement capable en plus.
Toutefois quand il faut y aller, il faut y aller. Alors dans un dernier rire, nous prîmes nos affaires et rejoignirent nos camarades déjà installés, reprenant amèrement cette routine dont nul ne se réjouissait.
La suite de cette matinée, comme je m'y attendais, je ne vis que son dos.
Ses épaules carrées et sa nuque dégagée me firent presque demander si ce début de journée exista, si je n'avais pas seulement rêver. Mais le souvenir encore frais de ses prunelles dans les miennes me rappelèrent à la réalité et le soir venu, face à mon plafond, je ne fis qu'y songer; à ces perles brunes.
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p'tit chapitre chill, see u soon
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Ineffable [NOMIN]
FanfictionCe qu'on appelle une raison de vivre et en même temps une excellente raison de mourir.