Chapitre 14 : J'regarde à gauche

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« Tonia m'a désigné pour te remettre ceci Sabri. ». Aboubakr tendit à Sabri un trousseau de clés peintes de différentes couleurs. Ce dernier venait à peine de franchir l'entrée qu'Aboubakr le prévenait déjà des spécificités. « La bleue ouvre cette porte, la verte déverrouille la serrure du hall quand le badge ne fonctionne pas, la violette concerne la boîte aux lettres et la marron pour le local à poubelles. Bienvenue chez toi ! ». Même si Aboubakr était le messager le plus fidèle et honnête de Tonia, Sabri ne comprit pas pourquoi elle n'avait pas accomplis ce geste si symbolique.

« Pour répondre à ton questionnement silencieux, Tonia se repose encore dans son lit. Elle traverse sa mauvaise période du mois. Tu vois ce que je veux dire ? », s'annonça Sayyid qui travaillait ses cours sur la table du salle à manger. À l'entente de son tic langagier, Sabri sourit et s'avança vers l'étudiant afin de lui serrer la main. Il la lui saisit avec plaisir, ayant déjà pardonné son fameux épisode. Rayan, Paul, Sayyid, Aboubakr, Laïs et Ahmed étaient moins rancuniers que leur sœur et ce fait demeurait la raison pour laquelle ils ne se sentaient plus méfiants envers Sabri. Quelconque invitation de Tonia resterait de toute façon incontestable. Tonia connaissait la personne se tenant en face d'elle.

« Ouais. », grimaça Sabri en guise de réponse. Il ne savait rien à propos des cycles naturels des femmes mais était quand même soucieux des douleurs qu'elles ressentaient. N'importe quel sujet relatif à la santé ne devait tout simplement plus être caché.

« Tonia sera soulagée de te voir bien qu'elle cachera son look gueush sous la couette. T'inquiète pas de la chaleur de sa bouillotte et son teint blafard. Elle aura des nausées et des crampes mais je pense que ta présence, ton soutien et ta compréhension l'aideront beaucoup dans la gestion de sa douleur. ». Laïs lisait souvent sur l'un des canapés du salon et cette habitude lui permettait d'être capable de continuer son occupation sans lever les yeux. Il adressa cependant un geste de salut à Sabri.

« Je vous jure que ma femme réquisitionne tout les gars ! Heureusement que c'est bien rangé ici. ». Ahmed apparut de la chambre qu'il occupait avant que Laïs ne revienne y vivre avec une panière à linge remplie de plusieurs paires de draps correctement pliés. Paul le secondait parce qu'il était l'intendant de l'appartement, réputé pour classer chaque objet par ordre alphabétique. « Comment vas-tu Sabri ? Demande à Tonia ton invitation concernant la pendaison de crémaillère que mon épouse organise scrupuleusement la semaine prochaine. Salam les gars ! ». Ahmed s'en alla dans un tel tourbillon que Rayan, Paul, Sayyid, Aboubakr, Laïs et Sabri apprécièrent le calme retrouvé. 

Sabri se dirigea enfin vers la chambre de Tonia après cette activité dynamique. Avant de la réveiller, il s'arrêta naturellement devant celle de Rayan qui s'octroya une pause dans ses révisions : « Veille bien sur ma sœur. ».

Sabri acquiesça et se trouva pour la première fois tranquille. Il toqua alors contre le bois et distingua une petite voix lui accordant l'autorisation de rentrer. Tonia était couchée sur son côté gauche et était donc en face de ses volets fermés aux trois-quarts. Des courants de vents frais diffusaient néanmoins une ambiance agréable malgré l'importance des soins... La table de nuit de Tonia ne comportait en effet plus une lampe, son téléphone et un livre mais une bassine remplie d'eau avec un gant de toilettes, une bouteille d'eau et des médicaments. Sabri s'approcha précautionneusement jusqu'à subitement se glisser contre son corps chaud.

Tonia grogna et tourna sa tête vers Sabri. Il était le témoin impuissant d'une souffrance qu'il n'endurerait jamais et cette vision le convainquit de son engagement indéfectible envers elle. Il posa son menton sur la clavicule de Tonia et ses doigts sur son estomac. Il sentait des... Contractions et elle convulsait à chaque fois. Il la serra fort contre lui et ce geste ébranla Tonia qui l'en informa de suite : « Je vais bien Sabri. Je subis juste de la fatigue, des spasmes et parfois des courbatures et maux de têtes. ».

« Tu parles. T'es vidée de la plupart de ton énergie à cause d'un sommeil déglingué et de tes organes et muscles marchant au ralenti. Mais j'suis avec toi habibti. J'bouge aps tant que tu me diras pas que t'as faim. ». Sabri sentit la cage thoracique de Tonia parcourue d'un haut-le-cœur. Ce geste ne l'empêcha pas de l'embrasser près du coin des lèvres. Il devait prouver qu'il était présent durant chaque instant, qu'elle soit en bonne santé ou amochée.

Tonia éprouvait pourtant admirablement le mal physique. Elle respirait avec calme mais ne pouvait s'empêcher de sursauter à chaque coup donné et aussi subi par son corps. Sabri se trouvait près d'elle et massait d'une dévotion incomparable ses mains crispées par l'endurance mentale. Ils vivaient dans ce silence qui rapprochait un couple et surtout l'endurcissait. Elle se détendait à chacun des baisers, caresses et câlins de son homme. Tout à coup, Tonia et Sabri sursautèrent.

« Et j'regarde à gauche oui. ». Sayyid hurla l'une des paroles d'Ademo du son Kuta Ubud résonnant grâce aux enceintes branchées sur le tourne-disque. Il avait reçu le vinyle.

« C'est Et j'roule à gauche oui Sayyid ! Tu apprends depuis sept jours un texte en arabe que tu sauras interpréter à la perfection mais tu es incapable à te remémorer six mots de français ! ». Aboubakr détestait les paroles mal apprises et ce trait de perfectionnement prouvait son implication totale dans son travail.

Tonia et Sabri aimaient ce quotidien rempli d'honnêteté, de respect et partage. Ils ne bougèrent plus  du lit, trop heureux d'être protégés par l'étreinte de l'autre qui représentait désormais l'amour.

Le monde te mérite - PNL (Bené)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant