Un Réveil Difficile Part. 9

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Le président demanda à ses invités d'être patient, car lui et monsieur Duchausson avaient à s'entretenir dans son bureau.

-Je vous en prie, dit le président à l'égard d'Antoine en lui assignant un fauteuil. Je fais appel à vous, en ce jour si important pour mo... Pour la nation, car je pense que vous pouvez constituer un excellent porte-étendard pour notre parti.

Antoine réfléchit un instant et se claqua la main sur le front en se rappelant que les élections présidentielles se tenaient aujourd'hui ! Il n'avait jamais été épris de politique... Mais de là à en oublier l'un des plus importants événements du pays...

-Mais, s'écria-t-il, je n'ai rien à faire en politique, ou dans quoi que ce soit moi ! Je suis qu'un mec tout à fait normal... Je ne dis pas que vous n'en êtes pas un aussi, hein ! Mais voilà... Je n'ai aucun talent particulier, je n'ai aucun mérite et je n'ai aucune idée de pourquoi tout le monde semble me connaître !

Un homme dissimulé derrière la porte et qui avait écouté toute la conversation, s'élança dans la grande avenue où s'étaient regroupés des milliers de personnes en transe ; il cria : "Ecoutez moi mes frères ! Antoine Duchausson, en plus d'être célèbre est un homme humble !"

Cette annonce fit redémarrer le flot d'acclamations de la foule. Foule tellement dense, que certaines personnes devaient se serrer pour avoir de la place au plus près d'Antoine. Les derniers arrivés, ne pouvant plus s' insérer dans les rues bondées, se contentaient de rester en banlieue, s'équipant d'amplificateur de son, pareils à ceux qu'on utilise pour entendre les ours des forêts Pyrénéennes, et fermant les yeux, pour entendre le tohu-bohu du centre-ville et s'en imaginer l'ambiance...

-Le peuple vous aime Antoine, dit le président, à l'intérieur du bureau qui leur assurait un calme privilégié.

-Je veux bien le croire mais...

Antoine fut interrompu par la sonnerie d'un téléphone. Le président se leva, décrocha et s'arrêta devant la fenêtre.

-Allô ? Dit-il en laissant tout bonnement son invité en plan. Ah priviet mon ami ! Comment va votre mère ? (Il se tourna vers Antoine et chuchota) C'est le président russe.

Antoine put comprendre quelques bribes de mots. La conversation tournait autour d'une potentielle réélection du président, que la Russie soutenait corps-et-âme.

"Vous seul pouvez diriger la France", finit par déclarer le président russe avant de raccrocher.

-Où en étions-nous mon cher ? demanda le président.

-J'allais dire que je n'étais pas capable de mener un parti ou...

-Vous n'en serez que la figure de proue, rassurez-vous ! Et moi, j'en serez le capitaine à la barre, mon brave.

Dans la seconde qui suivit, il reçut un second appel et reprit sa position face à la fenêtre pour décrocher.

-Oui, allô ?... Hello lady ! Comment va votre pè… Oups j’oubliais. dit-il cordialement. (Il se tourna une fois de plus vers Antoine et lui chuchota en se penchant en avant) "C'est la reine d'Angleterre."

-Jamais une homme pouwait diwiger ce pays mieux que tu, darling. Good luck !

-Thank's you very much, lui répondit amicalement le président avant de raccrocher en disant : bye my friend !
Le président ne se rassit pas et invita Antoine à le suivre.

-Maintenant, dit-il, il est l'heure de vous présenter à la foule et de les convaincre de voter pour moi !

Antoine acquiesça, son teint habituellement pâle et légèrement rougeâtre sur le bout de son nez (Teint, symptôme d'une consommation d'alcool régulière), était maintenant écarlate, comme si un quelconque aliment encombrait sa trachée et qu'il était en train de s'étouffer en silence.

Il s'était longuement questionné sur la relation qu'entretenait le président avec les autres chefs d'états. Il avait imaginé les rencontres diplomatiques ou les appels téléphoniques comme hypocrites, froids, stratégiques ou captieux, et cette nouvelle vision des choses le perturba beaucoup.

De plus, il n'avait jamais eu affaire à autant de personnalités importantes en un temps si restreint... Tout bien réfléchit il n'avait jamais eu affaire avec qui que ce soit d'important.

Arrivés sur le pas de l'entrée principale du palais, le président salua le peuple avec de grands gestes précis et entraînant. La foule se tourna vers lui et applaudit ; sans faiblir ni accentuer leur entrain.

Derrière lui, s'avançait timidement Antoine Duchausson. Les rougeurs dont son visage avait été tapissé un court moment, furent remplacées pour céder la place à un blêmissement tout aussi soudain que puissant. Il était paralysé par cette immense foule qui se ruait sur ses gardes du corps pour l'acclamer.

Certains criaient son nom ; d'autres ne le faisaient pas, ou qu'à moitié, car ils ne le connaissaient pas ou l'avaient oublié. Ils ne savaient qu'une chose : qu'il était populaire ; une des personnes les plus importantes du monde entier, et cela leur suffisait.

Dans cet amas d'humains, Antoine aperçut à de nombreuses reprises, son visage trônant majestueusement aux vents, sur des banderolles portées par des fanatiques, comme autant d'imposantes barques voilées au milieu de l'écume.

Quand il s'avança, ce ne furent plus des cris et des applaudissements qui envoutèrent l'avenue, mais des hurlements et des gémissements d’extase. Des pétards explosaient, des jeunes tambourinaient sur les abris-bus, le sol ou même les voitures avec tous les membres dont leur corps était pourvu. La foule était ivre de lui. Et lui, savait qu'il n'avait jamais eût aussi peur de toute sa vie. Mais, au fond, une partie enfouie de son être commençait à apprécier cette gloire si soudaine. Il se sentit foudroyer par un désir de grandeur. Toute sa vie, il avait vécu comme un mouton ; à chaque instant de son existence, il avait suivi la masse ; quand on voulait obtenir quelque chose de lui, on l'avait traité avec une hypocrisie masquée sous des apparences chaleureuses,  et on l'avait traité comme un chien tout le reste du temps ; tellement de fois qu'il avait fini par se convaincre qu'il en était un, et qu'il ne méritait pas mieux.

Désormais, tout cela était révolu, il avait décidé de prendre sa revanche sur la vie. Il allait enfin devenir qui il avait toujours secrètement désiré être.

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