Chapitre 5 (3/4)

496 98 0
                                    

Devant elle, le lac s'étendait à perte de vue. Le vent faisait doucement frémir les vagues, et le reflet de la lune scintillait sur la noirceur de l'eau, créant un miroitement magnifique. Zeonn était aux yeux d'Aryha la plus belle des lunes, cercle parfait ponctué de trois trous en son centre. En penchant un peu la tête sur le côté, on parvenait à y distinguer comme un visage. Ces trois cavités arrondies lui donnaient un air effroyablement choqué ; deux yeux écarquillés comme des billes et une bouche en forme de « O » qui faisait souvent rire Chad quand Aryha l'imitait, les mains sur les joues.

En jetant un regard aux alentours, la jeune femme caressa inconsciemment la surface de l'arbre. Il n'y avait pas âme qui vive à la ronde, et pas un bruit.

En retenant un sourire d'excitation, la jeune femme s'élança sur la plage, quittant l'abri sécurisant des bois. Filant droit, elle savoura le vent sur son visage, l'odeur de la nuit, si différent de celle du jour et pourtant si semblable.

Le sable s'enfonçait sous son poids à chaque foulée, c'était différent que de courir dans les sous-bois. Autrefois, Chad aimait venir jouer ici. Désormais, cet endroit était trop à découvert.

Aryha ne s'arrêta de courir que lorsque la pointe de ses chaussures frôla l'eau. Des mèches de cheveux se placèrent devant son visage, elle les replaça en arrière d'un geste rapide. Elle nota dans un coin de sa tête d'effacer en partant les traces de ses pas sur le sable.

S'accroupissant, Aryha tendit le bras pour toucher l'eau. Elle était glaciale, et la jeune femme frissonna en souriant. Elle aurait aimé s'y plonger toute entière. Mais il faisait bien trop froid pour cela, et il ne fallait pas qu'une maladie entre dans l'enclave, ou s'en était finit d'eux tous.

En contrepartie, Aryha y plongea une main en coupe, admira quelques instant la déformation mouvante que le courant créait sur ses doigts, et la porta à sa bouche pour boire. L'eau claire et fraîche était comme du miel sur sa gorge sèche. Elle prit encore quelques gorgées, comme pour se nettoyer de sa nuit. Sa nuque eut droit elle-aussi à une caresse humide qui la fit grelotter un court instant.

Se redressant, elle fit rouler ses épaules, admirant une dernière fois ce beau spectacle, celle de l'eau libre. Combien de fois les Cavaliers étaient-ils passés par là ? Peut-être qu'ils avaient même bu de cette eau. Avaient-ils besoin de boire, d'ailleurs ? Aryha secoua la tête. La question était stupide et futile.

Elle s'apprêtait à retourner à l'enclave, quand un détail sur la rive la fit s'arrêter net dans son mouvement.

À quelques mètres, un homme la regardait, droit dans les yeux.

Il était à moitié étendu dans l'eau, et le haut de son corps reposait près d'un amas de rochers sombres comme du jais.

Terrifiée, Aryha recula d'un pas, manquant trébucher sur son étole tombée au sol.

Les sourcils plissés, il semblait souffrir le martyr. Il ne bougeait pas, ses jambes étaient immergées dans l'eau. Probablement gelé jusqu'aux os.

La jeune femme n'hésita qu'une seconde. Lançant un coup d'œil à la ronde, elle s'approcha prudemment. Elle remarqua que le visage de l'homme, sous ses mèches de cheveux clairs, était détendu et ses paupières closes. Il était si immobile qu'Aryha se demanda si elle avait rêvé la souffrance sur ses traits et la noirceur de son regard.

À quelques pas, elle s'arrêta, pencha le haut du corps en avant pour être entendue malgré le ressac des vagues sur les rochers.

— Monsieur, vous m'entendez ?

Il ne répondit pas, et Aryha s'avança encore. Elle jeta un coup d'œil circulaire sur la plage, et remarqua enfin toutes les traces de lutte un peu plus loin sur le sable. Les cris entendus cette nuit venaient, sans aucun doute, de cet endroit. Un cercle noirci entouré d'une pile de pierres effondrées indiquaient même qu'un feu s'était trouvé là.

Aryha reporta son attention sur l'homme, et, arrivée à sa hauteur, s'accroupit avec réserve. Hésitante, elle leva le bras. Il était tremblant, et ce n'était pas à cause du froid ambiant. Sa main se posa sur son torse et elle fut rassurée en y sentant un battement. Il était régulier, mais peut-être un peu faible.

En retirant sa main, elle remarqua que ses doigts étaient humides et poisseux. Sous la lumière de Zeonn, elle inclina la main pour mieux l'observer. Son cœur sembla rater un battement en avisant les reflets écarlates. Il était blessé.

L'inconnu visiblement inconscient, Aryha cessa d'être intimidée. Sans perdre une seconde, elle ouvrit les pans de sa chemise sans faire attention aux boutons qui se répandirent dans le sable autour d'eux.

— Par les lunes, souffla la jeune femme, profondément meurtrie par tant de violence.

Le torse de l'homme ne possédait plus une seule parcelle de peau saine. Il était si lacéré, entaillé et coupé qu'Aryha se demanda s'il allait pouvoir survivre. On voyait même par endroit des morceaux de côte dépasser de sa cage thoracique. Ce devait être terriblement douloureux, il devait être à l'agonie !

Aryha se retint de se tourner sur le côté pour vomir.

Ne sachant pas quoi faire, elle laissa planer ses mains au-dessus du torse déchiqueté, au bord de la panique. Qui avait bien pu faire une chose pareille ?! Était-ce là une œuvre des Cavaliers ? Elle lança un regard inquiet en direction du lac. Ou bien celle d'un animal marin ? De simples hommes possédaient-ils en eux la cruauté nécessaire ?

Aryha secoua la tête. Il ne fallait pas se disperser. Ce n'était qu'un simple état de choc. Elle déglutit pour se donner le courage de baisser les yeux sur l'horreur proférée à cet homme. Avec toute la délicatesse dont elle pouvait faire preuve, elle palpa ses bras. Sous le tissu ample, les blessures étaient elles-aussi nombreuses, ponctués de bosses, de creux suspects et d'angles qui n'avaient pas lieu d'être. La jeune femme sentit son cœur se serrer.

Du bout du doigt, elle repoussa la mèche de cheveux blonds qui barrait le front de l'étranger, et sa tête bascula sur le côté, révélant son profil. Aryha étouffa une exclamation d'horreur. Son visage, à moitié brûlé, révélait une partie de son crâne. Comment pouvait-on encore être vivant après avoir enduré tant de torture ? À présent, son torse s'élevait et s'abaissait de manière constante, signe qu'il respirait encore malgré les os proéminents qui sortaient de son corps, illuminés par Zeonn d'un éclat nacré.

Soudain, un craquement retentit à la lisière de la forêt. Aryha hoqueta en sursautant. En une seconde, elle fut sur ses pieds, se maudissant d'avoir laissé tomber sa garde. Le regard braqué sur la silhouette immobile, à l'endroit exact où elle se trouvait plus tôt, son cœur se mit à cogner jusque dans sa gorge, renforçant son envie de vomir. Ce court moment de faiblesse aurait pu lui être fatal. Elle s'en voulu d'être si vulnérable, beaucoup trop à découvert. 

Quand les Cavaliers semèrent l'Apocalypse - tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant