L'énorme rocher qui servait de porte roula lourdement dans son dos, plongeant le hall dans une pénombre agréable. Quelques bougies avaient été allumées en son absence, et une odeur de cire fondue flottait dans l'air rance de la grotte.
Pestilence n'aimait pas la lumière des lunes. Il n'aimait pas le temps qu'elles mettaient à foutre le camp. Il n'aimait ni leur forme ni leurs noms débiles.
Il n'aimait pas grand-chose. Rien ni personne, en réalité. Il y avait toujours du mauvais, partout. Partout, surtout dans l'âme des gens. Toujours. En creusant un peu, on finissait toujours par tomber nez à nez avec une magnifique laideur.
Épuisé, Pestilence secoua la tête en levant les yeux au ciel. Il se frotta le front. À ce geste, son armure grinça, et il se souvint qu'il la portait encore. Parfois, il l'oubliait.
Il se leurrait, il en était conscient.
Il en avait plein le cul.
Plein le cul de tout. De ces foutues lunes, de ces humains merdiques complètements perdus, de ces journées interminables et toutes parfaitement identiques, interchangeables. Plein le cul de cette vie inutile. À quoi bon vivre pour détruire ?
Pestilence se détestait d'aimer ça.
Las, l'homme leva avec difficulté son bras pour retirer son arc. Ses extrémités en métal reflétèrent la lueur de la bougie la plus proche durant une seconde. Libre, il fit rouler ses épaules, qui craquèrent sous le mouvement.
Porter l'arc en travers du dos était... plaisant. Son poids était agréable. Familier. Même si Pestilence le détestait. Avec révérence, il le déposa sur le socle qui lui était dédié. Une sculpture offerte par Mort, un amas d'os qui faisait honneur à un buste de femme. Ses bras fins, tendus vers les cieux, formaient le parfait réceptacle pour l'objet de tous les cauchemars et les doigts gracieux épousaient à merveille la poignée froide de l'arc.
Cette arme était une abomination. Une magnifique abomination, tout comme Pestilence. Et cette maudite statue, à la beauté égalant celle de l'arc, était toute aussi hideuse.
L'homme qu'il était n'avait pas besoin de sommeil pour exister, mais si Pestilence venait un beau jour à sombrer dans les bras de ce connard de Morphée, aucun doute que ses nuits seraient peuplées de carnages incluant cette horreur d'arc. Sa beauté lisse et ensorcelante ne faisait que masquer sa laideur.
Avec un pincement, Pestilence se força à détourner le regard. Il était debout, immobile devant l'arme depuis plusieurs minutes déjà. Son pouce s'était même mis à caresser sa froideur d'un geste machinal.
Cet arc l'appelait. Il l'appelait toujours.
Pestilence le détestait. Le détestait de lui faire aimer ce qu'il faisait.
Il n'aimait rien.
Avec un effort, Pestilence tourna le dos à l'arme, et se força à avancer un pied, puis l'autre. Putain, qu'est-ce qu'il avait envie de retourner auprès de lui !
— Va chier, cracha-t-il entre ses dents serrées.
Prenant une profonde inspiration, il accéléra le pas. Ses lourdes bottes résonnaient entre les murs de pierres. Et elles laissaient des traînées de sang sur le sol.
Garder un intérieur neutre de toute futilité était nécesaire à sa santé mentale. Il ne pourrait pas vivre comme Famine, à conserver chaque babiole qui passait sous sa main pour l'exposer à sa guise. La demeure de son frère ressemblait à une exposition grotesque. « Venez visiter ce qu'il reste des villages ravagés par les Cavaliers ! Cinq lunes l'entrée. »
À choisir, il préférait sa grotte en flanc de montagnes. Elle avait tout du mausolée, c'était reposant. Son animosité décourageait quiconque à venir lui rendre une petite visite de courtoisie. De toute manière, personne ne voulait voir l'antre d'un tueur sanguinaire.
Quand bien même, si les murs taillés à même la roche, le sang étalé sur les parois extérieures en guise de mise en garde, ou la quasi absence d'oxygène n'étaient pas assez dissuasifs, Pestilence espéraient que la température glaciale le serait. Il n'aimerait pas se retrouver avec un intrus après une telle journée.
Épuisé, Pestilence parcouru quelques mètres, retirant les sangles qui maintenaient parfaitement son armure lorsqu'il combattait à cheval. Elle était rouge de sang. Morceau par morceau, les plaques de métal tombaient au sol dans un fracas terrible. Personne n'était là pour se plaindre du bruit, alors il continuait, comme chaque soir depuis des siècles, marchant à travers les dédales de couloirs. En réalité, même s'il y avait eu quelqu'un pour se plaindre, il aurait continué quand même. Il n'en aurait rien eu à foutre, il le savait.
À un moment, il s'arrêta. En fronçant les sourcils, il jura.
— Lucifer ! hurla-t-il de sa voix rauque en avisant son absence.
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Quand les Cavaliers semèrent l'Apocalypse - tome 1
Paranormal"Le pouvoir leur fut donné sur le quart de la terre, pour faire périr les hommes par le glaive, par la famine, par la mortalité et par les bêtes sauvages de la terre." C'est de cette manière qu'on annonça les Quatre Cavaliers qui débarquèrent sur Ne...