Chapitre 4 (1/3)

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Pestilence ouvrit les yeux d'un coup. Il était temps. Allongé sur son lit depuis de longues heures, il savait désormais que la nuit était passée, et qu'il était temps de faire ce pour quoi il était là.

Ses Frères étaient probablement en train de faire de même. Se lever d'un lit où ils ne dormaient jamais. S'humidifier le visage pour faire passer les cauchemars qui se cachaient derrière leurs yeux ouverts. S'équiper de manière automatique, pièce par pièce, pour espérer en finir au plus vite avec toute cette merde.

Les humains n'étaient pas coriaces, mais ils étaient nombreux. Par chance, grâce à Famine qui avait rendu toute forme de vie stérile, ils avaient cessé de pouvoir se multiplier. Un poids en moins. Le dernier serait réellement le dernier. Il n'y en aurait plus jamais d'autre.

Pestilence jura à voix haute en entendant Lucifer approcher. Il jappait comme un forcené en se contorsionnant l'arrière-train, pressé de sortir. Sans doute pour expulser l'oiseau entier qu'il s'était enfilé la veille.

L'homme leva les yeux au ciel avant de se diriger vers la sortie, la créature suppliante sur les talons. Il attrapa au passage l'arc et son carquois plein, sans un regard, faisant semblant d'ignorer son putain d'appel. Dans sa paume, la poignée glaciale frémissait, comme heureuse du carnage qui approchait. Qui allait arriver, irrémédiable.

Pestilence leva la main à l'horizontale et le rocher qui bouchait la sortie roula comme par magie sur le côté, libérant le passage. Lucifer le dépassa comme s'il avait le diable au cul, couinant de sa future libération.

Soudain las, le Cavalier soupira et se laissa choir sur le rocher le plus proche. Il pleuvait un peu aujourd'hui, et les quelques gouttes qui rebondirent contre son armure l'agacèrent. Elles n'étaient pas assez nombreuses, ne le cognaient pas assez fort, pas comme il l'aurait mérité.

Tout autour de lui, une étendue immense se déroulait, tel le parchemin de dieu. Il y avait de tout. De la terre, de l'eau, des montagnes, des rivières, des falaises. Des humains aussi, cachés, partout. Un vent glacial soufflait, s'engouffrant dans son antre en sifflant. La porte laissée ouverte ressemblait à la bouche béante d'un chien des Enfers.

Pestilence se détourna. Il préférait regarder à quoi ressemblait le monde. Au sud, un brouillard dense l'empêchait de voir le Lac des Glaces, mais il savait que Mort s'y trouvait. Est-il aussi enthousiaste que moi à l'idée de ce nouveau jour ? Cette question était rhétorique. Elle n'avait pas besoin de réponse, et Pestilence non plus.

Au sud-est, Famine vivait sur une petite île, reliée à Nevrasca par un pont de corde usé jusqu'à la moelle. Cependant, une chaîne de montagne au centre du pays lui bloquait la vue, même du haut de son piton. Peu importe. Il le verrait bien assez tôt. Beaucoup trop à son goût.

Et à l'est, la forteresse de Guerre, illuminée de l'intérieur comme une lanterne maléfique, témoignait de l'agitation perpétuelle qui le caractérisait si bien.

En contrebas, un nuage de brume s'élevait avec lenteur du lac de Mandea. La lumière des lunes se reflétait dessus, donnant à ce nuage naissant une lueur fantomatique.

Pestilence se leva. Il était temps, la vibration de l'arc était trop intense pour être retenue.

— Viens et vois ! tonna-t-il d'une voix forte en levant le bras en l'air, celui qui tenait l'arc.

À ces mots, des papillons se mirent à sortit de sous son armure. Des dizaines et des dizaines d'ailes claquantes se mirent à tournoyer, s'attroupant pour créer un amas batifolant.

Leurs ailes émirent soudain une lumière aveuglante, et ils semblèrent se souder les uns aux autres. Rapidement, leur éclat disparut, et un énorme cheval à la robe immaculée se tint à leur place.

D'un saut, Pestilence se jucha sur l'étalon, son comparse d'infortune, celui qui l'accompagnait en tout temps. Conquête secoua la tête, et sa crinière blanche suivie aisément le mouvement.

L'homme lui flatta l'encolure, fit passer son arc dans son dos et entremêla ses deux mains dans la crinière aux longs poils blancs. Puis il le talonna. À ce mouvement, le cheval s'élança, bondissant dans le vide. Il galopa le long de la falaise, presque à la verticale, et Pestilence se pencha en avant, comme pour mieux fendre l'air.

À chaque fois qu'ils faisaient ça, il avait l'impression qu'ils allaient s'écraser sur le sol. Parfois, il l'espérait même de toute son âme pourrie. La vitesse faisait siffler l'air à ses oreilles, et ses longs cheveux virevoltaient dans le sillage de la bête.

Plus ils se rapprochaient du sol, plus les ruines de Mandea se précisaient. Autrefois, elle avait été une ville prospère, aujourd'hui il n'en restait que des murs poussiéreux et des mauvaises herbes séchées. À quelques pas, le lac qui avait fait le bonheur des habitants grâce à ses abondants poissons n'était plus qu'une étendue d'eau vaseuse, abandonnée de toute forme de vie.

Quand Conquête eut terminé sa folle descente, Pestilence se redressa, et reprit son arc dans sa paume, aux aguets. Les ordres étaient simples : tuer à vue sur le chemin des retrouvailles, puis éliminer méthodiquement une fois ensemble. Guerre, Famine et Mort devaient eux-aussi s'être mis en route.

Ils devaient se rendre à Camsir pour faire le point sur leur avancée à chacun et définir les lieux encore peuplés. C'était devenu une habitude ; ils se réunissaient tous les quatre à chaque éclipse d'Atrian, une fois par mois, mais jamais au même endroit.

Pour celle-ci, c'était Pestilence qui avait décidé de l'endroit. Pour se rendre à Camsir, il devait longer le lac jusqu'à Newmaw, où se trouvaient toujours des humains vagabonds tentant d'être discrets. Il en profitait toujours pour s'échauffer le poignet et les doigts sur eux. Son arc, ivre de sang, était alors vibrant de plaisir durant de longues heures.

Cette fois-ci ne fit pas exception : un groupe de sept hommes étaient adossés à un muret en pierre, les uns à côtés des autres. Une flasque cabossée passait de main en main, leurs yeux étaient vides.

Pestilence connaissait ce genre de regard.

Ils venaient là pour lui. Pas pour essayer de l'éliminer, c'était impossible, mais pour qu'il le fasse lui. Ces humains merdiques n'avaient même pas les couilles de foutre leur vie en l'air eux-mêmes. Ce n'étaient pas les premiers, et sûrement pas les derniers. D'autres reviendraient demain, comme tous les jours.

Toujours galopant à vive allure, Pestilence serra les cuisses pour rester en place sur Conquête, attrapa une flèche au-dessus de son épaule, puis banda l'arc. D'un mouvement de jambe, il fit comprendre à l'étalon de bifurquer droit vers eux. 

Quand les Cavaliers semèrent l'Apocalypse - tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant