Chapitre 2

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"If you see the boy I used to be

Could you tell him that I'd like to find him ?

And if you see the shell that's left of me

Could you spare him a little kindness ?"

Broken – Anson Seabra.


Planté devant ce qui a été mon refuge pendant maintenant des années, je fouille machinalement dans mon sac à dos noir sans parvenir à trouver ma clé. Après dix bonnes minutes à retourner l'intérieur du contenant en tissu dans tous les sens, je trouve enfin ce que je veux.

« Si tu m'écoutais et que t'achetais un porte-clés, ça arriverait pas. »

Le ton exaspéré de Neven me rappelle à l'ordre pour me réchauffer, et je retiens un rictus dérisoire. Son soupir excédé résonne dans mon esprit alors que je le revois encore extirper son propre jeu de sa sacoche pour pouvoir nous ouvrir malgré ses mains chargées... Happé par les souvenirs et les sentiments qui m'enserrent de nouveau le thorax, je fais tomber ce que j'ai passé tant de temps à chercher sur le sol boueux. Une fois m'être assez maudit, je tente tant bien que mal de m'abaisser, le bras tendu vers l'objet en fer. Sans avoir le temps de les voir venir, des doigts fins et gantés s'en emparent en vitesse, comme pour soulager mes efforts vains. Interloqué, je me redresse en ménageant mon corps fragile, et tombe nez à nez avec Jeanne. Ses yeux rouges et gonflés me détaillent quelques secondes tandis qu'elle m'adresse un sourire qui a perdu son éclat.

— Tiens, ça t'évitera de la perdre, me dit-elle en farfouillant dans son sac à main pour en sortir un porte-clés en forme de ballon orange.

Un pincement m'étreint l'estomac, mais je reste impassible. Je la laisse déposer son cadeau qui n'en est pas un au creux de ma paume, puis le fixe un long moment. Mon menton se met à trembler, mes prunelles s'embuent de larmes qui ne coulent pas et ma gorge s'enflamme encore.

— Tu es sûre que tu ne veux pas le garder avec toi ? articulé-je d'un ton aussi déchiré que l'est mon cœur.

Jeanne secoue la tête, faisant dégringoler deux perles humides le long de ses joues creuses.

— Non, tu peux l'avoir. Il te sera plus utile qu'à moi. Je passe mon temps à le regarder, de toute façon, c'est infernal, rit-elle tristement.

— À moi aussi, il me manque... chuchoté-je.

Ma belle-mère étouffe un sanglot en me prenant dans ses bras, et je frotte son trench-coat avec tendresse. Je sais que ça ne la soulagera pas, ça ne me soulagera pas non plus, mais je crois qu'en de telles situations, feindre de croire que la douleur s'estompera un jour peut sauver des vies. Et aujourd'hui, ça sauve Jeanne de ses démons.

— Allez, rentrons, tu vas finir frigorifié dans ta toute petite veste.

J'acquiesce au moment où la quarantenaire me lâche pour se retourner vers la lourde porte bordeaux qu'elle déverrouille avec ma clé. Une fois à l'intérieur, l'odeur familière du feu de bois qui brûle dans la cheminée me donne la sensation de flotter. La sensation de retrouver mon chez moi. Sans mot dire, je retire mes sneakers en observant Jeanne se diriger vers la cuisine d'un pas las. La tête prête à exploser, je ne prends pas la peine de réfléchir : je la suis.

Attablé devant son café, George ne salue pas sa compagne. À vrai dire, il ne réagit que lorsque l'une de mes béquilles fait grincer une chaise à quelques centimètres de lui. Il bat des paupières à plusieurs reprises, s'arrête sur le visage éreinté de Jeanne, survole le mien, puis passe une main calleuse sur le sien. Après quelques secondes, il avale une gorgée de cette liqueur noire sans laquelle Neven ne fonctionnait pas mais que j'ai toujours détestée, et finit par relever les coins de ses lèvres.

— Bonjour mon garçon. Tout va bien ? Tu n'es pas rentré, hier, me demande-t-il dans le plus grand des calmes.

Sa voix posée, limite sereine me rassure. Elle ne fait que renforcer davantage le cocon qui se forme autour de moi à chaque fois que je me retrouve ici, dans cette maison.

— Oui, je suis désolé... J'ai croisé Willow en chemin et j'ai dormi chez elle.

— Willow ? Oh, comment va-t-elle ? s'enthousiasme soudain Jeanne.

— Elle est toujours aussi époustouflante d'espoir, me contenté-je de dire.

— Tu ne voulais pas rester un peu avec elle ? Tu aurais pu te reposer, il est à peine six heures, s'enquiert George en scrutant mes cernes violacés.

— Ça ne l'aurait pas dérangée que je reste, mais elle, elle avait entraînement, alors j'ai préféré partir...

La tristesse m'envahit, m'obligeant à baisser les yeux vers le carrelage beige de la salle. Elle est partie à l'entraînement sans moi, parce que moi, je ne m'entraîne plus.

— Tu ne veux pas dormir encore quelques heures ? continue mon beau-père. Tu es toujours chez toi ici, tu le sais.

Je relève vivement la tête, presque étonné par son discours.

— C'est vrai, renchérit sa fiancée. Ici, c'est autant chez toi que chez nous. Tu fais partie de la famille, Axel.

Ému, je balbutie un pauvre merci qui n'y ressemble pas trop et mes beaux-parents me sourient tous les deux.

— Allez, va te mettre au lit, mon chéri, m'ordonne gentiment Jeanne.

Exténué, je ne me fais pas prier et sors de la pièce en boitant pour longer le couloir. Après quelques pas, la réalité me stoppe net dans mon élan. Dévasté, je m'appuie contre l'encadrement de la porte de Neven. J'observe son lit défait, ses boîtiers de jeux vidéo éparpillés sur le sol, ses dizaines de romans entassés à côté de sa table de nuit claire, ses nombreuses coupes de championnats... Tout ce qui se trouve dans cet endroit et que je connais mieux que personne. Peut-être mieux que Neven lui-même. Un nœud dans le ventre, je me précipite à l'intérieur de la chambre pour me recroqueviller sur son matelas en rabattant sa couette sur ma tête. Les yeux clos, je l'imagine assis à son bureau en train de rédiger son journal et me convaincs qu'il va bientôt venir me rejoindre, m'embrasser et caresser mes cheveux jusqu'à ce que le sommeil daigne s'infiltrer dans mes veines.

Je me laisse tellement submerger par ma mémoire, par mes envies et par mon désir le plus cher, que je le sens. Juste là, à côté de moi. Neven m'offre un baiser sur le front, effleure ma joue et me murmure de lâcher prise, de ne pas lutter contre la fatigue. Il m'assure que je ne crains rien, qu'il sera encore là quand je me réveillerai.

Et c'est sur le mensonge le plus vital de ma vie que je finis par sombrer. 


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Coucou tout le monde, 

Comment ça va ? En ce moment, je suis malade, donc j'avance pas trop sur quoi que ce soit... Hier j'ai rien fait du tout, j'ai juste comaté devant une série parce que mon corps était pas d'accord avec le fait de se concentrer sur des mots que ce soit en lecture, en écriture ou en réécriture... Du coup j'ai pas avancé sur Je N'ai Plus Peur, mais je me rattrape dés que mon corps est d'accord. En attendant, j'espère que ce chapitre vous a plu, et j'espère qu'il vous aide un peu à cerner la situation ou qu'il alimente vos hypothèses. 

D'ailleurs, en parlant d'hypothèses, à votre avis, pourquoi Axel se réfugie chez les parents de Neven ? Pourquoi il ne va pas chez lui ou chez ses parents ? 

Ils vous inspirent quoi les parents de Neven ? On préfère ceux de Neven ou ceux de Willow ? 

Qu'est-ce que vous pensez de la musique ? Anson Seabra a souvent de très beau texte, j'ai trouvé celui-ci touchant. 

Voilà, ben c'est tout pour moi, alors je vous dis à jeudi pour la suite !

Prenez bien soin de vous les potes. 

Ne Saute PasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant