Chapitre 3

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"Will you run with this dream or will you run alone ?

Or will you run against and finally reveal

Why some die young ?"

Some Die Young – Gavin Mikhail.


— Neven ? Neven !

Tout tremblant, je me redresse d'un mouvement vif qui déclenche une morsure brutale le long de ma jambe droite. Un gémissement m'échappe, et je m'écroule de nouveau sur un oreiller qui n'est pas le mien, dans une chambre qui n'est pas la mienne. Les yeux grands ouverts, je tente de calmer ma respiration saccadée en me concentrant sur le plafond recouvert d'un poster que j'aime autant que je le déteste. Les doigts sur mes joues rougies par le froid, Neven m'embrasse sans pouvoir masquer son appréhension alors que je suis toujours sur la glace. Une main sur le muret qui délimite la patinoire et qui nous sépare, l'autre maintenant fièrement ma médaille d'or, je ferme les yeux pour effacer le monde qui m'acclame. Notre premier baiser, immortalisé par Willow.

Les sensations de sa peau contre la mienne me reviennent par vagues puissantes, m'incitant à m'expulser de ce lit dans lequel j'aurais voulu voir Neven à moitié dans les vapes. Malgré l'heure tardive, je sais qu'il se serait mis à grogner lorsque je lui aurais proposé de se lever pour manger quelque chose. Il m'aurait même probablement tiré par le bras pour m'obliger à me blottir contre lui encore quelques minutes. Ces minutes salvatrices, ces minutes hors du temps, ces minutes ravagées par la mort... Assis sur le rebord du lit, je me penche pour ramasser mes béquilles, retire ma veste et attrape un pull à capuche noir qui ne m'appartient pas. Je l'enfile aussi vite que je le peux, comme si ça aussi, le destin pouvait me le voler. Le nez fourré dans le vêtement que Neven a beaucoup trop porté, je finis par sortir du seul endroit où j'arrive encore à me persuader que je n'ai pas tout perdu.

Après un détour par la salle de bain, j'attrape une bouteille de vodka dans la réserve personnelle de George, la fourre dans mon sac et quitte la maison désormais vide. Sous la pluie battante, j'essaie comme je peux de ne pas glisser à cause des embouts en caoutchouc censés m'éviter de déraper, tout en fuyant les regards apitoyés qui courent dans ma direction. Les gens me plaignent, ils s'attristent bien au chaud dans leur voiture ou sous leur parapluie, et j'ai envie de leur sauter à la gorge. Depuis l'accident, les inconnus ne voient plus que ma jambe. Je ne suis plus ce garçon prometteur dans le monde du patinage artistique, je suis l'estropié de service. Parfois j'ai même l'impression que je ne suis plus une personne dans les yeux des autres, je ne suis qu'une jambe blessée, qu'un boitement hésitant, qu'un effacé de plus. Et je déteste ça, je déteste le monde. Personne ne comprend rien. Ils sont tous là à avoir pitié de mon corps alors qu'en réalité, c'est mon âme qui meurt. C'est mon cœur qu'il faut plaindre.

De rage, j'accélère la cadence, puis pousse la grille du cimetière avec une violence qui ne me ressemble pas. La barrière grince, et s'écrase contre le mur en pierre dans un bruit tonitruant. Sans prêter attention au boucan que j'ai provoqué, je parcours les allées par automatisme. Je connais le chemin sur le bout des doigts, maintenant. Debout devant une pierre tombale noire, je remarque qu'un bouquet de lisianthus violets et bleus y a été déposé. C'est donc de là que venait Jeanne ce matin... Curieux, j'attrape la petite carte blanche qui accompagne les fleurs pour en lire l'inscription.

"Je sais, tu n'aimes pas les fleurs... Mais trouver des bouquets de ballons de basket est un peu compliqué, mon Ange. Au moins, cette fois, je n'ai pas pris de roses et j'ai évité le blanc, tu vois, je fais des efforts."

Ne Saute PasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant