Chapitre 6

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"I'm never safe, it's not a phase.

If I finally break would you still stay ?

Tonight the monsters in my head are screaming so damn loud."

I'm Not Okay – Citizen Soldier.


— Qu'est-ce que ça t'apporte, de boire ?

— Écoute Willow, je suis désolé pour hier soir, je...

— Non. C'était une vraie question, me coupe la jolie blonde, le regard toujours accroché au plafond de ma chambre.

Après un soupir peu convaincu, je la quitte des yeux, me rallonge sur le dos à côté d'elle et réfléchis un instant.

— Rien, ça m'apporte rien.

Willow tourne la tête vers moi sur mon oreiller et, même si je reste focalisé sur la photo de Alina Zagitova collée en face de nous, je sais qu'une interrogation sourde m'est directement adressée. Le temps de rassembler mes émotions pour être sûr de ne pas dire n'importe quoi, je repense à notre rencontre avec la championne olympique. Willow était surexcitée, le bonheur qui émanait d'elle était tellement contagieux que Neven aussi paraissait heureux de rencontrer la jeune russe. Lui qui n'avait aucune idée de qui était cette patineuse à la technique irréprochable. J'avais beau lui avoir expliqué des dizaines et des dizaines de fois que c'était une sportive incroyable qui avait à peu près nos âges, rien n'y faisait, il ne se souvenait jamais de son nom. La seule chose qu'il retenait, c'était que je l'admirais assez pour avoir une photo d'elle au-dessus de mon lit.

— Et c'est pour ça que j'ai bu, murmuré-je en tachant de m'extirper de mes souvenirs. J'ai bu parce que l'alcool ne m'a rien apporté. Au contraire, il a tout aspiré. Le manque, la culpabilité, la douleur, le désespoir... Il les a fait taire. Il les a engourdis. Il m'a anesthésié. Il m'a fait oublier tout ce que j'ai perdu.

— Tu n'aurais jamais fait ce genre de choses, avant... chuchote ma meilleure amie sans que je n'arrive à savoir si elle s'adresse à moi ou à elle-même.

— T'as raison. Avant, je l'aurais pas fait. Je l'aurais pas fait parce que j'avais toutes les raisons du monde de ne pas le faire.

— Parce que maintenant tu n'as plus rien ? me demande-t-elle d'un ton plus sec.

— Maintenant je n'ai plus de risque de louper l'entraînement à cause d'une gueule de bois monumentale ou de foirer une figure parce que j'ai trop mal au crâne pour me concentrer. Maintenant, j'ai plus peur de perdre tout ce pour quoi je me bats depuis que j'ai commencé le patinage parce que y'a plus rien à perdre, plus rien à louper, plus rien à faire foirer.

Un sanglot éclate à côté de moi, m'incitant à me redresser d'un mouvement vif. Appuyé sur un coude, je dépose mon pouce sur la joue de Willow pour tenter d'essuyer ses larmes, sans succès. Ses traits se crispent, ses yeux verts se noient, ses deux mains se rabattent sur son visage, et sa respiration se saccade de plus en plus.

— J'aurais dû... j'aurais dû être avec vous ce matin-là... balbutie-t-elle entre deux hoquets de chagrin.

— Pour quoi faire ? Perdre ta passion, toi aussi ? Ou pire, ta vie ? Ne dis pas n'importe quoi Will... C'est pas parce que Neven et moi on a dû arrêter le sport que tu mérites le même sort. On peut se suivre sur des tas de choses, mais pas sur les tragédies.

Ses pleurs s'intensifient, et elle bascule sur son flanc gauche pour enfouir son nez dans mon tee-shirt. Touché par sa détresse, je fais de mon mieux pour la serrer dans mes bras en lui rappelant sans un mot qu'avoir échapper au cataclysme ne fait pas d'elle un monstre.

Ne Saute PasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant