L'Organisation Partie 1 [En pause]

Chapitre 18

          Quand ils entrent dans la salle commune, ils se dirigent directement vers Bromir. Ils l'interpellent doucement pour ne pas alerter les autres présents à la fête. Tous trois sortent de la pièce pour se rendre dans l'antichambre de la salle du Nebulosus, la fameuse salle du Conseil. Ils expliquent alors ce qu'ils ont vu dans les moindres détails. Bromir affiche un air inquiet et contrarié.

— Vous êtes sûrs de vous ?

— Absolument. Il n'y a aucun doute.

L'homme commence à faire les cent pas. Il est en pleine réflexion et marmonne dans sa barbe des choses incompréhensibles. Les deux adolescents le regardent, sceptiques. Ils attendent qu'il se décide enfin à leur dire ce qu'il a dans la tête. Mais il n'en fait rien et sort de la pièce à la hâte. Ils sont éberlués de le voir agir ainsi. Qu'est-ce qu'il fait ? Ils s'apprêtent à le suivre quand il se tourne vers eux.

— Restez ici. Je reviens.

Ils le regardent alors s'éloigner. Ils finissent tout de même par s'asseoir sur les chaises positionnées autour de la grande table, toujours habillée de la carte. Aucun des deux n'ose briser le silence qui les entoure.

La porte s'ouvre alors d'un coup, les faisant sursauter. Ils voient Bromir, Lénia, et quelques membres du Conseil entrer. Tous prennent place également autour de la table.

— Bien. Désolé de casser la soirée, mais nous avons un problème. Quelqu'un s'est introduit chez nous. Quelqu'un ou... Quelque chose. En effet, cette... Personne dirons nous, a rejoint un groupe de démons présents devant la Faille.

Le groupe commence à s'agiter quand l'un d'entre eux prend la parole.

— Un groupe de démons ? C'est impossible, nous n'avons eu aucune alerte.

— Les gardiens sont morts avant d'avoir eu le temps de nous prévenir.

— Et ceux de la porte sud ? Ils dormaient ou quoi ?

— Non. Ils sont bien à leur poste. Mais ils ne pouvaient pas nous prévenir non plus.

— Et pourquoi ? Ils ont bien dû voir la lumière !

— Non justement... La Faille n'a produit aucune lumière particulière...

Cette fois-ci, un brouhaha envahit la pièce. Cette affirmation leur semble bien trop irréaliste. Bromir lève alors la main pour leur intimer le silence.

— Je sais que c'est dur à croire mais les enfants ont tout vu.

Tous les yeux se braquent alors sur Sania et Malec qui se tassent sur leurs chaises. Ils se sentent jugés et méprisés. Comment de simples gamins pouvaient dire de telles bêtises ? Depuis sa création, la Faille avait toujours fonctionné de la même façon. Il n'y a donc aucune raison pour que ça change maintenant. L'homme reprend la parole, un peu plus fort pour bien être entendu.

— Et donc tu les crois ? Entre l'inconnu qui s'est faufilé dans nos murs et que personne n'a vu et la Faille qui, depuis des siècles et des siècles, fonctionne de la même manière, aurait subitement changé ? Ça me semble un peu gros pour une seule soirée.

Les autres membres commencent à acquiescer. Mais Lénia les interrompt.

— Pourquoi on ne les croirait pas ? Qu'auraient-ils à y gagner à nous mentir ?

Tous se jettent des regards en coin. Elle a raison, certes. Mais ça reste illogique. Ça ne peut pas être vrai... Bromir reprend alors les choses en main.

— Eh bien puisque nous devons en avoir le cœur net, nous allons faire le test nous-mêmes.

           Il se lève et invite tout le monde à faire de même et à le suivre. Ils se dirigent tous vers la fameuse Faille qui divise les avis. Une fois sur place, ils trouvent les corps. Déjà un point pour les adolescents. Ils n'ont pas menti sur ça. Ils se postent alors tous en face de la porte lumineuse. Elle est calme. Paisible. Aucune vie ne la traverse. Personne n'ose faire le premier pas. Certains par peur de ce qu'il y a de l'autre côté, d'autres, comme Bromir, car ils espèrent de tout cœur que ce qui a été dit plus tôt soit une erreur. Malec s'avance. Tous le regardent mais Bromir l'arrête.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Eh bien j'y vais... C'est pas en restant devant qu'on saura...

— Tu as déjà donné dans ce lieu ces derniers jours. Et tu n'es pas encore assez en forme pour te battre au cas où des démons seraient derrière. Ton père me tuerait s'il savait que je t'avais laissé y retourner.

Un léger sourire s'affiche sur le visage de l'homme tandis qu'il ricane à cette pensée.

— Je vais y aller. Ça sera plus simple.

— Attends. Je t'accompagne.

Sania s'avance en même temps que son père.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Toi, tu restes ici.

— Oh que non ! Je viens ! Comme tu l'as dit, il peut y avoir des démons derrière. Si tu es tout seul et qu'ils sont nombreux, tu ne t'en sortiras pas. À deux, on a plus de chances.

Bromir grogne, mécontent.

— Laisse la y aller. Ça va aller.

Lénia s'est approchée doucement de son époux et lui a demandé cette faveur de sa douce voix calme. Il souffle, se sentant désemparé face aux deux femmes de sa vie.

— Très bien. Tu peux venir. Mais prend ça avant !

Il se penche sur l'un des corps et ramasse son arme. Il la tend à sa fille qui la récupère volontiers. Ce n'est effectivement pas le moment de dire non à une épée qui peut lui sauver la vie. Il fait la même chose sur l'autre cadavre pour s'armer également. Même s'il préfère son arme personnelle, celle-ci fera très bien l'affaire.

Ils s'avancent tous deux vers le passage du monde obscur et s'arrêtent. Ils se retournent ensuite pour faire face aux quelques membres du Conseil présents.

— Bien. Voici l'instant décisif. Sachez qu'il faudra bien observer l'entrée mais également la sortie. Au cas où. On n'est jamais trop prudent. Si vous constatez que nous mettons du temps à sortir, c'est qu'il y a eu une surprise de l'autre côté... Laissez-nous trente minutes environ pour nous charger de ça. Au delà, appelez des guerriers et entrez. Il faudra absolument faire le ménage. Il en va de la sécurité de notre ville. Est-ce clair ?

Tous hochent la tête. L'heure n'est pas à la plaisanterie, ils le savent.

— Parfait. Lénia, je te laisse le commandement au besoin.

Alors qu'ils s'apprêtent à entrer dans la Faille, Sania jette un dernier coup d'œil à Malec. Celui-ci est visiblement inquiet. Et même si elle ne le sait pas, il est en train de prier tous les dieux qu'il connaît pour qu'elle revienne entière, et surtout, en vie.

Un dernier regard entendu et père et fille se donnent rendez-vous de l'autre côté.

          Alors qu'ils passent la porte, l'inattendu se produit. Une vie lumière aveuglante s'en échappe. Inattendu, pas pour tous. Certains ricanent de mépris quand d'autre secouent la tête de déception. Un soulagement se ressent dans le groupe. Mais Malec, lui, est décontenancé. Il a presque envie de crier tellement la colère le submerge. Il l'a vu ! Il en est sûr ! La porte était restée calme quand les démons l'ont traversée ! Il pourrait le jurer sur tout ce qu'il a de plus précieux. Il pourrait le jurer sur les dieux anciens ou le nouveau dieu !
Il commence à s'avancer vers ce lieu qui l'a trahis tentant de comprendre ce qu'il s'est passé. Il le contourne pour observer l'arrière. Il s'y cache peut être quelque chose qui pourrait expliquer ce qu'il se passe. Mais rien. Il n'y a absolument rien ici. Il retourne auprès des autres, furieux. Il ne parvient pas à expliquer le phénomène et c'est sans doute ce qu'il l'énerve le plus. Lénia s'approche de lui et pose sa main sur son épaule.

— Je comprends ce que tu ressens. Mais ne t'en fait pas. Moi je vous crois. Et je suis sûre que Bromir aussi. Nous trouverons une explication. Je te le promets.

La mâchoire de Malec se crispe. Il ne parvient pas vraiment à se calmer mais Lénia a su l'apaiser un peu. Il sait qu'il peut lui faire confiance. Elle a toujours été là pour lui, comme une mère.

          Sania et Bromir sont enveloppés de lumière. La jeune fille comprend alors que la porte les a fait mentir. Elle est déçue. Mais son père la regarde avec douceur. Il sait également qu'ils n'ont pas menti. Ce n'est pas leur genre. Cette compréhension paternelle la rassure. Puis la nuit qui les enveloppait avant de passer la porte laisse place au ciel rouge du monde démoniaque. C'est la première fois que Sania voit ce lieu de désolation avec ses arbres morts et ses incendies omniprésents. Sans oublier la sécheresse ambiante. Mais ils n'ont pas le temps de s'attarder sur le paysage. Du monde les accueille.