— Tu as fini de lui raconter son histoire ?
Sophie n'avait pas levé la tête de ses cahiers de cours. Les grincements de la porte et les bruits de pas lui avaient signalée que Kyle venait de la rejoindre dans leur chambre. Cependant, face au mur de silence qui suivit sa question, elle lui jeta un coup d'œil à travers le rideau d'ébène de ses cheveux.
— Qu'est-ce qui t'arrive, Kyle ?
— Rien...
Un soupir agacé s'échappa de la poitrine de Sophie. Le stylo chut contre les courbes arrondies de sa calligraphie. Ses yeux en émeraude se posèrent sur son compagnon, assis sur le lit, le visage plongé dans l'obscurité.
— Je sais quand quelque chose te travaille, Kyle. Tu n'as pas tellement changé en cinq ans, tu sais !
— Justement si. C'est bien ça le problème. On peut faire semblant que tout est comme avant, mais ça ne l'est pas. Regarde-moi. Je ne suis plus qu'une épave, et pas seulement parce qu'il me manque un bras. La violence et la mort hantent mes pensées. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Une ombre qui n'a rien fait pour sauver les réfugiés croisés sur ma route ou les infectés de Iaroslavl. Une ombre qui n'a pas hésité à massacrer toute une unité dont le seul tort était de se trouver sur sa route. Une ombre qui n'a semé dans son sillage que les ténèbres qui la composent.
Sophie se leva de son bureau et prit place à ses côtés.
— Tu te souviens de ce que tu m'as dit ? Le jour de ton départ ? « Je luterai de toutes mes forces pour vous offrir un monde meilleur ». Et c'est ce que tu as fait. Tu as été au bout de toi-même. Seulement, parfois, ce n'est pas suffisant. Mais ce n'est pas de ta faute, ni de celle des Phœnix.
Ses doigts s'enlacèrent avec les siens.
— Cette main que je tiens m'a étreinte et faite frissonner. Elle a restauré notre maison. Elle a chassé la nourriture pour notre village. Elle l'a défendu dans ses heures les plus sombres sans jamais faillir. Et si elle a pu donner la mort, elle a également donné la vie.
— Tout cela, c'était avant ! Cinq ans... Tu te rends compte, Sophie ? Cinq ans ! J'ai changé, qu'on le veuille ou non. La violence me colle à la peau. Notre révolution ratée m'a rempli de rancœur, je le sens. La perte de mon bras me précipite dans des abîmes de rage. Et j'ai peur. Peur que tout cela ne rejaillisse sur vous, sur toi, sur Vlad, comme... comme mon...
Kyle ne parvint à achever sa phrase, un tic nerveux saccadant les muscles de son visage, sa propre salive, aussi brûlante qu'une coulée d'acide, l'obligeant à déglutir avec difficulté.
— Comme ton père, comprit Sophie en un triste souffle.
Elle obtint pour toute confirmation un hochement de tête.
— Tu as peur que ton amputation te rende comme lui ? C'est ridicule, Kyle. Tu me l'as dit toi-même : ton père était déjà une brute d'ivrogne avant la perte de sa jambe. Les cicatrices qu'il t'a laissées sont assez éloquentes. Et je ne parle même pas de... l'apathie dans laquelle il a enfermé ta mère. Jamais tu ne pourrais faire la même chose.
— Et si je l'avais déjà fait ?
— Comment ça ?
Kyle se mordit les lèvres, regrettant un fugitif instant que cette phrase ait franchi le barrage de ses lèvres. Mais c'était certainement un signal de son inconscient pour lui faire comprendre que l'heure de la vérité avait sonné. Trop longtemps, il avait porté ce poids seul. S'en délivrer ne pourrait qu'alléger sa conscience.
— Que crois-tu savoir de mon enfance dans les régions suisses ?
Les yeux de Sophie papillonnèrent de surprise.
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Les Cendres d'un Rêve [Terminé]
Научная фантастикаUn futur de division nous guette. Il sera partagé entre exploits technologiques et misère moyenâgeuse, entre hyper-sécurité et mortalité de tous les instants, entre fanatisme patriotique et fureur révoltée, entre paix et liberté. Sa forme ? Un empir...