Chapitre 40 : L'envol

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Une terreur absolue glaça Kyle.

Cette chose ne devrait pas être en vie ! 

Il n'avait plus la force de se dégager. Tout juste de se débattre. Il leva les bras en bouclier. Le couteau de combat les frappa furieusement. La courte lame taillada les chairs, lacéra les muscles, trancha les tendons, émietta les os, hacha une bouillie de viande. L'arme se leva une ultime fois, prête à trouver le chemin du cœur de Kyle. Un trait blanc perfora le masque à gaz flamboyant. La créature de kevlar bascula en arrière.

Kyle tenta de se retourner. Il ne parvint qu'à gesticuler inutilement. Ses jambes refusaient de lui obéir. La chaleur l'étouffait. Il porta la seule main qui répondait encore à sa volonté contre sa gorge, comme pour se défaire de l'étreinte d'un ennemi invisible. Heureusement, une force l'arracha du sol, le porta à travers les tourbillons de feu puis le déposa contre une surface froide. Si froide que le contact lui brûla une nouvelle fois la peau. Les vociférations du Kraken infernal s'éclipsèrent sous les rugissements des turbines. Une porte métallique claqua. Des voix paniquées résonnèrent. On l'aspergea d'eau, on le força à boire au goulot d'une gourde. Il retrouva assez de lucidité pour se rendre compte être affalé contre une cloison du cockpit.

Les hublots projetaient une incandescence dansante. Sandrine, casque toujours visé sur la tête, s'affairait dans le siège du pilote sur un tableau de bord bipant et clignotant. Léon se précipitait vers la soute. Miranda, elle, appuyait ses deux mains jointes contre son bras gauche. Et...

Mon bras !...

L'horreur l'emporta. Son avant-bras n'était plus qu'une masse sanguinolente, cisaillé de gouffres écarlates, les fibres musculaires et les os exposés à nu. Il se reliait au coude par de maigres lambeaux de peau, prêts eux-aussi à se déchirer. Il risquait de se détacher, de choir tel un vulgaire morceau de viande. Les efforts de Miranda pour endiguer le déluge visqueux s'avéraient futiles. Rien ne pourrait sauver un tel carnage. Même un loup, un ours ou un némésis ne serait parvenu à égaler de tels ravages.

— Accrochez-vous ! prévint subitement Sandrine sans se retourner. On va passer par le toit !

Les grondements des réacteurs s'amplifièrent. Une force ascensionnelle plaqua Kyle au sol avant que des secousses dignes d'un séisme le fasse mugir de souffrance. Une aveuglante luminosité inonda l'habitacle. Si tous les éléments du cockpit se rivaient à une cloison, il ne semblait pas en être de même dans la soute. S'en éleva une cascade de tintements, des bruits sourds et une flopée de jurons. Léon en émergea, titubant encore sous la force du choc, un kit de soin serré contre sa poitrine. Il le jeta à terre, l'ouvrit et son regard affolé courait de son contenu au bras mutilé. Ses doigts tremblaient au-dessus des bandages, seringues, doses de désinfectant et instruments chirurgicaux sans parvenir à se décider sur lequel plonger.

— LÉON !

La voix de Miranda n'était plus que terreur et panique.

— MAGNE TOI ! IL PERD TROP DE SANG !

— Je sais ! Je sais ! Qu'est-ce qu'on doit faire ?! C'est pas un bandage qui va...

— BOUGE-TOI, PUTAIN DE BORDEL DE MERDE !

La douleur, atroce, aspira Kyle dans un état second, comme s'il s'enfonçait lentement dans l'eau glaciale d'un puits obscur. Une glace liquide s'insinuait en lui, congelait ses veines. Il n'avait plus conscience des tremblements qui secouaient sa carcasse, de la sueur qui se mêlait au sang, de la lividité de sa peau où ressortaient des veines noires, des gémissements inarticulés de sa gorge, de son souffle de plus en plus erratique. N'existait que son bras. Sa vision s'arrêta une dernière fois dessus avant de se troubler. S'il en avait eu la force, il aurait craché un rire nerveux : les mains de Miranda, poisseuses de sang, glissaient dans de vaines tentatives de réaligner son bras désaxé.

Les Cendres d'un Rêve [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant