Chapitre 16 : La mort aux trousses (1/2)

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— On est grave dans la merde... C'est l'enfer qui va nous tomber sur la gueule !

La bouche sans lèvres de l'Alpha s'étira en son vilain rictus.

— C'est nous l'enfer. C'est nous qui allons leur tomber sur le coin du groin.

— Non mais vous avez vu l'horizon, chef ? Ça grouille de partout !

En effet, des masses sombres ondulaient dans les premières lueurs du jour hivernal. Elles s'amalgamaient en un mur compact, infini, sans la moindre faille, dévalant du lointain pour venir les submerger. Les autoroutes s'inondaient d'un fleuve de soldats, d'androïdes et de tanks qui se divisaient en impétueux torrents dans les avenues des cités périphériques. D'énormes héliporteurs survolaient de près cette marée myrmécéenne. Les lourds nuages blancs des cieux se transperçaient d'une constellation de drones. Les aéronefs supersoniques, bien qu'invisibles, laissaient entendre leurs inquiétants hurlements.

Devant les yeux incrédules de la meute se déployait la contre-offensive fédérée pour reprendre Moscou. Les vingt-trois chiens, submergés d'un sentiment d'impuissance, s'aplatirent sur le toit du complexe commercial au milieu des conduites et des moteurs de climatisation, les poings crispés sur une arme qui leur paraissait des plus inutiles. Tous. Tous, même Hunter, même Toundra, même Laser, réputés comme étant respectivement les plus sanguinaires, impétueux ou stoïques. Tous, à l'exception de l'Alpha, inébranlable comme toujours.

— Faut se replier... couina nerveusement Lemming en reprenant ses complaintes, de grosses gouttes de sueur délavant la boue de son visage en pointe. On peut rien faire contre ça ! Si on se tire pas maintenant, on est baisé !

Mercier abaissa avec lenteur ses jumelles.

— Fuir ? C'est ça que tu veux ? Fuir !

— On a pas le choix ! C'est ça ou mourir !

Le capitaine de la meute, la peau tendue d'un éclat métallique, bondit sur le rebelle. Il le projeta avec brutalité contre le parapet et le retint de basculer dans le vide, in-extremis, par le col de son armure.

— Dis-moi... grogna Mercier, sans chercher à le remonter en sécurité, le maintenant exprès dans cette situation de déséquilibre. Tu veux te carapater dans quel sens ? Ces enfants de putain sont partout ! Moscou est encerclé ! Alors t'as foutrement raison. On a pas le choix : c'est réussir ou mourir. T'en dis quoi ?

Lemming glapit, les yeux exorbités vers le bitume distant de plusieurs dizaines de mètres.

— Tu préfères toujours prendre ton envol ?

La réponse fut une autre suite de bafouillages inarticulés. Les cicatrices se contractèrent en un masque terrifiant. Plus encore qu'à l'accoutumé. Le col de l'armure fut lâché. Lemming bascula dans le vide. Il se retrouva une nouvelle fois dans un équilibre précaire, seulement retenu par une botte cette fois.

— Dernière chance.

— On... On va réussir ! s'époumona le rebelle en sanglots. Re-Remontez-moi ! O-on... On va tous les d-d-défoncer !

Mercier émit un grognement satisfait. Le rebelle s'étala sur la membrane du toit avec la grâce d'un sac à patates.

— Relève-toi, chien. Et regarde. Ça va commencer.

Lemming parvint à se redresser sur ses genoux flageolants, suivit des yeux la direction pointée par le doigt de Mercier et se figea instantanément. Les légions fédérées déferlaient droit sur eux. Les silhouettes des fantassins se distinguaient déjà dans cet énorme rouleau compresseur. Le vent portait le bruit des moteurs. Moins d'un kilomètre les séparait d'un impitoyable écrasement.

Les Cendres d'un Rêve [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant