Chapitre 19 : Sur le Styx

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La nuit se drapait de son voile le plus noir et impénétrable. La lueur de la lune et des étoiles ne parvenait à le percer, aucune lumière artificielle ne le contournait. Les landes sibériennes s'apparentaient à un océan de ténèbres, à un vide absolu. Rien n'existait, excepté un fourgon blindé et les pans de route pris au piège dans ses phares. Il fonçait dans ce néant d'encre avec l'infini ruban de bitume comme seul guide.

La camionnette ne ralentit son allure que par la faute d'une congère. Les pneus tracèrent de larges sillons boueux avant d'exploser. Les freins crissèrent atrocement. Le lourd engin bascula de gauche à droite dans une pluie d'étincelles, parvint à retrouver l'équilibre et s'arrêta au milieu de la large route régionale.

Les portières s'ouvrirent. Deux hommes descendirent de la cabine. Chacune de leurs expirations se transformait en épais nuage blanc sous l'effet du froid glacial. Le chauffeur se dirigea vers le pneu le plus proche. Il fut rejoint lors de son inspection par le passager, si calfeutré dans sa capuche et son écharpe que sa question en devint inintelligible.

— Pas qu'un peu... répondit le chauffeur, l'habitude lui permettant certainement de le comprendre. Je sais pas sur quoi on a roulé, mais on est à plat. Va falloir se magner de changer la roue si on veut pas finir en glaçons !

Nouvelle série de borborygmes.

— Quoi ? De ton côté aussi ?!

Le chauffeur jeta un regard en arrière vers le pan de route enneigé. Bizarre... Il pouvait presque sentir la chaleur de l'asphalte sous ses semelles. Aucune neige ne devrait pouvoir y résister. Il s'approcha d'un pas, les yeux plissés. Une dizaine de petit éclats tapissaient la poudreuse. Des clous reflétant la lumière des phares arrières !

— Planq...

L'ordre mourut sans un bruit. Les deux hommes s'effondrèrent sur le bitume. Une ombre énorme surgit des ténèbres environnantes pour taper contre l'épaisse porte de la remorque. Celle qui lui ouvrit fut brutalement projetée au sol et ne put empêcher l'éclat d'une lame de lui ouvrir la gorge. Une vingtaine de silhouettes emmitouflés dans d'épais manteaux de fourrure entrèrent à leur tour dans la lumière des phares.

— Allez tout le monde, on s'active ! ordonna Kyle. Départ dans dix minutes !

Les rebelles s'empressèrent de déblayer des caisses d'équipements enfouies sous la glace, de changer les pneus crevés, de distribuer des uniformes de prisonniers puis de balayer la route de la neige synthétique et de toute autre trace de leur embuscade. Kyle et Miranda, les seuls à posséder un fusil silencieux, s'assurèrent que chacun remplissait son rôle avant de rejoindre Neck à l'arrière de la remorque. Le colosse à la peau de bronze tenait déjà dans une main une carte magnétique et dans l'autre le col d'un prisonnier.

L'individu dans sa tenue orange ne se débattait pas, ne posait aucune question, restait inerte. Il était là, sans plus, l'air hagard, l'œil vide. Physiquement présent, mentalement absent. Kyle scruta l'intérieur de la remorque pour voir l'état des autres détenus. Une bouffée de rage plus froide que le vent sibérien l'emporta.

— Libère-les. Neck, bordel de merde, libères-les tous !

— Mais on avait dit...

Tout de suite !

Neck relâcha le prisonnier qui se serait écroulé sans le soutien de Miranda, monta dans la remarque en grommelant dans sa barbe, la fit pencher au gré de ses déplacements et ouvrit une à une les portes des « cellules ». De vulgaires clapiers à lapins, où les hommes et les femmes se contorsionnaient pour trouver une impossible position supportable. L'arrête de ces cubes de plexiglas, empilés les uns sur les autres, ne devaient guère excéder les cinquante centimètres. Les prisonniers les plus vaillants parvinrent à sortir d'eux-mêmes, les autres aidèrent les plus faibles et les derniers se firent jeter dehors par le titan rebelle.

Les Cendres d'un Rêve [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant