Chapitre 33 : Goliath (2/2)

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Un deuxième trou se fora à côté du premier. Entre chaque tir, Kyle accordait un court répit à son arme pour ne pas prendre le risque de la faire surchauffer. Miranda, Sandrine et le reste de la meute rejoignirent leur capitaine et le vieux sergent. Si certains tentèrent d'avoir un aperçu de ce qui les attendait à travers la minuscule brèche, la plupart guettait avec appréhension leurs arrières. Les grilles de ventilation attiraient des regards anxieux. Et les lentilles des caméras aimantaient celui chargé de haine de Miranda.

— Quand j'ai rejoint la résistance de Los Angeles, déclara Léon en l'observant, nos actions servaient avant tout à saboter les caméras, à mettre le feu au caisson de recharge des androïdes ou à tenter de hacker leur réseau de contrôle. Comme beaucoup, je pensais que les robots étaient nos ennemis. La raison qui rendait notre société si froide, si abrupte, si mécanique, si... inhumaine. J'en étais arrivé à oublier que ceux qui donnait les ordres, c'était nous. Pas les machines. Pas même la Fédération Terrienne. Mais nous, le peuple. Ceux qui, abreuvés de la mixture débilitante vomies par nos télés et nos journaux, tremblaient de peur face à l'étrange, qui ne considéraient plus les autres humains que selon un code binaire de gain ou de menace, qui observaient chaque évolution comme une régression et chaque régression comme une évolution. Nous réclamions une surveillance constante. La Fédération s'est contentée de nous l'offrir gracieusement. Dès lors, tels des enfants pourris gâtés, nous ne supportions plus de sortir de son rassurant champ de vision. Hors de son giron, nous devenions moins que des animaux, vulnérables et sans défense, à tel point que de tout ce que j'ai entrepris dans la résistance, ce qui a eu le plus d'impact sur ma gigapole s'est résumé à de vulgaires pschitt de peinture sur des objectifs de caméra !

— Où voulez-vous en venir, sergent ? s'impatienta Miranda.

— Que ces petites machines sont les plus dangereuses, les plus puissante de toutes. Bien plus que ne pourra jamais l'être ce genre de monstre, ajouta-t-il en désignant les restes du Goliath métallique. Elles incarnent l'âme de la Fédération. Les deux faces d'une même pièce. La protection totale et la surveillance absolue. Je le savais et je n'ai pourtant pas pris la peine d'y prêter attention. Si je l'avais fait, peut-être aurais-je eu l'idée de les détruire, peut-être alors ne serions-nous pas tombés dans ce piège.

La rebelle haussa un sourcil presque amusé tandis que le métal s'évaporait toujours par saccade sous les lasers de Kyle.

— Je n'ai besoin de personne pour me dédouaner de mes fautes, Andrew Léon. Mais cette robotisation de la société que vous évoquiez... Est-ce pour ça que vous avez rejoint les Phœnix ?

— Peut-être au début. À présent, tout ce que je souhaite, c'est nous libérer des chaînes dans lesquelles nous nous sommes nous mêmes empêtrés. Contrairement à beaucoup, je n'ai plus de famille, pas de proches et aucun de mes amis n'a jamais compris ma vision du monde. La liberté est ma seule motivation.

Sandrine éructa une exclamation dédaigneuse.

— La liberté ! Vous autres, rebelles, n'avez que ce mot à la bouche ! Vous l'utilisez pour justifier le moindre de vos massacres ! Mais explique-moi en quoi la Fédération était liberticide ?! Les interdits ne relevaient que du devoir de chaque citoyen ! La vie en communauté implique des sacrifices ! Et si tu n'étais pas prêt à y consentir, tu étais toujours libre de vivre dans les Terres Désolées !

— Contraint, veux-tu dire, répliqua avec douceur Léon. Les Terres Désolées ne sont qu'une zone tampon pour les rebuts. Ou plutôt un zoo pour montrer à tous ce qui nous attend si nous osons fuir l'égide de notre glorieuse nation.

Kyle préféra ne faire aucun commentaire sur ces rebuts, poursuivant sa tâche de forage en silence.

— Tout ce qui sortait de la norme attisait la méfiance des polices, des voisins et même des proches, reprit le vieux sergent, sa voix rauque s'accélérant pour gagner en force et en rugosité à chaque syllabe. Nous nous surveillions tous les uns les autres de peur d'être accusés de complicité pour ne pas avoir su percevoir le crime ! Si bien que les femmes, au moindre vomissement, à la moindre prise de poids, se faisaient scruter ! « Est-elle enceinte ? Et si oui, n'a-t-elle pas déjà un enfant ? » Les acteurs, les écrivains et les chanteurs devenaient des bombes prêtes à exploser en fragments de propagande séditieuse ! « Ce refrain n'est-il pas un appel à la révolte ? Ce livre n'incite-t-il pas à l'anarchie ? Cette déclaration n'est-elle pas une apologie à la violence et au chaos ? ». Et ce ne sont que des exemples parmi tant d'autres, jeune fille. L'homme qui se contentait de prendre la photo d'un monument devenait un espion terroriste, les adolescents qui flânaient dans un parc un gang mafieux, les enfants un peu trop bavards des témoins à charge contre leurs propres parents.

Les Cendres d'un Rêve [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant