8 - Adonide

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Cela doit bien faire vingt minutes que j'observe le canon de mon poster à l'américaine représentant sous forme de cible un gangster qui me vise. Croc-Blanc entre les mains, il m'est impossible de me concentrer sur ma lecture. Mes yeux ne cessent de détailler mes posters de films cultes un par un, comme si je les découvrais pour la première fois. En ce moment, j'analyse du regard mon affiche de Casablanca sur laquelle les visages de Humphrey Bogart et Ingrid Bergman sont collés l'un à l'autre. Près de ma fenêtre, c'est un poster du film The Shining qui est fièrement punaisé au mur ; à l'opposé duquel est plaqué celui de E.T. avec les deux doigts qui se rapprochent à la manière de la peinture de Michel-Ange.

Je me redresse, refusant de me laisser distraire. J'attache rageusement mes cheveux en une mini queue de cheval de laquelle s'échappe quelques mèches trop courtes et empoigne les pages cornées de mon livre. Suivant les aventures de ce fabuleux chien-loup, je m'exaspère quand je me surprends à observer mon affiche de Scarface, une fois de plus inattentive. Je laisse tomber et ferme définitivement mon livre. Mon petit compagnon à poils roux semble tout aussi las que moi et bondit du canapé sur lequel je suis vautrée pour aller trouver refuge sur le fauteuil un peu plus loin, en ayant certainement assez de mes sauts d'humeur.

- Dis donc, toi. Si je te dérange, dis-le ! gloussé-je en me laissant totalement engloutir par mon sofa.

Je saisis mon téléphone, espérant inconsciemment un texto de ma soeur. Je suis vraiment misérable, dire que j'attends encore d'elle... Pourtant je ne peux pas me résoudre à la chasser complétement de ma vie comme je le voudrais : je pense bien trop à mon père pour cela. J'avais reçus un message de Joyce un peu plus tôt me proposant de passer la soirée chez elle, mais j'avais décliné prétextant vouloir rester terrée chez moi. Et en effet, je n'étais pas d'humeur à passer une soirée entre filles à papoter. Rester avachie sur mon canapé à ruminer, voilà ce que j'allais faire de ma fin de journée.

Avant de verrouiller mon téléphone, je souris devant mon fond d'écran représentant une photo de ma mère, mon père et moi, tous les trois déguisés pour Halloween. Mon père, chemise délavée, veste noire sans manche, imposante ceinture à la taille et blaster en main, représentait le parfait sosie d'Han Solo, en légèrement plus ridé qu'Harrison Ford à ses débuts. Maman quant à elle, vêtue d'une longue tunique blanche, de grandes bottes de la même couleur aux pieds et d'une ceinture argentée entour du bassin, avait fière allure. Je me rappelle comme si s'était hier du mal qu'elle s'était donnée pour former les deux gros macarons sur les côtés de sa tête, semblables en tous points à ceux de la Princesse Leia. Tandis que moi, située entre mes deux parents, à certainement douze - treize ans, je portais la tenue de Luke Skywalker, allant même jusqu'à couvrir mes cheveux blonds d'une perruque similaire à la chevelure du jeune Jedi. Brandissant fièrement mon sabre laser sous le regard pétillant de mes géniteurs.

J'adore cette photo. Halloween, est la fête que mes parents et moi adorons le plus fêter ! Chaque année nous faisons un gros effort pour réunir un trio culte du cinéma. Ma soeur, à qui cette tradition de costume avait tous les ans était exposée, n'y avait jamais pris part, trouvant cela ridicule. Ce que j'avais pu me disputer avec elle à ce sujet... Peu importe ses commentaires déplaisants, mon père, ma mère et moi ne laissions pas filer une année sans que cette tradition ne soit exécutée.

Une sombre pensée me glace littéralement sur place quand je pense soudain que désormais nous ne serions qu'un duo au prochain Halloween. Je me mords la lèvre avant de prendre une grande inspiration, essayant de canaliser la vague de tristesse qui me submerge. Semblant ressentir ma peine, Garfield revient à mes côtés en se pressant contre ma cuisse. Je sens mon visage se décrisper pour afficher une moue attendrie. Je soulève cette grosse masse de poils et dépose doucement mon compagnon sur mon ventre. Celui-ci plante ses coussinets dans mon abdomen deux - trois fois pour s'installer confortablement et finit par se rouler en boule sur moi. Je le caresse un moment avant de décider de terminer ma soirée devant un film.

Saisissant mon ordinateur, je le pose sur mes genoux avant de démarrer Le Cercle Des Poètes Disparus. Posée devant ce classique que j'affectionne tant, j'ai pourtant le sentiment qu'il me manque quelque chose. Sans réellement comprendre pourquoi, je me mets à pleurer doucement. Sans bruit, sans soubresauts, seulement des larmes qui glissent sur mes joues. Tandis que Robin Williams se présente comme nouveau professeur de lettres, je ne peux m'empêcher de continuer de pleurer. Bien que ce soit en effet un film triste, je suis pourtant sûre en cet instant que ce n'est pas à lui que je dois mes larmes. Je pense simplement qu'à force de trop canaliser ses émotions au fond de soi, on finit juste par exploser.

Là, tout de suite, maintenant, la seule chose dont j'ai envie c'est l'étreinte chaude de ma mère autour de moi. Mais comment me consoler quand je sais que je ne la connaitrais plus jamais ? Ces bras frêles et si réconfortants me manquent terriblement. Je me fais alors une remarque intéressante : en plus de la présence de ma mère à mes côtés, j'ai une soudaine envie de sucette.

Parle moi des fleurs - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant