9 - Jacinthe

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Je saisis six branches d'eucalyptus avant de me pencher légèrement vers l'ordinateur, vérifiant ma commande pour la troisième fois. Je ne suis manifestement pas concentrée... Délicatement, je fais rouler entre mes doigts les tiges d'hortensia et les mêles au feuillage composé d'eucalyptus et d'hypéricum blanc. Je sens le regard de Claire m'épier depuis l'autre bout de la boutique depuis un certain moment. Les yeux fixés sur ma composition, un petit sourire au coin de lèvres, je commence :

- Tu veux me dire quelque chose ?

Ma collègue parait embêtée d'être repérée mais m'adresse un gentil sourire tout en s'avançant vers moi.

- Tout va bien ? Je veux dire, j'ai bien vu que tu avais du mal à suivre le rythme depuis ce matin...

Je termine de nouer un jolie ruban pastel autour des tiges de mon bouquet avant de soupirer.

- Je sais, je suis désolée. J'ai beaucoup de mal à me concentrer ces derniers jours. J'ai pas mal de trucs en tête.

Claire rigole doucement.

- Rose, tu n'as en aucun cas besoin de t'excuser, voyons. Je m'inquiète seulement pour toi. Je te rappelle qu'ici c'est toi la bosse et moi l'employée. se gausse-t-elle en posant une main réconfortante sur mon bras nu.

Un grand sourire illumine mon visage et je me tourne vers la sexagénaire.

- Je te promet que tout va bien, Claire !

Mes problèmes de famille ne concernent que moi et il est hors de question que j'étale mes soucis aux yeux de ma collègue. Claire est adorable mais je n'ai pas envie de me confier pour l'instant. Tout se que j'aimerai en ce moment c'est que mon père soit au près de moi et que ma soeur sorte définitivement de nos vies ! Je comprends que mon père ait envie de rester avec la femme qu'il aime, pourtant depuis le décès de ma mère il agit à l'opposé de ce dont j'ai besoin maintenant. Je ne veux en aucun cas éviter de parler de maman. J'aimerais justement ressasser les bons souvenirs, ne pas laisser son image s'effacer. J'aimerais qu'il laisse ma soeur derrière nous ; elle ne veut plus rien avoir affaire avec la famille, soit ! Je voudrais tant discuter encore et encore de ces petites manies qu'elle avait : de sa façon involontaire qu'elle avait de rouler des fesses en marchant, de sa manie de rajouter des épices dans tous les plats qu'elle préparait ou de l'amour qu'elle portait aux livres. Je me souviens de ma mère, étendue sur le canapé, un livre entre les mains, plongée dedans comme au coeur d'un monde totalement à part et inaccessible pour les autres. Je me rappelle de cette drôle de manie qu'avait ma mère d'enfiler des chaussures même quand nous étions à la maison, détestant se retrouver en chaussettes, ou pire, pieds nus.

Au final, je me retrouve un peu en elle. J'aime avoir la sensation de la faire un peu revivre à travers moi, à travers les fleurs dont je m'occupe, à travers les livres que je lis.

Je distingue au loin la clochette de la boutique tinter mais me voyant plonger dans mes pensées, Claire se dévoue et se dirige vers notre client.

Il faut vraiment que je me reprenne mes esprits, je sais que maman serait très contrariée de me voir comme ça. Elle ne supporterait pas que je m'apitoie pour elle. Si seulement s'était aussi simple ; si seulement elle n'était pas partie.

- Un client voudrait un conseil, me réveille Claire d'un peu plus loin.

Je redresse la tête, décidée à me mettre au travail. Mais dès que mon regard croise celui de Marcus posté aux côtés de Claire, je perds légèrement mes moyens. Je fronce un peu les sourcils et me dirige vers eux.

- Merci, je m'en occupe. dis-je à ma collègue en arrivant à sa hauteur.

Celle-ci m'adresse un sourire complice et un regard pleins de sous-entendus auquel je réponds par un petit rictus en levant les yeux au ciel.

- Salut. annoncé-je en me plantant devant mon improbable client.

- Salut. répondit-il visiblement un peu gêné.

Mon regard coule vers les établis de fleurs sur ma droite attendant qu'il daigne m'expliquer sa présence ici.

- Tu voulais me dire un truc ? tenté-je en le regardant de nouveau.

- Et bien, commence-t-il mal à l'aise, j'ai eu une journée de merde et je t'ai attendu dehors un petit moment. J'avais envie de décompresser un peu en parlant avec toi donc j'ai pensé que venir ici était une bonne idée. Et puis maintenant, je me dis que j'ai l'air d'un crétin à venir te déranger sur ton lieu de travail pour si peu. déclare Marcus en se grattant l'arrière de la tête.

Son petit discours maladroit a le don de faire bondir mon coeur de ma poitrine. Pourquoi est-ce que je le trouve si mignon en cet instant ? Je ne pourrais dire si c'est le fait qu'il ait pensé à moi après sa dure journée ou qu'il ait carrément osé venir me trouver à mon travail mais je trouve cela adorable.

J'adresse à Marcus un sourire éblouissant avant de me retourner vers Claire. Alors que ma collègue renseigne un client, j'attire son attention et lui désigne la sortie de l'index avant d'exposer mes dix doigts devant elle, lui faisant comprendre que je m'absente dix petites minutes. Elle me sourit et hoche la tête. Je n'aimerais pas qu'elle s'imagine trop de choses...

Marcus à l'air surpris. Je l'invite alors à me suivre jusque sur le parking, passant comme toujours par la porte de derrière.

Nous nous adossons au mur tous les deux, comme à notre habitude et je me tourne vers lui.

- Alors qu'est-ce qu'il s'est passé ? demandé-je en pensant que cette mauvaise journée inclue surement son père.

Il soupire. Je remarque en effet qu'il est tendu. Les mains dans les poches de son Jean sombre, il fixe l'horizon avant de prendre une grande inspiration afin de se détendre.

- Tu sais quoi ? Ca me gave rien que d'y repenser. J'ai envie de me changer les idées. Tiens, parle-moi des fleurs.

Parle moi des fleurs - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant