Chapitre 1

52 1 0
                                    


1

           Je cherchai mon trousseau de clef oublié au fin fond de mon sac à main, aussi noir que l'obscurité. Seule la lueur de la lune quasiment pleine clarifiait les taches d'eau de bois d'ébène de mon bureau. Je poussai un soupir d'impatience face à la situation. Mes clefs demeuraient introuvables. Je retournais l'intérieur, faisant tomber mon rouge à lèvre ainsi que mon téléphone.

« Nom de Dieu » jurai-je.

Je m'avançai jusqu'à mon crayon de maquillage, qui avait alors roulé au pied de mon bureau. Mes talons claquaient sur le sol, contrastant avec le silence bruyant du cabinet. Je me baissai afin d'inspecter de plus près l'accessoire. La surprise me prit de court lorsque je me redressai : mes clefs se trouvaient enfouies sous une pile de dossier confidentiel. Je me frottai alors le front.

« Quelle abrutie. »

Je sortis de mon cabinet, fermai la porte à triple tour, puis traversai le couloir vidé de ses employés. Il était vingt heures trente, l'heure à laquelle je clôturai mes journées d'ordinaire. Immanquablement, je me trouvais être la seule avocate du bâtiment à tarder au crépuscule. Ainsi j'avais sympathisé avec le personnel chargé de propreté d'hygiène et les agents de sécurité. Néanmoins, c'était moi qui avais la tâche de faire une dernière inspection avant la fermeture. Aussi bien qu'à ma grande habitude, je vagabondai dans les différents couloirs des différents étages, veillant à ce que chaque lumière soit éteinte et que chaque porte soit fermée.

Je scrutai chaque recoin occulte de l'ombre lorsqu'un mouvement inattendu me figea. Songeant que probablement un autre avocat avait dû travailler tard ce soir-là, j'appelai sans équivoque.

« Quelqu'un est là ? Je suis en train de fermer. »

L'obscurité demeurait toujours muette. Ne percevant ni bruits, ni mots, ni gestes suspects, j'ignorai mon hallucination et poursuivis ma ronde. Quelque mètre plus loin, la porte du bureau de Mr Delalande était entrouverte. Je pénétrai à l'intérieur, cherchant d'une main l'interrupteur. La lumière jaillit dans la pièce, découvrant un amas de dossier rouge sur le bureau, des stylos couvrant le sol ainsi que des livres théoriques tombés de leurs étagères. Esquissant une mine outrée, j'examinai le bazard, pensant qu'une tornade avait fait un détour par ici. La gorge nouée par l'humidité du soir, j'appelai le patron dans un murmure presque inaudible.

« Mr Delalande ? »

Je m'enfonçai de plus belle dans le bureau, recueillant chaque stylos bleus amassés sur le carrelage.

Mon angoisse gravita d'un échelon. Quelque chose clochait. On aurait presque pu présager une bagarre. Je retentai de nouveau :

« Mr Delalande ? » Ma voix descendit d'une octave.

Mais pourquoi diable avait-il laissé son bureau dans un tel état ? Durant un court instant, je me refugiai dans mon esprit, examinant les circonstances actuelles. Le patron était une figure masculine admirablement ordonnée. Cela dit, je ne le connaissais pas suffisamment pour connaitre la raison de cet étrange foutoir. Me souvenant de quelques rendez-vous passés ici même, Mr Delalande exprimait toujours un sourire radieux, envoutant. Un homme très séduisant allant de pair avec son profil de businessman. Et son bureau était toujours conforme aux bureaux d'avocats : ordonné et bien soigné.

Soudain, la pièce devint noire. L'électricité fut coupée. Je scrutai l'alentour, tentant vainement de discerner l'horizon. Je fus saisie de panique lorsqu'une substance crasseuse m'effleura le bout des doigts. Je les retirai brusquement, les portant à ma poitrine. Mon cœur battait la chamade. Son rythme saccadé, découlait au gré du temps. Mon instinct me cria de prendre mes jambes à mon cou. Pourtant, j'étais dépourvue de toute action. Était-ce la douleur qui me paralysait ? Vidée. Muette. Isolée. Cependant, un air glacial submergea le bureau et s'ensuivit une série de murmure. Un murmure d'outre-tombe méprisant mais concis.

« - Cccchhuuuuttt. »

Je pivotai sur moi-même, le souffle coupé.

« - Angé.....li...que... »

Pas une minute de plus m'aurait suffi : je fis volte-face, contrôlant machinalement autour de moi, comme pour plonger mon regard dans celui qui était probablement braqué sur moi à cet instant. Je tapai le plus grand sprint de toute ma vie. Je parcourus les couloirs plongés dans l'obscurité, dévalant à fière allure les quatre étages incessants. L'adrénaline grimpait au cerveau. Entre essoufflement et terreur, ma respiration flamboyait ma gorge. On m'aurait entendu expirer à des kilomètres à la ronde !

Je tâtai les murs face à moi afin de découvrir une porte ou une issue quelconque. Ma panique s'accrut alors que je ne percevais rien d'autre que les abysses. Mes sens en alerte, je crus à maintes reprises discerner le bruit des gouttes d'eau glisser sur les vitres ou encore celui des pas me pourchassant...Je songeai durant un instant à Mr Delalande. Était-il parti ? Était-il vivant ? Ou était-ce simplement en train d'orchestrer cette horrible mascarade ? Quoiqu'il en soit, je pus discerner les contours de ce qui semblait être une poignée de porte. Je me hâtai de l'ouvrir et trébuchai dans un escalier trop étroit. Je défaillis subitement. Lors d'un instant, je me trouvais dans les profondeurs des ténèbres. Puis je rouvris les yeux et découvris qu'il n'y avait pas tant de différence. Je réprimai un cri de douleur. Compte tenu de mes talons haut de dix centimètres, ma cheville gauche était foulée. Je demeurais dans l'incapacité donc de m'appuyer dessus. Comme si cela ne suffisait pas, je me rendis compte que ces escaliers menaient au sous-sol du bâtiment.

« Super. De mieux en mieux... » lâchai-je, désespérée.

Je titubai dans cet espace lugubre qui semblait délabré, du moins dans le cas de ces circonstances. Mon escarpin d'une main, je palpai de l'autre les murs longeant les escaliers. L'ampoule du couloir clignotait. Le courant n'était pas totalement rétabli néanmoins, il ne cessait d'y avoir des baisses de tension. Cet endroit dissimulait un vrai labyrinthe ; derrière un chemin s'en cacher trois. Je me guidai au travers de cette lumière intermittente. J'avançai prudemment, veillant à ne pas être suivie. Les murs grisonnants répulsaient une odeur nauséabonde de charogne. Mes pieds nus étaient imbibés d'eau sale et de boue, laissant mes traces de pas derrière moi. Arrivée à une intersection, je sentis mon cœur bondir. Comment allais-je sortir d'ici ? Je suivis sur ma gauche et continuai la voie sans fin. Après quelques minutes de marche incertaine, je décidai de faire demi-tour. Mes chances de survie demeuraient faibles dans ce labyrinthe infernal. Je pressai le pas, avide de sortir de cet endroit macabre.

Soudain, une intuition inexplicable me saisit. Semblable à une énergie magnétique m'enveloppant de tout mon être. Une énergie surnaturelle. Cette dernière m'avait suivie depuis que j'avais quitté le bureau de Mr Delalande. Cependant, elle différait. Plus intense. Plus présente. Plus puissante. Mon corps se stoppa, malgré les ordres de mon mental. Mes pieds étaient cloués au sol : ils ne bougèrent pas d'un orteil. Je poussai brusquement un hurlement du plus profond de mes entrailles.

« Aaaaaahhhh!!Au secoouurss! »

Tout d'un coup, ma gorge m'ébranla de douleur. Plaquant mes mains autour du cou, j'étais sur le point de suffoquer. Mon corps ne fit aucun mouvement de défense. Comme paralysé. Comme si quelque chose, un être invisible me retenait dans son piège. Comme s'il m'étranglait. Je voulus crier de plus belle. Mais aucun son ne sortit de ma bouche. J'exprimais un visage blâme, ma bouche courbée de souffrance. Je sentis une chaleur calcifiante me bruler les joues. L'odeur de soufre se fit sentir au-dessus de ma tête. Pourtant, personne ne se trouvait là. Je demeurais seule. Seule avec le vide. Seule à entendre mes appels à l'aide. Mes mains toujours plaquées autour de moi, comme pour apaiser l'affliction, je sentis une force surhumaine me resserrer l'étreinte. Au travers de mes propres mains. J'allais mourir ici. De peur ou de ...

« - Mmmh....mon ange... »

Ces mots, presqu'inaudibles semblaient provenir de nulle part. Était-ce mon imagination ? Et si tout ceci n'était qu'en fait une hallucination ? Un mauvais rêve ? Lorsque, face à moi, l'espoir jaillit. Dans une flaque de boue poussiéreuse, je perçus ...mon téléphone, alors perdu dans le bureau de Mr Delalande, quelques minutes auparavant...

LucideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant