Prologue

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  Elros.

Cette fois, c'est sûr, je suis clairement un idiot !
Comment ai-je pu échapper à l'armée du roi, au roi lui-même et me faire attraper par une patrouille ?
J'aurais dû les entendre ! Mon ouïe est suffisamment développée pour ça, alors pourquoi n'ont-ils pas émis un seul son ?
Moi qui, ne souhaitais que retrouver ma famille, voulais les serrer dans mes bras et reprendre mon existence avec eux ; c'est raté. Ça ne fait que quelques jours qu'ils m'ont laissé et ils me manquent terriblement. Nous n'avons jamais été séparés aussi longtemps.
À présent, me voilà à marcher avec trois, non, quatre autres Elfes, avançant la tête baissée et aussi dépités que je le suis, me demandant si Myôbu est en vie…
Aucune de nos « sentinelles » n'a daigné répondre à mes questions. Comme : où nous conduisent-ils ? Même si j'en ai déjà une petite idée vu leur espèce...
Une autre m'angoisse plus que les autres : que vont-ils faire de nous ?
L'un d'eux s'était simplement tourné pour me gifler, juste pour que je me taise, sans un mot.
Du mieux possible, j'ai retenu mes larmes et empêché ma main de se lever pour apaiser la douleur cuisante sur ma joue, en essayant d'atténuer celle de mon bras, dont le sang s'écoule toujours à l'heure actuelle…
Les Sylphes ne sont pas réputés pour leur compassion, au contraire et leur dirigeant est presque une célébrité. Sa renommée n'est plus à faire concernant sa cruauté...
Il est le pire de tous !
Tremblant d'effroi, face à ce qui m'attend, je jette un coup d'œil aux alentours, bien que je n'aie aucune chance de fuir loin de ce peuple. Mais la seule chose que je vois, c'est Chomry survolant le ciel. L'odeur de mon sang a dû l'attirer jusqu'à moi. Il entame une descente et d'un signe de la main, je lui ordonne de ne pas venir. Je ne tiens pas à ce qu'il soit en danger, je tiens beaucoup trop à mon dragon, mon ami…

Pour détourner mon attention de ma douleur psychologique, je me remémore le moment de ma capture.
Dès qu'ils m'ont aperçu, ils se sont mis à courir, m'obligeant à réagir hâtivement. Je me suis précipité dans une direction opposée, Myôbu sur mes talons, mais les gardes sont surentraînés et lorsque j'ai vu que le Kitsune n'était plus à mes côtés, un projectile m'avait cloué contre un arbre.
L'un de mes poursuivants s'était ensuite approché et m'avait retiré la flèche d'un mouvement sec, m'arrachant un cri de souffrance. Ce Sylphe m'a ramené de force, ignorant mes hurlements de désespoir en remarquant Myôbu, inerte, affalée de tout son corps au pied d'un tronc.
Afin de me faire obéir, il me tirait par mon membre blessé, pour me pousser au sol quelques mètres plus loin, à la sortie de la forêt derrière le royaume des Elfes. Les dents serrées, je remarquais que je ne n'étais pas le seul.
Quatre des miens étaient déjà reliés par des chaînes menottées à leurs chevilles. Puis, nous avons dû nous mettre en route, après qu'un de nos geôliers ait accroché un parchemin à leur dragon et l'ait renvoyé dans le ciel avec rudesse, certainement pour transmettre un message à leur roi…
En cet instant, j'angoisse tellement pour la suite, que j'observe à nouveau ce paysage familier pour essayer de me détendre. Ne pas réfléchir à la suite...
La route est encore longue pour arriver jusqu'au royaume des Sylphes, si tant est que ce soit bien là qu'on nous emmène. Au moins deux jours si l'on ne fait aucune pause et plus si on s'arrête pour la nuit.
Cette perspective me redonne de l'espoir. Les gardes ne pourront pas nous laisser dormir dans ces conditions. Attachés les uns aux autres.
Après avoir quitté le champ de fleurs écrasées – ces hommes ne respectent rien – par les bottes en cuir, noires et faites pour leur statut de guerrier, nous arrivons près du royaume des Fées.
Le changement se fait quand je pose mon pied droit sur de l'herbe humide de rosée. Nos têtes se recouvrent de gros nuages noirs. Le temps ensoleillé passe à l'orageux en un quart de seconde, affichant la négativité et la positivité de ce peuple connu pour leur neutralité dans toutes les guerres.
En effet, le climat s'ajuste toujours en fonction de l'humeur des Fées. S'ils sont heureux, le soleil brillera haut et fort dans le ciel, même si de beaux nuages blancs resteront presque à portée de main. S'ils sont tristes, la pluie tombera sans interruption jusqu'à ce que la joie revienne. Ce sont des êtres assez complexes, avec une telle empathie, qu'ils sont capables d'absorber les émotions de tous ceux qui les côtoient.
Si seulement ils pouvaient éprouver notre peur, en cet instant, peut-être qu'ils nous viendraient en aide. Malheureusement, je sais, par expérience, que ça n'arrivera pas.
Un jour, dans ma plus tendre enfance, je me baladais à proximité de leur territoire, lorsque des Sylphes m'étaient tombés dessus. J'étais cerné de toute part, juste parce que je suis un Elfe, la créature la plus faible de notre monde et la plus immonde à leurs yeux. La plupart d’entre nous protègent les dragons, ce qui est inacceptable pour des « personnes aussi élevées dans la hiérarchie » qu'est notre Terre. Eux estiment que les dragons Ragnors sont là pour nous servir, être l'esclave de chaque homme, chaque femme, chaque enfant. Peu importe le royaume…
Enfin, au moment où je me pensais perdu, des fées étaient apparues de nulle part et passaient à proximité. L’une d'elles s'était arrêtée pour observer la scène, avant d'attirer l'attention de ses compagnons. J'avais alors bon espoir de m'en sortir sans aucune égratignure.
Quelle erreur !
Ils ne leur avaient pas fallu beaucoup de temps pour tourner le dos et reprendre leur route. Ce jour-là avait été le pire de ma vie. Mon torse, ainsi que mon dos, en portent encore les stigmates et mon esprit, la peur de me retrouver face à l'un d'eux… Leurs mots résonnent toujours à mes oreilles et me glacent le sang.
« Nous allons te faire un cadeau », avait débuté le premier, tandis que le second m'avait jeté au sol pour me maintenir avec le troisième. Le quatrième souriait face à la scène et sortait un couteau muni d'une longue lame, aussi bleue que les lacs.
« Ainsi, tu te souviendras toujours de t'agenouiller face à un Sylphe ! »
Je secoue vivement la tête pour essayer d'oublier l'horreur de ce qu’ils m'avaient infligé. Enfin, on ne peut changer le passé, il  mieux le mettre de côté et le laisser tomber dans l'oubli…
Discrètement, j'inspecte ceux qui nous détiennent et nous font marcher depuis plusieurs heures sans ralentir la cadence. Ils sont plus grands et plus forts que nous. D'autant plus qu'ils sont armés...
La nuit est déjà là, pourtant nous ne nous arrêtons nullement. Je vois mes chances de retrouver mon père et ma sœur diminuer, quand finalement, alors que la lune est bien haute dans le ciel sans étoiles, le plus éloigné s'arrête, puis se retourne.
— Nous allons manger et dormir en cette terre. Ces petites choses, commence-t-il en nous désignant avec dégoût, sont incapables de tenir la distance. De plus, il serait temps de soigner les blessures.

Et c'est ce qui a été fait. L'un des gardes a donné un morceau de tissu, pour bander mon bras, puis nous avons eu le droit de manger un morceau de pain et enfin de dormir. Le tout, toujours attachés les uns aux autres, devant subir la promiscuité d'un autre Elfe dans mon dos, car l'écart entre nous tous avait été réduit sur les chaînes.
Impossible de fuir !
Réveillés par des coups de botte, dans les mollets, au lever du jour, l'un des Sylphes allonge nos liens, nous laissant ainsi retrouver un semblant d'intimité. Un autre nous balance un morceau de pain, puis nous donne quelques gorgées d'eau dans une feuille d'arbre, comme la veille. Ils ne vont pas salir leurs gourdes de métal avec nos bouches et notre salive !
Mon corps est courbaturé et a énormément de sommeil à rattraper. J'ai mis de longues heures à m'endormir, l'esprit trop accaparé par tous les êtres qui me manquent. Reverrais-je Chomry un jour, mon dragon ? Aurais-je la chance d'étreindre mon père et ma sœur une dernière fois ? Est-ce que Myôbu a pu se réveiller ? Se relever et s'en aller ?

La route reprend, similaire à celle d'hier, à l'exception près que je commence à vraiment avoir la bouche sèche. Si seulement les Fées pouvaient faire pleurer le ciel…
Je me ficherais royalement d'être trempé si je pouvais boire jusqu'à plus soif. Mais non, la pluie ne tombe pas et nous devons poursuivre notre route, en contournant la montagne de Ewyssana. Celle-ci est majestueusement effrayante, tant elle est immense, parsemée d'embûches pour grimper jusqu'au sommet. Entourée de sable fin et chaud, comme un désert brûlant à traverser, rien que pour accéder à ses pieds. Jusque-là, je n'ai jamais eu besoin de m'y rendre et je prie tous mes vœux pour ne jamais avoir à le faire. Tant de personnes ont essayé depuis des siècles et n'en sont jamais revenues…

Une nouvelle nuit arrive et se déroule de la même manière, rendant encore une tentative de fuite impossible. Je me désespère, lorsque le lendemain nous marchons en direction d'un portail immense, couleur saphir, entouré par une palissade s'étalant à perte de vue.
Le royaume des Sylphes est bien protégé, bien mieux que celui des Elfes…
Ces murs semblent infranchissables. D'ailleurs un garde me le confirme, avec un plaisir évident devant ma mine dépitée.
— Ce n'est pas pour empêcher quiconque d'entrer, mais pour éviter aux esclaves de disparaître !
Puis, il ricane avant de lever les mains, haut, au-dessus de ses épaules. Il les abaisse en arc de cercle. L'eau semble obéir à ses ordres, suivant le mouvement de ses paumes, sous mon regard ébahi. On ne nous laisse pas le temps d'apprécier ce tour de magie, exceptionnel à mes yeux, qu'on nous pousse pour pénétrer dans le royaume. La douleur rejaillit dans mon dos par moment, surtout lorsqu'on appuie sur les cicatrices laissées par certains d'entre eux.
Je suis persuadé qu’ils ne sont pas tous mauvais et qu'il doit, forcément, en exister des bons. Le roi n'est peut-être pas aussi cruel que les échos se répercutant dans toutes les contrées. Peut-être même qu'il n'y a que quelques hommes qui sont vraiment horribles. Après tout, ceux nous ayant conduits jusqu'ici ne nous ont pas violentés gratuitement. J'ai pris une flèche parce que je fuyais et une gifle, car j'étais trop bruyant…
Je suis tiré de mes pensées par deux poignes puissantes forçant sur mes épaules, jusqu'à ce que je sois à genoux et qu'une main abaisse violemment ma tête, presque à la rentrée dans leur terre boueuse. Un coup d'œil, en direction de mes compagnons de misères, me montre qu'ils sont dans la même position. Une voix grave, légèrement rauque retentit tout près de nous. De moi. 
— Dans mon royaume, vous allez enfin être à votre place. Vous n'êtes que des esclaves bons à nous servir ! Je suis votre maître et vous me nommerez comme tel. Car votre vie ne vaut rien et pourrait s'arrêter à tout moment !
Mon cœur pulse de plus en plus vite.
— Si vous la perdez, vous serez simplement remplacés ! précise-t-il, d’un ton impassible, accentuant encore le fait que la vie n’avait aucune valeur à ses yeux.
Malgré moi, je me sens tourner de l'œil. Les paroles du roi, les journées précédentes, difficiles, la panique me submerge et alors que je pense m'effondrer plus bas encore, mes cheveux sont fermement tirés en arrière et mon regard plonge dans des iris aussi sombres, que orageuses, sans aucune empathie. Ses doigts tirent plus fort pour me rapprocher si près que je sens son souffle au creux de mon oreille.
— Tu as raison de trembler… lorsque tu seras entre mes mains, tu imploreras ma pitié.
D'un mouvement brusque, il m'oblige à croiser ses yeux.
— Je n'en possède pas… murmure-t-il pour moi seul, avant de me libérer de son emprise et me laisser m'étaler cette fois.
Il a gagné. Je n'ai plus envie de tomber dans les pommes, mais de me protéger coûte que coûte de ce monstre sans âme qu'il paraît être…

La Prophétie - Tome 1 - Les Quatres RoyaumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant