Chapitre 13

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Elros.

Le contremaître vient nous chercher dans l'école, alors que le travail n'est pas terminé. Ne prenant pas la direction du palais, je me demande bien où il peut nous mener ainsi.
Quelques instants plus tard, on se retrouve devant un énorme bâtiment, rond, fait de pierres imbriquées les unes sur les autres.
Où nous trouvons-nous ?
Notre chef nous remet entre les mains des gardes, qui apparemment prennent le relais.
Faisant face à un tunnel, ils nous obligent à l'emprunter. La hauteur de la paroi est si basse que nous en sommes réduits à le parcourir, le corps plié en deux. Arrivant au bout, nous tombons sur une pièce sombre et humide, que seule une torche éclaire.
Le temps que mes yeux s'habituent à la pénombre, j'entrevois plusieurs silhouettes se fondant dans le décor et, ne sachant pas vraiment s'il s'agit d'esclaves ou de gardes, je me tiens à distance.
Ma vue revient plus nettement et je peux distinguer sept autres de mes semblables.
Pour quelles raisons nous a-t-on amenés ici ? Je commence à avoir un peu peur. Être enfermé dans un tel endroit ne peut rien signifier de bon pour nous. Surtout que personne ne vient nous sortir de là.
Le temps file, doucement, prestement, je n'en sais rien, néanmoins, ma panique augmente au fil des secondes qui s'égrènent. Nous n'avons aucun moyen de nous repérer. Et si c'était une punition pour toutes les erreurs que j'ai commises aujourd'hui ? Dans ce cas, les autres sont-ils aussi coupables que moi ?
Toutes mes réflexions ne me conduisent nulle part. Je fais les cent pas, tournant comme un dragon en cage.
Ce n'est que bien des minutes plus tard, que j'aperçois légèrement une porte en bois dans le fond.
Je sens qu'on me pousse vers celle-ci, alors qu'elle s'ouvre en coulissant vers le haut. Je suis ébloui par la lumière du jour qui se dégage de l'extérieur.
Là, quatre gardes nous attendent. Chacun d'eux saisit deux d'entre nous et nous dirige vers des grilles qui, elles, sont au nombre de quatre également. Ils nous font patienter devant celles-ci durant un interminable moment, donnant ainsi à mon cœur, le temps de s’affoler, et à mon esprit, d'imaginer diverses possibilités, toutes plus effrayantes les unes que les autres.
C'est avec une synchronisation, hors du commun, que celles-ci sont ouvertes et qu'on nous ordonne d'entrer dans ce qui ressemble à des cellules. Les murs de pierres sont froids, me gelant de l'intérieur. Mais ce qui m'angoisse le plus, c'est l'absence de plafond, montrant ainsi clairement que nous serons observés par le peuple de ce royaume.
Peu importe où mon regard se pose, nous sommes entourés de Sylphes, confortablement installés dans des gradins, semblant attendre un spectacle.
Mais lequel ?
Est-ce nous qui allons devoir le leur offrir ? Et pourquoi nous avoir séparés ? Je suis tiré de mes pensées par le grincement de la grille, puis elle claque dans un bruit assourdissant. Je me rue dessus, cherchant à m'évader, avant de subir plus que je ne pourrais en supporter.
Je sens comme une main se poser sur l'une de mes frêles épaules, qui me tire tout en douceur. Je me retourne sur mon camarade de cellule.
J'entends une voix venant des gradins, elle ne m'est pas inconnue. Je le cherche des yeux, puis le vois du haut de sa tour, il est là, fier d'être ce qu'il est.
— Cher Sylphe, vous avez devant vous huit nouveaux esclaves. Ils sont ici afin de passer le premier test !
Son peuple l'acclame haut et fort, me donnant la nausée. Je n'arrête pas de m'interroger sur les minutes qui vont suivre, et ça me fait bien trop peur. Surtout depuis cette fin de matinée, lorsque j'ai vu de quoi le roi était capable ! Il aurait facilement pu me tuer et rien ni personne ne l'en aurait empêché. Après tout, les Elfes ne valent rien, ici, dans ce royaume.
À présent, le roi nous observe, mon estomac se retourne davantage.
— Vous allez avoir cinq minutes et pas une de plus ! Le tambour sera frappé à chacune d'elles pour vous donner le décompte.
Maintenant, je panique !
— Si chaque duo ne s'est pas décidé au-delà du temps imparti, les deux resteront ici durant deux nuits et deux jours entiers !
Rien que ça me semble terrible et le fait qu’il n’annonce pas encore ce qui nous attend, ne m’aide pas à calmer mes pulsations cardiaques.
— Sans eau ni nourriture ! ajoute le roi, comme si la première menace ne suffisait pas.
Je crains plus encore ce que nous allons devoir faire pour l'éviter.
— Au retentissement du dernier coup de tambour, vous devrez avoir déjà énoncé lequel de votre cellule aura le droit de voir sa famille pour une journée complète !
Voir ma famille !
C'est ce dont je rêve depuis qu'ils m'ont laissé dans le royaume des Fées pour me protéger. Et tout ce que j'ai fait, c'est partir, désobéir et finalement, me faire attraper.
Si mon père me voyait, il serait certainement déçu…
Mais comment le pourrait-il ? Mon père et Maliana sont sûrement bien loin à l'heure qu'il est, peut-être sont-ils retournés dans notre royaume, ma terre natale. À moins que le roi ne les ait faits prisonniers eux aussi !
Non ! J'espère vraiment que non !
— Je ne sais comment tu t'appelles, mais nous devons vite nous décider, me rappelle l'Elfe, avec lequel nous nous trouvons dans la même galère.
Comme pour confirmer ses dires, le tintement de la baguette sur le tambour retentit, annonçant qu'une minute nous a filé entre les doigts. Je ne me suis même pas rendu compte que ça avait commencé.
— Écoute, reprend-il très vite. Nous n'avons que peu de temps. Alors je t'avoue que j'aimerais beaucoup revoir ma famille.
Tout à coup, les Sylphes se mettent à hurler, sans que nous n'en assimilions la raison, couvrant presque le deuxième Dong.
Une nouvelle minute d'écoulée !
— Que fait-on ? demandé-je avec crainte. Penses-tu que nos familles sont ici ?
Ses sourcils se froncent, il paraît incrédule, comme s'il n'avait pas envisagé cette possibilité.
— Peut-être nous laissera-t-on passer cette journée chez nous. Reste à savoir si ce sera toi ou moi… poursuit-il en ignorant ma remarque.
La foule continue à hurler, alors que la voix du roi, puissante, s'élève au-dessus de nos têtes.
— Un premier duo vient de se décider.
Le troisième dong tinte.
— Un second duo vient de se décider par forfait.
Par forfait ?
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Je n'en sais rien, mais il vaut mieux qu'on prenne une décision ! s'exclame le second Elfe.
À partir du quatrième Dong, le tambour est battu pour marquer chaque seconde, rendant ce dilemme plus stressant qu'il ne l'était déjà. Tandis que le troisième duo a également réussi à faire son choix.
C'est peut-être ma seule et unique chance de les revoir. Je ne peux pas la laisser filer, comme ça, sans même essayer de convaincre celui qui est mon adversaire. Mais si je le fais, je le prive aussi. Qui sait s'il n'en a pas plus besoin que moi ? Quand je croise son regard, j'y distingue de l'espoir et du désespoir mêlés.
Être égoïste, j'en suis incapable…
— Nous avons choisi ! crié-je haut et fort pour couvrir le bruit ambiant.
Le roi Andéos lève la main et le silence se fait.
Le cœur battant par ma décision, je prends la parole.
— Mon compatriote ira voir les siens ! annoncé-je avec une pointe de culpabilité.
Je pense que mon père aurait été plus qu'heureux de me serrer dans ses bras, même si ce n'était que pour une seule journée. Au moins, il aurait eu la certitude que je vais bien. Après tout, il me connaît par cœur et a su quand je comptais quitter la maison, il doit donc se douter que je suis parti du royaume des Fées…
Deux gardes entrent dans la cellule, nous font sortir un par un, me menant par la pièce sombre du début, alors que l'autre est emmenée à l'opposé. Je comprends que ceux qui ont gagné le droit de voir leurs proches sont séparés de nous.
Le tunnel passé, je me retrouve face à celui de mon souvenir, n'arrivant pas à me rappeler d'où est-ce que j'ai aperçu cet Elfe.
Nous reprenons le même chemin qu'à l'allée et, pour éviter de penser à ce que j'ai laissé s'envoler, je décide de converser avec lui.
— Ce n'est pas trop dur ? l'interrogé-je à voix basse.
— Non… Je n'ai plus de famille, juge-t-il bon de m'expliquer, en murmurant lui aussi.
Désolé pour sa perte, je décide de changer de sujet et tente d'en savoir plus par la même occasion.
— Nous sommes-nous déjà rencontrés ?
Durant quelques secondes, son visage s'éclaire comme s'il détenait tous les secrets du monde. Puis, ses yeux se teintent d'une tristesse ne m'étant pas inconnue.
— Derrière notre royaume… Lorsque j'ai libéré Valielle, mon Ragnor. Elle me manque beaucoup…
Discrètement, je détaille ses traits et en effet, je me rends compte que c'est bien lui. Je me souviens de chaque geste qu'il avait eu à l'égard de sa dragonne. Il n'y avait aucune lutte de pouvoir entre ces deux-là.
— Pardon…
Mes excuses sonnent lamentablement à mes oreilles.
— Je ne voulais pas te rappeler ce moment difficile…
D'un signe de la main, il m'indique que ce n'est rien.
— Au passage, moi c'est Féanos, lance-t-il en me tendant la main sans s'arrêter, après avoir vérifié que nous n'étions pas observés.
Je la serre, en me nommant également et si la situation n'est pas des plus simples, je suis plutôt content d'avoir quelqu'un avec qui parler.
— Tu es là depuis quand ? demandé-je intrigué.
Avant qu'il ne puisse me répondre, je suis interpellé par le contremaître, patientant, la mine renfrognée, sur le parvis.
— Toi ! commence-t-il en me désignant. La reine t'attend. Elle te veut comme esclave personnel pour parfaire ton éducation !
Comme je ne bouge pas, il m'attrape par l'épaule et me bouscule pour rejoindre ma « nouvelle affectation ». Le regard rivé sur la boue, je pose mes pieds sur le chemin dallé, débouchant à l'entrée du palais royal.
Pour la seconde fois de la journée, j'emprunte l'escalier de service servant aux hommes de ma condition. Des esclaves…
Je suis las d'entendre ce mot dans toutes les bouches. Un terme nous réduisant à un statut si peu élevé que, si nous venions à disparaître, nous serions remplacés aussitôt…
— Maîtresse. Vous m'avez fait demander ?
Debout, les mains jointes devant moi, j'attends les instructions.
— Comme vous ne disposez que de peu d'aptitudes au nettoyage, vous allez devoir reprendre, entièrement, tout votre travail de ce matin !
C'est découragé que je vais chercher le matériel et m'attèle à la tâche, occultant la souffrance de mon bras, s’accentuant au fil de mes mouvements. La reine Galadriel dans mon dos, inspectant minutieusement chacun de mes mouvements, m'invectivant dès que possible. Je ne suis pas certain que tout ça soit justifié et je crains sincèrement pour la suite. Devenir son esclave personnel me promet des jours fatigants à venir…
Égal à quelques heures plus tôt, je suis à genoux sur le parquet afin de le cirer, quand elle m'appelle. Laissant la brosse ainsi que la cire sur le sol, je frotte mes mains sur mon vêtement en me rapprochant lentement. Mes jambes sont fourbues, mes bras n'en peuvent plus et pourtant, je suis loin d'en avoir fini.
— Va me chercher de l'eau !
J'acquiesce à sa requête, m'abaisse dans une révérence et sors, soulagé de cette courte pause. Je déambule dans les couloirs, ayant encore du mal à me repérer. Ce palais est bien trop grand à mon goût. Me pressant, afin de ne pas trop faire attendre « Sa Majesté », je finis par questionner un homme récurant le hall, qui m'indique le trajet à suivre.
Arrivé dans les cuisines, je fouille le vaisselier à la recherche d'une timbale. Lorsque je l'ai en main, je la remplis, puis retourne sur mes pas.
Les marches sont de plus en plus difficiles à monter…
Au détour d'un couloir, n'étant même pas sûr de l'endroit où je me trouve, j'aperçois une silhouette que je reconnaîtrais même dans la pénombre.
Le roi Andéos !
Pour l'éviter, je pousse la première porte sur ma gauche et entre. La vision sous mes yeux me glace d'effroi. Je fuis un Sylphe, le souverain, pour le voir réapparaître devant moi ! Mes doigts tremblent tellement que la tasse bascule à mes pieds, renversant l'eau au passage. J'assimile à cet instant précis qu'ils sont deux. Le roi a un frère jumeau ! Et c'est le prince qui a voulu me tuer !
Je reporte mon regard sur la scène s’offrant à moi.
Le roi est en train d'assouvir ses perversités avec un Elfe et je viens de l'interrompre ! Avant que je ne puisse filer, il vire celui qu'il avait sous la main, nous hurle de dégager et je ne sais s'il a changé d'avis ou si ses paroles ne s'adressaient pas à moi, mais ensuite il m'interdit de partir.
Mince !!!
Dans ses prunelles sombres, je peux facilement lire le sort qui m'attend…

La Prophétie - Tome 1 - Les Quatres RoyaumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant