Chapitre 2

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Andéos.

C'est avec des émotions partagées que j'oblige Aptéas, mon Ragnor d'eau, à se poser sur le toit de mon palais. Je descends en sautant lestement de son dos, comme j'ai l'habitude de le faire depuis mon adolescence et que ma taille me le permet, puis celui-ci courbe l'échine en signe de respect, bien que ce ne soit pas le cas.
Je suis son maître, pas son compagnon. Il se doit d'obéir à la moindre de mes requêtes.
Enfin… cette nouvelle expédition m'a été bénéfique et m'a permis de revenir avec une dizaine d'Elfes, tous âges de vingt-deux à vingt-six ans. Ce qui est plutôt satisfaisant, car l'un d'eux pourrait être celui que je cherche, de même que mon père avant moi et toutes les générations précédentes. Mais la réunion, prévue avec mes conseillers, qui doit débuter dans quelques minutes, m'horripile au plus haut point. Chacun d'eux attend un compte-rendu de MA quête. Ce n'est pas la leur néanmoins, en « braves hommes » qu'ils sont, ils se sentent concernés.
J'ai horreur qu'on ait un contrôle sur ma vie ! Je déteste qu'on puisse me dicter des règles ou m'imposer un foutu compte-rendu.
Je suis le roi et à ce titre, j'estime qu'on devrait me laisser agir à ma guise.
Sortant de mes pensées, je m'aperçois qu'Aptéas n'a pas bougé et qu'il attend sans aucun doute mon ordre, pour aller se remplir l'estomac. Sans aucun remords, je le fais patienter encore un peu.
Il y en a au moins un qui m’obéit au doigt et à l'œil...
— Tu peux aller te nourrir, l'autorisé-je en plaquant mon index et mon majeur, collés l'un à l'autre, à ma bouche et les levant vers le ciel.
Puis, je me retourne, sans plus lui accorder d'attention et emprunte ensuite les marches de pierres, situées au centre.
Elles mènent directement à mes appartements privés. Mon endroit personnel, dont personne ne s'accorderait le droit d'y pénétrer sans mon autorisation. Même la reine Galadriel, mon épouse, désignée par mon père avant son décès.
Difficile de contrarier un mort…
Lors de la Grande Guerre, ayant eu lieu neuf ans plus tôt et lui ayant coûté la vie, il a été démontré que les Elfes étaient des créatures faibles. Celles-ci nous ont permis d'asseoir notre pouvoir sur eux, autant que notre magnificence sur notre monde. Depuis, ils savent qu'ils n'ont pas le choix de donner les leurs, tous ceux que nous souhaitons emporter, sans avoir la moindre objection.
Après m'être servi un verre de vin rouge, dans ma réserve personnelle, je m'installe dans mon canapé trois places, rembourré sur l'assise et le dossier, avec un tissu bordeaux pour revêtir la masse moelleuse ainsi que le bois de première qualité. Pareil au plus petit mobilier de ce lieu que j'affectionne particulièrement.
Personne n'ignore que, de par mon statut, je suis le seul méritant, tout comme mon premier trophée, reçu à mes quatorze ans.
Ainsi que cette marque sur le côté droit de mon visage… pensé-je en la frôlant, comme j'ai pris l'habitude de le faire, depuis son apparition.
Mon regard se pose dans le renfoncement. Le seul creux de trois mètres carrés, posé au détour d'un rond, et rejoints cet endroit recelant ce que je considère comme mes trésors de guerre. Du bout des doigts, je frôle certains de ces objets, appréciant la quiétude qu'ils m'apportent, autant que la nostalgie. Je termine par le squelette de Pythos, mon premier dragon m'ayant valu la première place, entre mon frère jumeau et moi. Celui-ci n'avait pas eu le cran de procéder à la mise à mort. Pourtant, nous nous ressemblons presque comme deux gouttes d'eau, tant physiquement qu'au niveau du caractère. Il a juste moins de force mentale.
Passé ce jour, mon paternel m'avait pris sous son aile et m'avait formé à devenir un grand dirigeant.
Las de ressasser de vieux souvenirs inutiles, je quitte mon antre et referme la porte arrondie avec douceur.
— Votre expédition s'est-elle bien passée ?
Pivotant, je découvre Galadriel, mon épouse, les bras pendant le long de son corps fin et longiligne. J'aimerais la renvoyer dans ses appartements, que nous ne partageons que rarement, mais nous sommes dans le même bateau. Autant l'un que l'autre, nous n'avons pas souhaité ce mariage. Alors je réponds d'une voix basse.
— Parfaitement.
Un seul et unique mot, afin de lui montrer que je n'ai pas le temps, à présent, de discuter avec elle.
— Très bien. Viendrez-vous me rendre visite cette nuit ?
Sa demande est plate, sans attente. Je pense qu’elle souhaite simplement de savoir si elle va devoir remplir son devoir conjugal. Bien que ce soit une très belle Sylphe de sang noble, d'où notre union, ce soir, j'ai envie d'autre chose. Comme toujours d'ailleurs…
— Non, j'ai des devoirs importants qui m'attendent, annoncé-je pour couper court à cette discussion ennuyeuse et pour le moins gênante.
Toujours sans afficher la moindre émotion, elle acquiesce.
— Nous nous verrons plus tard… lâché-je avant de tourner les talons.
Nous avons échangé nos alliances le jour de mes vingt-six ans, mais c'est à peine si nous avons consommé. Ça doit pouvoir se compter sur les doigts d'une main, la dernière fois remontant à environ deux mois.
Pourquoi changer quelque chose qui nous convient à tous les deux ?
Je descends les escaliers menant au premier étage, puis m'engage de la même manière au rez-de-chaussée. Traversant divers dédales de couloirs, je finis enfin par arriver devant la salle de réunion. Yiorgos, mon bras droit, ne m'a pas encore remarqué et n'affiche aucun signe d'impatience. Ce Sylphe est celui qui me connaît le mieux, mes défauts, comme mes qualités. Les plus petits, comme mes plus grands secrets.
— Encore en retard ! me lance-t-il d'un ton sec.
Il veut me faire croire qu'il m'en veut cependant, son rictus, amusé, annonce clairement la couleur.
— Moi ? mimé-je en surjouant, puis je reprends mon sérieux. Ils sont tous déjà là ?
Il approuve d'un hochement de tête, avant de m'ouvrir la porte pour que je puisse faire mon entrée.
Avec mon bras droit, lorsque nous sommes en privé, nous ne nous embarrassons pas des convenances réservées à mon rang.
En effet, mes douze conseillers sont présents et quelques-uns paraissent agacés. Leur mécontentement me satisfait. Je les salue du bout des lèvres, en gardant mon regard sur Eliános, le seul sincèrement de mon côté, esquissant même un léger sourire à son encontre, qu'il me rend.
Lorsque je suis installé sur le siège, dédié à mon statut, Yiorgos à ma droite, le conseil peut démarrer.
Comme prévu, Eliános est le premier à prendre la parole.
— Votre Majesté. Nous avons reçu de nouvelles informations du royaume des Cyrails. L'œuf de feu sera prêt dans maximum trois jours, vous pourrez le récupérer.
— Très bien, approuvé-je.
Les Ragnors, bien qu'ils soient tous de la même espèce, sont divisés en quatre, les quatre éléments. Dans mon royaume, l'eau prédomine à chaque endroit, que ce soit à l'entrée ou celle entourant mon palais et que seuls les Sylphes peuvent toucher, sans oublier le marécage où pousse notre champ de domières. Notre sol étant unique, comme celui des Cyrails, dont leur terre chaude, l'est bien trop, pour les autres peuples la supportant mal. Le sol est fait de crevasses et de roches volcaniques. Leur élément est le feu.
Dans le royaume des Fées, l'air est leur essentiel. Les habitations sont faites de matériaux naturels et flottent dans les airs. Quant au royaume des Elfes, si on peut vraiment le catégoriser comme tel, la terre est leur élément et la nature représente toute leur vie.
Chaque Ragnor possède le symbole de son lieu de naissance sur son flanc.
Je les veux tous ! Il ne me manque plus que celui qu'Eliános vient de citer.
— Bien. Yiorgos ? l'interrogé-je en lui jetant un regard.
— J'irai, Votre Majesté.
Je le remercie d'un regard avant de pivoter mon buste en direction de Svalios. Ce dernier ne supporte toujours pas d'avoir échoué néanmoins, il reste mon jumeau et est, cependant, de bons conseils.
Comprenant qu'il a la parole, il se lance, une expression impassible sur son visage.
— Qu'a donné ton expédition ?
— Plutôt bonne, réponds-je sans développer.
Je ne sais pourquoi, il poursuit, mais quand c'est le cas, à chaque fois, ça me met de bonne humeur.
— Mais encore ?
Son insistance, autant que le fait qu'il soit prévisible, m'arracheraient presque un sourire.
— Satisfaisante.
Nous échangeons encore quelques mots, ne déviant aucunement de nos positions et enfin, il craque.
— Des détails ! s'énerve-t-il, en tapant le poing sur la grande table de bois vernie.
Son flegme se craquèle. Il est celui de nous deux ayant le plus de mal à conserver son sang-froid, tandis que moi, j'ai mes secrets…
Bronweg, l'un des plus vieux conseillers avec Arcadio, m'interroge avec sérieux.
— Votre majesté. Nous devons savoir ce qu'il en est. C'est un sujet important.
Son calme permet à Svalios de se reprendre.
— Oui, mon frère. Tu sais que nous attendons avec la plus grande hâte, que tu prennes le règne sur tous les royaumes, autant que les Ragnors.
Aucun cynisme dans son intonation. Rien qu'un rappel à la légende.
Celle-ci, écrite sur un vieux parchemin, néanmoins bien conservée, a été trouvée par notre plus vieil ancêtre, Honélos. Ce bout de papier lui était apparu dans un rêve, du côté du royaume des Sylphes, ou des Fées, des Cyrails, des Elfes, près du volcan interdit, ou de la fontaine de l'espoir... Chaque descendant racontait ce qu'il comprenait, faisant ainsi courir plus d'une version. Ce qu'il faut retenir de tout ça, c'est le texte que je connais par cœur, à force de le relire durant des mois, voire des années. Chaque phrase, chaque mot…
Seul l'élu peut découvrir où se trouve l'œuf du Lycanwing et le faire éclore à son contact.
Si le Lycanwing est réveillé par l'élu, tous les dragons seront libérés, leur accordant, ainsi, le choix de leur maître.
Dans le cas où l'animal légendaire est lié à un autre que l'enfant royal, après sa naissance, ce dernier prendra le contrôle de tous les Ragnors et des royaumes.
Il deviendra l'homme le plus puissant que la terre ait porté et plongera le monde dans le chaos. Il fera de toutes les créatures : ses serviteurs.
Pour eux, seul un sang royal, pouvant s'asseoir sur le trône, est susceptible de réussir. Je dois avouer que leurs paroles sont des plus censées. Mon sang est bleu, noble, je suis le roi, toutes les conditions jouent en ma faveur.
Étant pressé d'en finir, je me recentre sur les derniers mots de Svalios.
— Mon précédent voyage a été fructueux.
C'est le moins que l'on puisse dire…
— Onze Elfes ont été capturés derrière le royaume des Fées. Celles-ci ont juré ne pas en avoir connaissance.
— Penses-tu qu'elles soient sincères ? intervient Eliános.
— Évidemment. Je n'ai aucune raison de douter.
Les autres conseillers écoutent attentivement sans s'immiscer dans notre échange, patientant certainement de savoir où cela va nous mener.
— Tu avances doucement, mais...
Un raclement de gorge nous interrompt, Bronweg s'interpose.
Ce Sylphe acariâtre et avec des manières de diriger bien à lui, d'une autre époque, d'un autre temps. Je sens d'avance que ses prochains mots ne vont pas me plaire et me pousseront à évacuer ma frustration, en assouvissant mes pulsions.
— Du temps de vos aïeuls, leurs efforts étaient bien plus convaincants ! Tout comme l’ancien roi, Thélos, ils se battaient pour conserver notre grandeur.
Chaque personne autour de la table, porte la paume contre son cœur, avant d'énoncer « paix à leur âme ».
Quel moyen de défense utiliser après une telle déclaration ? Les esclaves arrivaient en surnombre, à tel point que le dortoir, prévu pour les loger et conçu pour prévenir toutes fuites, était devenu trop étroit.
Alors qu'à ce jour, c'est à peine si nous en détenons une quarantaine. Cependant, depuis la Grande Guerre, les choses ont changé.
— Déjà, pour vous, c'est « Votre Majesté » ! lui rappelé-je avec fermeté, sentant dès à présent gravir une chaleur en moi, ne me laissant pas le choix que d'abréger, et fuir cette pièce le plus rapidement possible, avant que ça ne démarre.
Là, ici et maintenant !
— Ensuite, vous oubliez que le peuple des Elfes s'est amoindri. Les naissances se font de plus en plus rares, tant ils craignent qu'on leur retire leurs progénitures. De cinq enfants par famille, c'est tout juste s'ils osent maintenant en faire un seul !
Bronweg est obligé de reconnaître que j'ai raison et cela ne semble vraiment pas lui plaire. Néanmoins, il essaie de poursuivre.
— Très bien, Votre Majesté, débute-t-il en prononçant mon titre avec un dégoût évident.
Seulement, je n'ai pas l'intention de le laisser continuer et souhaite rapidement achever cette réunion. Mes poings sont serrés. Chaque cellule de mon corps entre en ébullition et aucun d'eux n'est prêt à voir ce qui va forcément suivre, si je ne m'éclipse pas dans les prochaines minutes...
— Nous en avons terminé pour aujourd'hui, j'ai un royaume à diriger. Sur ce, messieurs les conseillers, je me retire !
Sans plus de cérémonie, Yiorgos se lève en même temps et lorsque nous sommes tous deux hors de portées, des oreilles indiscrètes de certains, il m'interroge.
— Qu'as-tu envisagé pour la suite ?
Mon regard croisant le sien, je réponds.
— Me détendre de la meilleure façon qui soit. J'ai besoin d'évacuer, avant d'enfoncer la tête de Bronweg dans le champ de domières !
Mais Yiorgos n'est pas dupe et pose avec compassion, sa main sur mon épaule.
— C'est là, hein ?
Résigné, j'acquiesce...

La Prophétie - Tome 1 - Les Quatres RoyaumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant