Elros.
Bientôt arrive le jour tant regretté par toutes familles, de mon peuple, et cela depuis des siècles. Qui pourtant devrait être un jour de fête pour d'autres royaumes.
Celui de mes vingt-deux ans.
Jusqu'à présent, ça n'avait jamais posé de problème. J'avais le droit à un gâteau, un cadeau, toujours quelque chose qui me tenait à cœur et me reliait à la nature. Mais lorsque cet âge fatidique arrive, chaque parent commence à stresser. Certains désertent même notre royaume afin de conserver leur liberté.
Pour le moment, mon père n’a pas vraiment l'air de s'en inquiéter. Cela ne peut qu’être une impression. Après tout, je sais qu’il n'est pas du genre à nous montrer ses émotions.
Mais, ce n’est pas pour autant que je compte changer mes habitudes et encore moins pour faire plaisir à mon cher paternel.
Dès le lever du soleil, je me réveille. Aujourd’hui est un jour splendide. La lumière m'éblouit dès que je mets le pied dehors, je tends mon visage vers le ciel et profite de ce bain de soleil qui vient caresser ma peau.
J’entends du bruit venant de la pièce principale de notre petite chaumière, me retourne et vois mon père préparer le petit déjeuner. Sur la table, la carafe remplie de lait frais m'indique qu'il vient sûrement de traire notre vache, le seul véritable bien que nous pouvions nous permettre, du temps où ma mère était encore de ce monde.
Il me fait signe de m'asseoir, le sourire aux lèvres que je lui retourne. Au fond, une porte se fait entendre. Ma sœur arrive tout de suite après et me saute dans les bras. Je la pose sur mes genoux et l’embrasse sur sa petite joue où des marques de son cousin s’y trouvent encore.
Elle va s’installer sur la chaise d’à côté.
Mon père dépose les tartines qu'il a soigneusement préparées avec de la confiture de fraise du jardin.
Le ciel est bien dégagé, pas un seul nuage à l'horizon. Pendant qu'il part travailler au champ de fleurs à l’extérieur du royaume et ma sœur à l’école des Elfes, je décide d’aller faire ma promenade matinale dans la forêt juste à quelques mètres de la maison.
La vue, de ce qui se trouve dans ces bois, est un plaisir pour mes yeux. Mes pupilles se dilatent, rien qu’à la vue de ce Quercus nigra, un arbre de plusieurs siècles, qui trône au centre de cette boiserie. Je m'allonge contre un autre en face, le contemple, cela pendant des heures et commence à rêver. Il est si majestueux avec ces feuilles ressemblant à des gouttes d’eau. Celles-ci ont la particularité de pouvoir aider à la cicatrisation et se conserve longtemps, pourvu qu’elles ne soient pas exposées au soleil.
De retour chez moi, je sens la bonne odeur de ragoût venant de la petite cuisine. Je me dirige vers mon père pour lui proposer mon aide afin de préparer la table du déjeuner. Tout est prêt. Tous les midis, je mange en tête à tête avec lui. Mais étrangement... il ne me parle pas et pire il évite même de me regarder. Mais que lui arrive-t-il ? Jamais il ne fait ça, il est même le premier à me parler de ces champs « d’anconia », fleurs dotées de vertus, spéciales.
— Tout va bien ? lui demandé-je inquiet.
— Euh… oui, pourquoi cette question ? me répond-il en relevant brusquement sa tête de son assiette.
— Tu n'es pas comme d’habitude, je m’attendais à ce que tu me racontes ta matinée, ainsi que tu me dises comment vont les fleurs.
— Ce n’est rien, sûrement un peu de fatigue, me dit-il en rabaissant sa tête vers son assiette et en se remettant à manger.
Je le sais bien qu’il ne me raconte que des bêtises, il a sûrement ses raisons. Tout cela à cause des satanés et cruels Sylphes, qui ne s’en prennent qu’à notre peuple. Plus particulièrement aux jeunes d’environ mon âge.
— Penses-tu que cette année on aura assez d’anconia ? questionné-je en lui posant ma main sur la sienne.
— On a de plus en plus de mal à en semer, car tu vois avec tous les départs précipités de familles entières. On est en manque d'effectif, m'annonce-t-il d’une voix tremblante.
— Oui, je comprends, tu sais, si tu m'autorisais à y travailler. Je le ferais ! D’ailleurs, je n’ai jamais compris pourquoi tu n’as jamais voulu que j’y aille.
— Je l’ignore moi-même… Et fils, écoute-moi bien. Dans la vie, il y a des choses que moi-même je ne peux te dire, car je n’en connais pas les raisons. La seule chose que je peux t’apprendre est que c’était la volonté de ta mère ! m’affirme-t-il, une larme coulant le long de sa joue, venant s’échouant sur nos deux mains.
Je trouve bien triste que mon royaume perde peu à peu ses sujets. Pourquoi en plus ? Je vais vous le dire moi, mais pas de la même façon que les autres de mon peuple. Une simple et pitoyable légende. Cela fait des siècles déjà qu’elle nous cause préjudice, nous enlève nos jeunes de plus de vingt et un ans et pour finir nous oblige à fuir notre chez nous. De plus, nos chères plantations s'amoindrissent, cela nuit à la santé de certains d'entre nous, étant donné que certaines fleurs ont des particularités de guérison.
Le pire est que je me sens démuni face à tout ça, comme j’aimerais tant pouvoir faire quelque chose. Un jour peut-être tout cela changera pour le bien de tous, autant que les royaumes, tous confondus et les Ragnors.
Que de rêverie, comme mon père me dirait. Mais bon, c’est bien plus que de la rêverie pour moi !
Tout en étant dans mes pensées, je me dirige vers la fontaine de l’espoir, au centre de notre belle place faite de pavé argenté. Je m’avance sur l’un de ses deux ponts en marbre étincelant. Arrivé en son centre, je vois au loin mon père à genoux, les mains jointes dans l’eau claire du bassin.
En le voyant ainsi, une larme roule sur ma joue, puis une autre… Je n’ose pas m’avancer, de peur de l'interrompre et l’empêcher de se ressourcer.
Je décide de faire demi-tour, mais ce que j’observe et entends me fait de la peine. Entre les regards abattus des habitants en me voyant et leur chuchotement concernant mon âge… C’en est trop !
Mon cœur saigne… Tant de désespoir, de tristesse, de pitié autour de moi. Je ressens comme un besoin de m’isoler. Je décide de me rendre à mon arbre de paix.
Je rentre dans la forêt et marche la tête baissée. Je vais, cette fois, me ressourcer. Je me mets face à lui et place mes paumes sur l’écorce, avant d’y déposer mon front. Je ferme les yeux et fais appel à la paix intérieure de l’arbre. Je voudrais tant rendre cette paix concrète, que tous ont connu un jour, des siècles auparavant.
J’entends un bruit sourd venant du ciel, je ne me décolle pas du semi-caduc et sens comme deux ailes m’envelopper. Je me retourne délicatement et me trouve face au flanc de mon dragon ; Chomry « protecteur des faibles ». Je viens me loger entre l’une de ses ailes, il me couvre de l’autre.
Après cet échange si chaleureux, j'aperçois, au loin, un autre jeune, d'environ mon âge me semble-t-il, car je ne le connais que de vue. Il ne paraît pas m'avoir remarqué, trop accaparé par son dragon. Discrètement, je m'approche un peu, Chomry sur les talons. Grâce à son pas lourd, l'Elfe doit certainement nous entendre, cependant, il ne se détourne pas de sa tâche.
Il lui demande ensuite de baisser la tête à son niveau, ce que son Ragnor fait gracieusement. Puis il pose sa main sur le haut de son museau.
Peu à peu, je comprends ce que signifie ce geste et tourne mon regard vers mon propre Ragnor, une seconde. Le cœur devenant progressivement douloureux.
— Je te libère de notre lien magique, annonce celui qui pense sauver son ami, avec une pointe d'amertume et confirmant ainsi mes doutes.
Une lumière sort de son front ainsi que de la paume de sa main, la marque, bien visible avant l'échange, disparaît peu à peu.
Sous mes yeux, les deux protagonistes sont de plus en plus malheureux. Le jeune Elfe pleure à chaudes larmes, alors que le dragon ne désire que s'accrocher, ne pas perdre un maître ayant été si bon avec lui durant de nombreuses années. Sa gueule féroce tente d'accrocher les vêtements, mais il est repoussé, encore, encore, et encore...
— Va-t’en ! hurle, à s'en arracher les poumons, le pauvre maître en tombant à genoux, emporté par les sanglots.
N'étant pas capable de supporter la souffrance des autres, je m'éloigne, Chomry à mes côtés. Mon esprit se livre une bataille. Suis-je censé agir de même ?
Il n'y a qu'une personne apte à répondre à cette question, mais va-t-il comprendre ? Va-t-il se sentir rejeté ?
Pivotant dans sa direction, j'entame le même geste que le malheureux cinq minutes plus tôt et patiente.
Je ne sais ce que j'attends, un signe, peut-être, m'indiquant que je fais le bon choix.
Et il vient.
Une étincelle d'un blanc pur apparaît. Chomry, affolé, rompt notre contact et se met à secouer la tête de droite à gauche.
Égoïstement, je suis soulagé de conserver mon lien avec cet être, que j'aime comme s'il était de ma propre famille.
Il m'a rendu de nombreux services, a su me réconforter lorsque j'en avais besoin. J'aurais sincèrement beaucoup de mal à vivre sans lui.
Chomry, comme toujours, assimile le chemin de mes pensées et s’allonge de tout son être autour de l’arbre. De son aile libre, il me la place derrière mon dos, ce qui me rappelle ma grosse cicatrice qui me tiraille encore par moment. Il me pousse légèrement et je comprends qu’il veut que je m’allonge tout contre lui, comme bien souvent, nous le faisons. Comme si me dire au revoir sans effacer la marque, nous permettra de nous retrouver.
Finalement, je m’endors dans le creux de son aile.
Lorsque je me réveille, le soleil est déjà bien bas, le jour a déjà commencé à se coucher. Je me lève délicatement pour ne pas effrayer Chomry. Il relève la tête suivie de son corps, vient frôler mon visage avec sa gueule. Puis de tout son élan, s’envole, mes larmes coulent en pensant que c'est certainement la dernière fois que je le vois... Je le suis du regard jusqu’à le voir disparaître au loin, sans pouvoir dire si un jour nos chemins se croiseront à nouveau...
Je me souviens, comme si c’était hier, du premier jour où je t’ai rencontré, mon cher Chomry. Parmi tant d’autres Ragnors de terre, toi seul es venu à moi.
Quand je pense à comment le royaume des Sylphes se lie à leurs Ragnors, cela me répugne. Ils se les approprient toujours dans l'œuf, dès leur sortie, ils leur imposent la marque, ne donnant pas le choix à ces derniers…
Je retourne à ma chaumière, le dîner est déjà posé sur la table. Jetant un coup d'œil à mon père, je remarque qu’il n’est pas en colère, mais a l’air désespéré. Je me sens si démuni face à son désarroi. Puis je m’excuse de mon retard, qu’il ne relève pas.
— Tout va bien père ? osé-je lui demander.
— Oui, mangeons maintenant ! me répond-il d’un ton sec.
Je suis à peine assis que ma petite sœur commence son récit de sa journée, mais ses paroles ne sont pas comme celles de tous les soirs. Non, bien au contraire, elles sont plus angoissantes que jamais. Elle commence par nous parler de ses camarades, de la façon dont ils la regardaient. S’ils ont fait comme pour moi sur la place, je m’imagine bien que pour elle, cela à dû être plus dur à supporter.
— Père, est-ce vrai que nous devrions bientôt partir, fuir ? demande-t-elle avec de l'inquiétude dans sa voix.
Il la regarde, lui sourit par convenance ou également pour nous rassurer.
— J’en ai bien peur, ma chérie.
Suite à la réponse qu’il vient de prononcer, je ne peux en supporter plus ! Je me lève sans dire mot et file me coucher.
Le lendemain matin, pour la première fois de ma vie, je décide de désobéir à mon père. C’est son comportement qui m’oblige à le faire. Dès qu’il est parti travailler aux champs, je prends à mon tour la même direction. Je veux savoir, j’en ai besoin. Arrivé là-bas, je me cache derrière un arbre, qui se trouve sur le côté de la plantation et observe. Ce que je peux y voir m'attriste, il est isolé des autres.
Mais pourquoi ?
Puis, je remarque encore le même regard dans leurs yeux, ainsi que leurs chuchotements. Je ne peux pas laisser faire ça et au risque de me faire gronder, je me lance pour m’avancer vers tous ces Elfes. Mais c’est sans compter sur mon père qui m’attrape par le bras et m’entraîne jusqu'à notre maisonnette, oubliant complètement la raison de sa présence en ce lieu : récolter les anconias.
Plus remonté que jamais, il commence à me passer un savon.
Tout à coup, la porte d'entrée, que j’avais préalablement fermée, s’ouvre avec fracas. Un jeune du village, essoufflé, a du mal à prononcer un mot, se trouve dans l’encadrement. Je lui propose de s'asseoir et lui apporte un verre d’eau fraîche.
— Merci, me dit-il après avoir réussi à reprendre sa respiration.
— Maintenant, peux-tu me dire ce qu'il se passe et pourquoi tu rentres chez moi de cette façon ? balance mon père, en regardant le jeune homme apeuré.
— Je suis désolé pour votre porte, monsieur. Mais j’ai une information extrêmement importante et surtout pour vous, à vous annoncer.
— Pas grave pour la porte, je la récupérerai, mon garçon.
— J’ai bien peur que vous n’en ayez pas le temps. Les éclaireurs, que nous avons envoyés hors du royaume, pour assurer nos arrières, se sont tous fait prendre, à l’exception d’un seul, qui a pu nous prévenir que, dans cinq jours, la garde, ainsi que le roi des Sylphes, seront dans le village.
Je ne peux que constater la crainte de mon paternel, son expression faciale a totalement changé du tout au tout. La veine, du côté droit de son front, est ressortie et prête à exploser…
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La Prophétie - Tome 1 - Les Quatres Royaumes
FantasyAndéos, roi des Sylphes, est assoiffé de pouvoir. S'il obtient l'œuf du Lycanwing, il pourra devenir le maître de tous les royaumes. Seulement, il ne s'attend pas à tomber pour un Elfe... Chassés par les Sylphes, certains Elfes préfèrent fuir. Elro...