Chapitre 5

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Elros.

Voilà, seulement, quelques heures que ma famille est partie me laissant là, seul, pour ma sécurité. Ce que je n'ignore pas, mais ça n'en est pas moins douloureux…
Les fées sont généreuses. Je ne peux que constater leurs efforts pour me réconforter et rester à mes côtés tout en gardant le silence, respectant ma peine. D'ailleurs, je me demande bien pourquoi elles ont accepté de m'aider, cela cache quelque chose, mais quoi ? Je les sais neutres, alors quel intérêt pour elles de risquer de se mettre en guerre avec le pire des royaumes ? Celui connu pour son mépris des autres espèces, se croyant le plus fort. Je trouve ce peuple bien imbu de leurs personnes.
Ma petite boule de poils vient à moi, s'allonge sur mon côté et pose sa tête sur mes jambes, ce qui me sort de mes pensées néfastes. Je lui caresse le haut de sa tête ainsi qu'entre les oreilles.
— Ça te dirait que je te donne un nom ? lui demandé-je, sans vraiment attendre de réponse.
Il remue les oreilles ainsi que ses queues. À croire qu'il assimile le sens de mes paroles, mais je pense que les animaux ne comprennent pas notre langage, je trouverais ça bien trop étrange.
Il me fixe, comme s’il attendait quelque chose.
— Mulan ou non, plutôt Pynamios…
Aucune réaction de sa part, bon commençons par les premiers sons.
— Ab… Ad…
Toujours rien… Je continue d'énumérer tout ce qui me passe par la tête au moins jusqu'à la moitié de notre alphabet.
— Mu… My… une petite réaction se fait sentir. Myp… Myo….
Et là, il glapit. Ah une première piste. Donc il me reste plus qu'à trouver la suite.
— Donc Myo te plaît ? Que dis-tu de Myoti ? Non, bon alors peut-être Myodu ? Toujours pas.
Ça y est, j'ai trouvé !
— Myôbu !
Il se redresse sur ses quatre pattes et me saute dessus, me faisant basculer en arrière. Dos au sol, il vient me lécher la figure.
Après nous être bien amusés, je suis en sueur. Il fait de plus en plus chaud et pour un royaume qui est censé avoir des nuages, je n'en vois pas un seul surplombant le ciel – c'est qu'ils doivent vraiment être plus qu'heureux, si j'en crois ce que l'école nous a appris – il n'y a de visible que ceux sur lesquels semblent reposées des habitations, tout près du sol…
Ils m’observent, toujours, sûrement dans l'attente que je vienne à eux.
Je me lève, Myôbu sur mon côté droit, une des fées s’avance vers moi.
— Te sens-tu mieux ?
— Légèrement… merci.
— La reine voudrait te parler.
Je suis perplexe, pourquoi veut-elle me voir ?
— D’accord, je vous suis, mais est-ce que Myôbu peut m'accompagner ?
— Oui, bien entendu, me répond-elle, le sourire aux lèvres.
Nous rejoignons l’autre fée qui est restée en retrait. Elle tient dans les mains une énorme feuille aussi, voire plus grande, que moi, attachée à l’extrémité de chaque bout par des lianes d’écorce. Elles proviennent du « Coccoloba gigantifolia », que j’ai pu apercevoir non loin de la grande porte.
Les deux fées prennent chacune une liane dans leurs mains et les entourent autour de leur taille fine. Elles s’écartent l’une de l’autre jusqu'à ce que la feuille soit totalement tendue.
— Prends Myôbu sur tes genoux et viens t'asseoir au centre, me dit-elle en me montrant l'endroit de son index.
Je viens déposer mon fessier là où elle me l'a indiqué, mon cœur commence à s'emballer, j’avoue avoir un peu peur. Je ferme les yeux un instant.
Lorsque je les rouvre, elles sont déjà dans les airs. Puis, tout en douceur, je sens mes pieds décoller du sol.
Ne regarde pas en bas !
Oups, trop tard, je n’aurais jamais dû penser à ça, cela me donne envie de le faire et je ne peux  m'empêcher d’y jeter un œil. Ce qui n’a pas dû échapper aux fées, car elles se mettent à tournoyer gracieusement, l’une prenant la place de l’autre et vice versa. Ce qui enroule la feuille tout autour de moi et de Myôbu. Impossible de bouger. Intérieurement, je ressens un soulagement, un sentiment de sécurité. Je profite de ce vol fort agréable, maintenant.
Nous nous dirigeons vers un nuage en forme de couronne de fleurs, je suppose que c’est ici que se trouve le palais.
L’herbe fraîche, sur les hauteurs, apparaît peu à peu devant moi, elle est rayonnante. Jamais je n’en avais vu une aussi splendide. Puis un bâtiment apparaît comme taillé dans le cristal, dont les reflets du soleil se répercutant sur les parois, donnant un effet de glace.  Ça en est même difficile d’en détourner le regard, tellement je suis subjugué par tant de beauté.

Elles me libèrent de la feuille, à quelques centimètres du sol. Je pose les pieds à terre ainsi que Myôbu. Puis dans un ballet féérique, leurs sandales faites avec la « Tropaeolum majus », une plante aux belles feuilles arrondies, pourvues de nervures radiales ainsi que de magnifiques fleurs de couleurs chaudes, se posent délicatement sur l’herbe fraîche.
Je les suis, à travers un long couloir, des portraits encadrés de branches fleuries. Nous arrivons devant une cascade de végétation. Elles se placent chacune de chaque côté, mettent leurs mains en son centre et l'écartent prudemment. Ce qui me laisse une vue splendide, d'une gigantesque salle de marbre blanc. En son bout, je perçois un trône en chêne, majestueux.
Je m'avance suivi des deux Fées. La reine fait son apparition et me somme de la suivre, après avoir fait signe aux autres de rester là.

Nous nous installons autour d'une table, tenue d'un pied central, conçue d’une souche. De la nourriture de toutes sortes est posée sur celle-ci. Les chaises sont tellement moelleuses, l'assise est faite de mousse naturelle, celle qui pousse sur le côté nord des grands arbres.
— Assieds-toi et prends ce que tu veux, nous discuterons en même temps.
Je la regarde, perplexe, une reine qui déjeune avec un simple petit Elfe. Du jamais vu ! Je commence donc à me servir et pour ne pas passer pour un Cyrail, je respecte les convenances. Ce peuple est réputé, autant pour sa sauvagerie à l'écart des autres, que son manque de bienséance…
— Sais-tu de quoi je veux te parler ?
— J’avoue que je n’en ai aucune idée, réponds-je, timidement.
Tout en portant les denrées délicieuses à ma bouche, j’écoute et la regarde attentivement.
— Où as-tu rencontré l’animal, donnant l’impression de ne pas vouloir te quitter ?
— Oh, vous parler de Myôbu. Il nous a sauvé la vie, à ma famille et moi. Lorsque nous traversions la forêt des créatures, un loup nous a attaqués et il s’est interposé.
Je la trouve bien trop absorbée par mon récit. Je commence sincèrement à me poser des questions sur leur réelle neutralité.          
— Votre majesté, puis-je vous poser une question ?
— Bien sûr que tu peux, tu ne crains rien ici, tu sais.
— Connaissez-vous cet animal, de quelle espèce est-il et tout ce qui pourrait le définir ?
Elle me fixe, comme si mon interrogation la surprenait.
— Oui, j’ai bien les réponses, je préférerais que tu le découvres par toi-même.
— Je vous en serais gré, mais pourquoi ne pas me le dire vous-même ?
— Cela pourrait bien te surprendre, à mon avis je pense que rechercher seul, les informations nécessaires, est une manière plus instructive, que de l’entendre de la bouche d’une autre personne.
Je retrouve bien là, la sagesse des Fées, telle qu'elle est décrite dans notre royaume.
Puis, cela me fera passer le temps...
— As-tu fini de manger ?
— Oui et encore merci pour ce repas ainsi que l'accueil que vous me faites.
— Alors, il ne te reste plus qu’à suivre Luna, c’est elle qui sera à tes côtés, tout au long du séjour que tu feras chez nous. Elle te guidera et surtout si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas à faire appel à elle.
— Merci à vous, mais si je puis me permettre, pourquoi tant de privilèges ?
— Tu es désormais notre invité, Elros.
Sur ces mots, elle fait appeler Luna, lui demande de me conduire à la bibliothèque royale et de bien vouloir me donner le livre. 
Je la suis, passant par tant de couloirs aussi magnifiquement décorés les uns que les autres. Cette fois, nous nous arrêtons devant une immense porte en bois, des gravures représentant des Fées, des livres à bordures dorées. Une paume creusée en son centre.
Elle place sa main droite dans ce renfoncement et se recule, puis la porte disparaît d’un coup, comme par magie. La vue me coupe le souffle au point que je n’aie même pas de mots adéquats pour décrire la pièce, tout est si somptueux, à l’égal du reste du palais.
Luna entre, avance de quelques pas, avant de s'apercevoir que je ne la suis pas. Elle se retourne et me sourit.
— Qu'attends-tu ? Allez et reste bien près de moi, car tu pourrais te perdre.
Ces derniers mots me sortent de ma contemplation et je trottine pour la rattraper. Elle m'amène dans un petit salon confortable, m’invite à m’installer, puis elle s'éclipse. 

Je la vois réapparaître avec un bouquin aussi grand que la hauteur de son buste, elle a l’air de peiner à le ramener. Je me lève pour cours à son secours, quand je la libère du livre, elle me remercie et me sourit légèrement, je la sens gênée par mon geste.
Je le pose doucement sur la table du petit salon, tant il semble ancien, des traces de vieillissement ornent les contours. Les bords de sa couverture sont ornés d’or et seul un titre y est inscrit.
« Les créatures. »
Je m'extasie tellement devant le contenu de ce livre millénaire que j'en oublie Luna.
Je l'ouvre, commence à le feuilleter, vois toutes sortes de créatures, mais elles restent sans intérêt pour moi, en ce moment. Jusqu’à ce que je tombe sur une sublime bête. Je m'arrête sur son image, lis son contenu.
« Le cheval ailé.
Un symbole de quête lié à l’inconscient, aux instincts et à l’intuition, dont les ailes symbolisent « le pouvoir transformateur et transcendant de l’imagination ». »
Je ne me souviens pas en avoir déjà croisé un, un jour…
Trop intéressé, je poursuis :
« Il est associé tout naturellement au ciel ainsi qu’à l’élément d’air et est généralement lié au royaume des Fées.
Concernant sa morphologie plutôt étrange, il joint la symbolique du cheval classique à celle de l’oiseau, un animal de légèreté de sa course, la richesse de son souffle, ainsi qu’à la foudre et à l’élévation spirituelle. »
Étant donné que le texte s'arrête ici, je tourne la page pour trouver autre chose, mais, à mon grand désarroi, il n'y a rien de plus…
— Merci, pour cette douce lecture.
Surpris, je lève le nez du livre et tourne la tête en direction de Luna. Sans m’en rendre compte, j’ai lu à voix haute. Je sens mes joues s’empourprer.
— Euh… De rien…
Fixant à nouveau mon attention sur les pages, je soulève ensuite le livre et le montre à la fée présente, gardant bien mes doigts entre, afin de ne pas me perdre.
— Ils existent ? Les chevaux ailés, ils existent vraiment ?
Pour seule réponse, elle me sourit et fait oui de la tête.
Tout en lui rendant son sourire, je replonge mon nez dans le livre et tourne encore et encore les pages. La vue des autres créatures n'a rien à voir avec la beauté ou l'élégance de ce cheval ailé, qui est un plaisir pour les yeux. Puis, lorsque j’en tourne une autre...
— Je te conseille de le lire, je pense qu'il pourrait t'intéresser.
— Cela ne te dérange pas si je lis à haute voix ?
— Non, du tout. Au contraire, ta voix est si douce à entendre.
« La biche de Cérynie.
Bien que femelles et donc par nature dépourvues de bois, ces animaux ont des cornes de glace. »
Des cornes de glaces ! Ce doit être vraiment étrange…
Je m'interroge sur leur texture, la qualité, le touché. Est-ce qu'elles peuvent fondre sous la chaleur extrême du soleil ?
« Des sabots étincelants tracent un chemin de lumière sur leur passage, lui donnant une rapidité ainsi qu’une endurance hors du commun.
Aussi insaisissable que l’air, imbattable à la course. »
Un nouvel animal hors norme et impressionnant. Je replonge dans ma lecture pour découvrir la dernière phrase, la plus belle de toutes.
« Elles symbolisent la purification. »
— Sortant de ta bouche, je ne m’en lasse pas du tout, c’est significatif.
— Merci, réponds-je, sentant mes joues rougir, un peu plus.
Je me remets à ce pour quoi on m'a fait amener ici. Je regarde Myôbu, assis à mes côtés, lui fais quelques caresses derrière les oreilles, ses queues remuent à mon contact.
Voilà, la page que je cherche depuis le début, je l’ai enfin trouvée !
« Le Kitsune.
Cette créature magique à la fois mystérieuse et fascinante peut avoir jusqu’à neuf queues. Elle pousse une part une, tous les cent ans. »
— Tu entends Myôbu, tu vas encore en avoir d'autres qui vont t'embellir, je me demande quand la prochaine te poussera. J’aimerais tant pouvoir le voir une fois.
« Ils sont très susceptibles et rancuniers, en revanche, ils se révèlent très fidèles et sincères. C’est une âme juste qui apporte de bonnes choses si on la respecte. Elle peut contrôler les esprits des autres animaux. »
— Alors voilà comment tu as fait fuir ce loup, au moins deux fois plus gros que toi et plus féroce.
« Après leur mort, les renards magiques ont le choix de sacrifier une de leur queue, pour revenir à la vie, si leur mission n’est pas finie ou s'ils se transforment en esprit.
Il existe deux types de kitsune :
- Le Myôbu : ce sont des kitsunes bienveillants liés à l’élément céleste et à la divinité. Leur rencontre est signe de bon présage. »
Je comprends mieux pourquoi il m'a fait lui donner ce nom, c’était pour lui une façon de me dire qui il est réellement.
« - Le Nogitsune : ils sont particulièrement espiègles, mais pas forcément mal intentionnés… »

Cet ouvrage était tellement grand et long, que Luna m'a autorisé à l'emporter, dans la pièce me servant de chambre. Après l'avoir dévoré durant des heures, puis l'avoir refermé, je me sens las…
Chaque minute qui passe et ce, malgré la gentillesse, la prévenance et la présence des Fées, ma famille me manque. Myôbu a beau poser sa tête sur mes genoux, m’entourer de ses cinq queues pour me réconforter, je ne m’en sens pas moins morose.
Je songe à partir, comme un besoin de retrouver les miens, de les prendre dans mes bras et surtout de les savoir en sécurité.

Les jours se suivent, ma mélancolie ne s’en est pas allée et s'est au contraire amplifiée. Je m’en vais de ce pas en parler avec la reine. Elle me le déconseille en m'annonçant « le monde n'est pas sûr pour un jeune homme de votre âge… »

La Prophétie - Tome 1 - Les Quatres RoyaumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant