Chapitre 6

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Andéos.

D'un sifflement, Aptéas se courbe et je grimpe sur son dos pendant qu'il décolle sans que je ne me sois stabilisé. À mes côtés, mes hommes, aussi réactifs que moi, survolent la zone et récupèrent les rebelles qui peuvent encore l'être. Par chance pour les Elfes, il n'y avait ni femme ni enfant.
Ils ont au moins eu l'intelligence de ne pas les mettre en danger… pensé-je, tout en veillant au bon déroulement.
De toute part, je vois mes gardes attraper des survivants, les poser sur leur dragon, choisissant de survivre. Même si leur avenir est incertain auprès des Sylphes, la mort, qui les attend en bas, le corps dévoré par le liquide brûlant, n'a rien d'attrayant.
Au détour d'une immense masse rocheuse, je remarque Thódoros, mon second lieutenant, en train de retenir autant que possible, un jeune du clan adverse. Celui-ci se débat tant qu'il peut, me donnant l'impression que condamner son âme, dans cet enfer, est préférable à une vie de servitude imprévisible, inconnue et probablement menaçante.
Thódoros le maintient par le poignet, mais la transpiration, au vu du climat et du contexte, rend la tâche difficile, presque impossible. L'Elfe lui glisse doucement entre les doigts et celui-ci ne peut rien faire de plus pour le retenir, cédant sous la pression de ses muscles. Le possible élu chute sur moins de deux mètres pour terminer englouti avec quelques-uns de ses compagnons de fortune.
Des cris de terreur retentissent non loin de moi, me détournant de la confusion régnant sur le terrain.
Un coup dans le flanc de mon Ragnor,  j'amorce une légère descente, me rapprochant bien trop près. Si près que je peux sentir la chaleur cuire ma peau. Mon index contre mon front, pour protéger au mieux mes rétines, je scanne la foule en détresse et finis par apercevoir un petit garçon. Difficile de lui donner un âge dans ce chaos, cependant, il ne doit pas avoir plus de six ou sept ans.
Pourquoi un gamin se retrouve-t-il dans un tel lieu de désolation !?
Un flot de lave, réuni en un cercle, autour de ses petits pieds qu'il serre l'un contre l'autre, dans le moindre espoir de se sauver.
Je ne peux rester de glace face à une telle scène et ordonne à Aptéas de le rejoindre. La substance n'étant pas loin de l'atteindre, je crains de ne pas y arriver à temps. Mon buste bascule sur le côté, tenant fermement d'une main le harnais, puis de l'autre, je saisis le vêtement de l'enfant en serrant fort mes doigts.
Un coup d'œil au sol m'indique que ce n'est pas passé loin. Son mince refuge vient d'être totalement recouvert !
Comme il est toujours dans une situation précaire, jouant de mes muscles fins, je le balance afin que son dos se colle contre mon torse.
— Tiens ça ! ordonné-je en lui tendant la lanière.
De ses petits bras, il s'y accroche, comme si sa vie en dépendait. Et c'est le cas…
Sa tête se penche sur le côté, détaillant ce qu'il voit. Il ne semble pas pleurer, pourtant, je peux distinguer de l'humidité sur ses joues un peu creuses.
— Que cherches-tu, gamin ?
Malgré ma voix sèche, le gosse ne paraît pas me craindre.
— Mon grand frère… il est là…
— Tu es trop optimiste !
— Opti quoi ? demande-t-il en fronçant les sourcils.
Je soupire d'agacement.
— Rien…
De là où nous sommes, je distingue parfaitement des formes emportées par la lave. Il est plus que probable que sa famille ait été brûlée, à moins qu'il ne soit avec l'un de mes hommes…
— Faut aller le chercher, il n'aime pas que je m'éloigne…
— Ne t'inquiète pas pour lui ! réponds-je sans douceur. Il est peut-être déjà dans mon royaume.
Ou plutôt consumé et réduit complètement en cendre, comme une partie des leurs, sous nos pieds. Je garde cette réflexion pour moi, ne trouvant pas utile d'effrayer l'enfant.
— Tu crois ? m'interroge-t-il les yeux agrandis d'espoir.
Je hoche la tête pour confirmer. Si je tiens à ce qu'il reste tranquille pour le retour, c'est le meilleur moyen.

Lorsque nous atterrissons dans la cour de mon palais, les dragonniers nous attendent déjà sur place, prêts à emmener les dragons accomplir leur mission.
Pour la plupart, leurs travaux ne se résument pas à nous transporter d'un point à un autre.
Ils nous servent également, les récoltes de champ de domières ne se transportent pas toutes seules. Cette plante nous est très utile pour anesthésier ces grosses bêtes, quand nous devons les capturer. Ils sont aussi suffisamment forts pour porter de lourdes charges. Puis surtout, grâce à eux et aux tests que nous avons établis, nous pourrons plus facilement repérer l'élu.
Celui devant me mener au Lycanwing…
Si au départ, le regard de mes gardes est interloqué, ils reprennent rapidement une expression impassible, en s'apercevant que je suis tourné vers eux. Je descends le môme du dos d'Aptéas et prends la direction du dortoir des esclaves. L'intéressé me suit sans faire d'histoire.
En tournant sur la route pavée, nous sommes stoppés par Yiorgos. Je m'impatiente, tandis qu'il observe le petit Elfe étrangement. Alors que je m'apprête à lui demander la raison de sa venue, il se met à genoux.
— Comment te nommes-tu, petit bonhomme ?
— Élias, s'écrie-t-il fièrement. Tu as vu mon frère ?
Yiorgos fait mine de réfléchir en se grattant le menton, puis lui répond en souriant.
— Je ne crois pas, quel est son nom ?
Jamais je n'aurais imaginé voir, un jour, mon bras droit, ne pas se comporter en brute. Encore moins avec un enfant, qu'il tient toujours à l'écart, et pire, un Elfe !
— Perlias, il est comme moi, mais plus grand.
Bon ! Je ne suis pas né de sang royal pour être la troisième roue du carrosse !
— Yiorgos. Tu voulais quelque chose de précis ?
L'interpellé se redresse, puis sans lâcher l'intrus des yeux, prend la parole.
— Tout est prêt pour 18 h.
Mes sourcils se froncent d'incompréhension. J'ai beau retourner chaque information dans ma tête, rien ne me vient à l'esprit. Une première !
— Ne me dis pas que tu as oublié le quatrième test !?
Force est de constater que oui…
J'acquiesce, sans perdre ma grandeur, après tout, je suis toujours le souverain, même auprès de Yiorgos. Un coup d'œil en direction du ciel et plus précisément, du soleil, m'indique que j'ai encore le temps.
— Il me reste une bonne demi-heure pour me préparer. Peux-tu le gérer ? demandé-je en désignant l'enfant.
Ses traits se crispent un instant, mais comme si rien ne s'était passé, il accepte.
— Vas-y.
À moitié satisfait, sans en comprendre la raison, je tourne les talons cependant, je peux tout de même entendre une partie de leur échange.
— Tu as déjà vu des œufs de dragons d'eau ?
— Non ! On va aller les voir !? s'exclame le gosse, avec une excitation, que je n'ai pas ressentie depuis des lustres, pour une chose aussi insignifiante.

Debout, dans mes appartements principaux, seule pièce impersonnelle pour moi, je me rends dans la salle d'eau en retirant ma tenue que les esclaves ramasseront plus tard.
Dès que je suis à l'intérieur, je constate que Yiorgos avait raison. Même ma baignoire est déjà remplie d'une eau bien chaude et fumante. Exactement comme je l'aime.
Soulevant la jambe droite, j'enfonce mon pied dedans avec satisfaction, regrettant tout de même de ne pouvoir en profiter trop longtemps. Une fois de plus, j'ai des obligations à remplir…
Après m'être savonné, j'utilise la petite cloche, afin que l'un de mes esclaves vienne me rincer. Il y en a toujours un à proximité, peu importe que ça leur plaise ou non.
Aujourd'hui, ce sont deux bruns qui pénètrent dans la salle, munis d'un baquet rempli presque à ras bord. Je me lève, n'ayant aucune honte à me retrouver nu devant eux. Mon corps est parfait, ce serait dommage de ne pas le montrer.
Les deux gardent leurs yeux au sol, tandis que je me rince dans le baquet. S'ils n'ont pas eu échos de mes travers, j'ai sûrement dû leur en faire profiter pour les rendre aussi tremblants en ma présence. Il m'est presque impossible de me souvenir si c'est le cas. Depuis mes dix-neuf ans, âge où j'ai cédé la première fois, il en est tant passé que je suis incapable de faire le compte.
Lorsque j'en ai terminé, ils récupèrent leur objet et s'éclipsent prestement, probablement soulagés de ne pas avoir été utilisés autrement.
Devant mon lit, j'enfile la tenue prévue pour une bonne majorité des évènements, se déroulant dans mon royaume, dont celui de ce soir. L'un des préférés des Sylphes…
Mon pantalon, ainsi que ma tunique de lin, tous deux blancs, cousus de lisières argentées, retombent autant sur mes épaules que mes hanches, avec grâce.
Je quitte ensuite ce lieu pour rejoindre celui que je préfère, le seul ayant une importance à mes yeux. Mes appartements privés. Pour ouvrir la « cérémonie », je vais avoir besoin d'un objet précis, vieux de plusieurs générations, et transmis par mon plus vieil aïeul : l'épée d'Honélos.

L'essentiel en main, je rejoins l'arène principale à 18 h précise. Une fois n'est pas coutume…
Comme Yiorgos me l'a annoncé plus tôt, tout est en place. Le peuple des Sylphes est majoritairement regroupé dans les gradins de pierres. À genoux, afin de ne pas masquer le « spectacle », les esclaves ayant « réussi », obligés d'être présents pour observer la réaction de leurs compatriotes, face à ce qui les attend.
Sous l'arche, l'entrée principale, je m'avance jusqu'à me placer au centre. La foule m'acclame, enfin, les miens m'acclament. Ceux que nous considérons comme des faibles restent stoïques. Du moins, pour le moment…
Rapidement, je vérifie l'emplacement du « sacrifice », en croisant les doigts pour que l'un des testés, dans quelques minutes, résiste. Je garde toujours l'espoir de mettre la main sur celui que je recherche, avant de devoir céder mon trône à un nouvel héritier. Bien qu'il soit peu probable que cela se produise, vue la distance entre Galadriel et moi-même…
Levant les yeux au ciel, commençant à se couvrir, j'envoie une prière secrète à mes ancêtres.
Qu'ils puissent me venir en aide…
— Peuple des Sylphes ! commencé-je d'une voix forte et grave. Elfes ! Certains d'entre vous connaissent déjà les finalistes ayant parfaitement réussi les tests précédents !
Les spectateurs assis lèvent leur poing droit en l'air, lançant un cri rauque à plusieurs reprises. Dès qu'ils se calment, je reprends.
— Nos deux derniers « finalistes » sont prêts à nous offrir un agréable spectacle, annoncé-je en mimant les guillemets.
D'un geste souple, je fais tournoyer l'épée au-dessus de ma tête, avant de la planter dans le sol sableux, marquant ainsi le début des festivités. Puis, je grimpe les marches prévues pour rejoindre ma tour et m'asseoir sur mon siège, près de celui de la reine ayant déjà pris place.
De ma hauteur, j'aperçois au tiers, mes douze conseillers, légèrement plus bas et aux deux tiers Yiorgos…
Pendant une seconde, mes muscles se tendent. Comment se fait-il que mon bras droit ait emmené le gamin ?
— Tout va bien mon cher ?
La demande de mon épouse me sort de mon ébahissement.
— Si, si… tout va bien… 
Je fais mine de me concentrer sur la porte s'ouvrant comme un pont-levis, prévue pour l'arrivée des concurrents. Chacun d'eux est guidé par un garde, car leur vue est cachée par un bandeau noir, pour les positionner devant deux Ragnors de terre. Ceux-ci ont été capturés, grâce à nos champs de domières, spécialement pour cet événement. Ils sont maintenus par des arceaux de bois recouverts d'or rose, réputé pour sa résistance à toute épreuve.
Lorsque mes hommes voient la bannière, portant le symbole de l'eau, s'élever jusqu'à l'embrasure de ma tour, il redonne la visibilité aux Elfes devant eux.
Je me relève afin de leur donner les consignes.
— Pour réussir, vous allez devoir saisir l'arme à vos pieds !
Le regard des participants dévie, remarquant une épée, simple, mais efficace. Leur expression se fige. Ils semblent tétanisés.
— Vous allez devoir tuer un dragon ! Une récompense sera offerte pour la réussite du vainqueur ! Plus de nourritures, des vêtements chauds pour l'hiver, un travail moins difficile ! Il ne tient qu'à vous de l'obtenir !
Au fil de mes mots, j'ai l'impression de voir ces deux Elfes se ratatiner sur eux-mêmes.
— Il n'y a qu'une seule règle, un dragon perdra la vie ce soir !
Tous les deux mètres, une torche s'enflamme dans les gradins, illuminant les lieux et donnant le signal de départ.
Les minutes s'égrènent sans que rien ne se passe. Les deux esclaves se fixent dans le blanc des yeux, se repassant certainement en boucle ma récompense et s'interrogeant pour savoir si elle vaut la peine de perdre toutes leurs croyances, autant que leur intégrité…
L'un d'eux, blond et plus petit que le second, semble avoir une idée en tête. Il se rue sur son arme, déclenchant ainsi la même réaction de survie chez son concurrent, puis il se précipite sur son compagnon de fortune, pour se battre contre lui. J'imagine qu'au vu de sa faiblesse, il devait penser n'avoir aucune chance de réussite.
Son mouvement me prouve qu'il ne peut être celui que je cherche si désespérément, depuis presque une décennie…
Je me concentre sur le second, roux, plus grand et également plus fort. Si au début il était surpris, à présent, il se bat de toutes ses forces et je dois dire, avec une certaine agilité.
Malheureusement, pour lui évidemment, il trébuche et se fait transpercer par la lame affûtée. Sa bouche s'écarte dans un cri muet, alors qu’il rend son dernier souffle. Toujours dans l'esprit de gagner, le blond récupère ensuite son arme, l'essuie sur son vêtement, puis se dirige vers l'animal qui lui était désigné avant de faire de même.
La déception me gagne. Ce n'est toujours pas un de ceux-là !
La frustration augmente peu à peu, prenant tant de place, que je sens le souvenir gravé sur mon visage se mettre à chauffer.
Je quitte au plus vite ma tour, craignant de ne plus pouvoir me contrôler.
Et merde ! Deux fois en une journée ! Si ça continue, je ne vais plus pouvoir tenir le choc…
Je récupère mon épée encore à sa place, annonce le buffet suivi du bal, puis me précipite vers la sortie. Seulement, je suis freiné dans mon élan par mon bras droit, se positionnant en travers de mon chemin. Ce foutu gamin à ses côtés.
— Quoi !? m'exclamé-je avec la sensation de ne pouvoir résister plus longtemps.
Mon intonation brusque fait sursauter le gosse néanmoins, pour le moment, je n'en ai cure.
Le regard de Yiorgos se dirige dans mon dos, durant un instant, avant de répondre.
— Votre Majesté, vous ne participez pas à cette grande soirée ?
Je comprends alors que nous ne sommes pas seuls, sinon il ne s'adresserait pas à moi avec une telle déférence. Je m'approche donc, afin de n'être entendu que de lui.
— Tu n'aurais pas dû le ramener ici ! La place d'un Elfe n'est pas dans une tour, mais à nos pieds !
Ses traits s'étirent sous la colère. Si nous étions au même niveau et qu'il ne devait pas me respecter comme un roi, mais comme un frère, il m'en collerait une.
Peut-être que ce serait ça, la solution finalement. Rester dans les vapes et patienter jusqu'à ce que la crise soit passée…
Si ça se trouve, l'élu vient de mourir dans cette arène, me privant ainsi d’atteindre mon but ultime !
Les contournant, je les laisse là où ils sont.
Mon besoin d'évacuer cette nouvelle pression est devenu plus pressant, plus intense, depuis cette altercation.
Je n'ai qu'une seule chose à faire pour m'en délivrer…

La Prophétie - Tome 1 - Les Quatres RoyaumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant