Chapitre 8

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Andéos.

Aux aurores, je me réveille avec un mal de crâne, bien plus fort que celui des lendemains de cuite. Même la liqueur des Fées ne m'a jamais autant mis à mal…

Le jour de nos dix-neuf ans, mon père nous avait emmenés, Svalios et moi-même, dans la taverne réputée pour cette boisson. Il en existe deux sortes, la violette, faites de jolmina, des fleurs contenant moins de degrés d'alcool, une fois fermentées. Et celle que nous avions essayée pour la première fois, la mulphaé. Le bleu de leurs pétales donne un goût aussi prononcé, brûlant le fond de la gorge. Notre paternel disait que c'était une boisson d'hommes et que le royaume des Fées l'avait créée spécialement pour les Sylphes. Nous n'avions aucun droit de faire l'impasse dessus, surtout moi, car j'étais appelé à monter sur le trône…

Le soleil irrite mes rétines à tel point que je dois tirer les lourds rideaux bordeaux, rien que pour les reposer et apaiser ma douleur.
Les souvenirs de la fin de soirée me reviennent en mémoire, image par image.
Après avoir quitté Yiorgos et le gamin, j'ai embarqué un esclave, se rendant aux dortoirs, ne lui laissant aucun choix.
Comme d'habitude, mon contrôle c’était fait la malle et je l'avais utilisé avant de le jeter hors de mes appartements.
La seule différence était que visiblement celui-ci en redemandait…
Fait totalement nouveau, mais pas dérangeant…
Ensuite, je me terre dans mes appartements privés, pièce où j'ai ouvert les yeux, à peine quelques minutes plus tôt et ai laissé la crise m'emporter vers les cris et la souffrance de mes victimes…

Un coup sur la porte me sort de mes réflexions. Inutile de me demander qui vient me faire chier à une heure pareille !
Las, une paume sur mon front, j'ouvre la porte pour faire face à l'indésirable.
— Qu'est-ce que tu veux Yiorgos ?
Ma voix est basse tant je suis épuisé, mais c'est mon bras droit, l'unique personne devant qui je peux montrer mes faiblesses.
— Laisse-nous entrer…
Nous ? J'abaisse mon regard et c'est à cet instant que je remarque le môme.
Pourquoi l'a-t-il ramené ici ? Mon endroit personnel !
Il n'attend pas ma réponse ni même mon accord, me bouscule pour passer, tenant fermement une petite main dans la sienne.
— Tu fais quoi là !? grondé-je agacé en repoussant le battant.
Il ne faudrait pas qu'un de mes conseillers, gardes ou la reine, aperçoive les intrus dans cette pièce interdite à tous.
Même Yiorgos !
— Et lui !? continué-je en désignant le gamin.
— Lui, comme tu dis à un prénom ! C'est Élias ! Et je veux bien faire l'impasse sur tes propos d'hier soir, si…
Je l’interromps d'une main, avant de la porter à nouveau à ma tête.
— Ne hurle pas…
Son expression se modifie rapidement, passant de l'énervement à l'inquiétude.
— Alors c'était bien à cause de ça.
Je hausse les sourcils et l'observe en arborant un air interrogateur.
— Laisse tomber. J'ai juste l'impression que ça empire…
Il n'y a rien à ajouter. Il a entièrement raison. Néanmoins, je ne peux pas me laisser aller, succomber à ce qui m'attend peut-être. Car si tout ça perdure, si je ne deviens pas le maître de nos royaumes, nos Ragnors, si nous ne trouvons ni l'élu ni l'œuf, serai-je voué à devenir un monstre ? Une bête ? Incapable d'avoir un minimum de contrôle sur mon corps et mon esprit ?
C'est hors de question !
À présent décidé, je m'avance d'un pas ferme et me positionne devant eux.
— Que voulais-tu ? réitéré-je en ignorant sa supposition précédente.
Comprenant que je ne m'éterniserai pas sur le sujet, son corps oblique vers l'enfant. Enfin… Élias.
— Nous avons besoin de quelqu'un pour le garder la journée.
— Pourquoi tu ne le confies pas à un esclave ?
Ses traits se durcissent.
— Ils travaillent ! Tous !
— Tu n'as qu'à en réquisitionner un et partager sa tâche entre les autres.
Ce n'est quand même pas compliqué. Nous avons déjà eu de tels problèmes par le passé et Yiorgos a toujours su gérer. Pourquoi ne fait-il pas de même maintenant ?
— Tu n’es pas sérieux ?
Il se rapproche davantage.
— C'est un enfant ! Il ne peut pas vivre dans les mêmes conditions ! Il a besoin d'un toit sûr, de sécurité. Et tu sais aussi bien que moi que certains des esclaves, ayant accompli le test ou étant passés entre tes mains, sont plus dangereux entre eux !
Encore une fois, il n'a pas tort. Rien que la semaine dernière, trois bagarres avaient éclaté et les gardes s'en étaient occupés prestement, foutant les fauteurs de troubles concernés en cellule.
— Je commence déjà à regretter d'avoir sauvé cet Elfe ! S'il n'y avait pas eu la possibilité qu'il soit l'élu, je l'aurais probablement laissé…
Je m'arrête là, sentant que si je poursuis, ça pourrait franchement dégénérer. Yiorgos, lui, serre les poings si fort que ses jointures blanchissent. Nous n'avons pas peur l'un de l'autre. Si nous devions combattre, je ne parierai ni sur lui ni sur moi…
— À quel moment es-tu devenu un tel enfoiré !?
— J'ai été élevé pour gouverner mon peuple, le garder dans sa grandeur ! Je n'ai pas le droit à l'échec, d'autant plus si je…
Réfléchissant un instant, j'hésite à poursuivre.
— Bref… Prends-en un. Un qui n'a pas encore passé les tests, tu le loges dans une chambre de bonne et tu fais installer une couche pour Élias.
Apparemment, cette réponse paraît lui convenir.
— Il dormira dans ma chambre quand je ne serai pas en mission. C'est surtout pour la journée, de plus, il faut qu'il s'instruise…
— On reparlera de l'instruction plus tard, car il ne peut aller dans nos écoles.
D'un geste, je montre mes oreilles.
— Elles ne passeront pas inaperçues.
Approuvant, il hoche la tête. Plus calmement, nous discutons encore un peu, élaborant les détails. Personne ne doit savoir que l'enfant va séjourner dans le palais, même si c'est au niveau des serviteurs ou à l'étage de Yiorgos. Le même que le mien, enfin, celui de mes appartements personnels.
Encore plus épuisé par cette joute verbale, je m'assieds sur le lit, la tête entre les mains.
Une paume apparaît, sous mes yeux, sur laquelle repose une fiole.
— C'est bien ce que je pense ? questionné-je en m'en emparant.
— À ton avis ?
Je la retourne à plusieurs reprises entre mes doigts avant de l'ouvrir.
— Tu as ça depuis le début et tu ne me le donnes que maintenant ?
Un faible ricanement me parvient.
— J'attendais que tu deviennes raisonnable…
Sans perdre plus de temps, j'avale le contenu, ressentant un effet quasi immédiat.
En effet, le liquide est un mélange de plantes ayant pour but de prévenir et soigner divers maux. Il soigne également les blessures, stoppe les saignements et aide à la cicatrisation. C'est un petit remède miracle préparé habilement par nos herboristes. En général, nous ne l'utilisons qu'à bon escient, afin de ne pas diminuer les réserves inutilement. L'une de ces plantes étant rare et difficile à trouver.
— Merci… lâché-je doucement, reconnaissant de me sentir bien mieux et prêts pour la suite…

En début de matinée, après un petit déjeuner riche et complet, je déboule dans la salle d'entraînement, vêtue de ma tenue de cuir.
D'un coup d'œil, je sais que la quinzaine d'hommes entraînée par moi sont déjà là, attendant leur roi et général. Car je suis aussi le général de mes troupes. Toujours en première ligne, prêt à mourir au combat pour sauver les miens…

Trois nouvelles recrues de vingt ans sont debout, près du mur d'armes, s'interrogeant sûrement sur celle qui leur sera attribuée. Sauf que ce n'est pas de cette manière que je fonctionne. Tout dépendra de leurs capacités, leurs points faibles, ainsi que s'ils seront en attaque ou en défense. Leur arme de prédilection deviendra celle que j'ai choisie.
D'un sifflement aigu, je réunis tout le monde au centre, me plaçant face à eux.
— Delvias, Marpos et Féléthos, approchez-vous !
Les nouveaux obéissent sans discuter.
Ils ont déjà les bases, c'est une bonne chose. Cependant, je vais en attendre bien davantage d'eux.
— Féléthos, tu vas avec Íasonas. Marpos avec Thódoros et Delvias avec moi ! Pour les deux premiers, vous allez suivre toutes les directives des deux lieutenants. Quant à toi, commencé-je en dirigeant mon regard en direction du troisième.
Je m'avance vers le mur recouvert d'armes en tout genre, et m'empare de celle qui m'est attitrée. Ma lame est taillée dans un diamant brut, contrairement aux autres moulées dans de l'argent fondu. Le manche est sec, tenant parfaitement dans ma main. Le symbole de l'eau marque la garde dans un dessin gravé et rempli d'or blanc.
Tous savent qu'elle m'appartient, même Svalios, ayant échoué, ne se permettrait pas de poser les doigts dessus. Son emplacement, légèrement à l'écart des autres, est clairement un message, autant que la reproduction de notre élément, assortie du motif de notre royauté en son cœur.
Mon arme bien en main, je pivote avec fierté pour faire face à mes hommes.
— À présent, saisissez chacun une épée ! ordonné-je. Delvias, avec moi !
Le jeune Sylphe obtempère, les yeux emplis d'une envie d'apprendre.
— En position ! éructé-je en me mettant en garde, la pointe aiguisée à peine à moins d'un mètre de son abdomen.
Delvias exécute mes gestes presque à la perfection. Il se calque sur le moindre de mes mouvements de bras, parant chacune de mes attaques. Son seul problème, il s'essouffle rapidement, l'obligeant à demander grâce au bout d'une vingtaine de minutes.
Lorsque ma lame frôle sa gorge à chacune de ses inspirations effrénées, je la lui accorde avant de le féliciter pour ce début prometteur.
— Votre Majesté, les Ragnors vous attendent sur le terrain, m'informe le dragonnier le plus âgé du royaume.
J'indique à tous de sortir et en effet, dix-sept dragons sont placés à des endroits stratégiques afin de grimper, décoller et apprendre à se battre dans les airs.
— Prenez-en un, n'importe lequel. Avant de grimper, vous allez tout d'abord le maîtriser. Il doit comprendre qui est le maître !
En général, nous marquons nos Ragnors dès leur éclosion de l'œuf, les liant ainsi à une seule personne. De par ce lien, nous devons être capables de leur imposer notre volonté, sans qu'ils ne puissent résister. Le but d'aujourd'hui est de réussir la même chose sans la marque.
— En temps de guerre, si vous n'avez plus votre dragon et que voler est la seule issue possible, vous devrez vous l'approprier ! Le prendre par les rennes et ne lui laisser aucun choix.
D'un pas leste, je passe devant Aptéas, l'ignorant, puis m'arrête face à Reptos, celui de Svalios. Si ce dernier n'est pas présent, il sait que j'utilise son Ragnor à des fins « éducatives ».
— Majoritairement, tous ceux que vous rencontrerez auront déjà un maître.
D'un regard ferme, je croise celui de Reptos, ne le lâche pas.
— Vous devez asseoir votre pouvoir, votre domination sur eux !
Ma voix devient plus forte, plus autoritaire.
— Il doit sentir que vous n'avez pas peur ! Que c'est vous qui commandez !
Je rapproche ma tête de celle de l'animal, sans le quitter des yeux.
— Quand il aura compris ça, vous pourrez obtenir de lui tout ce que vous voulez !
De l'index, je le pointe avant d'indiquer fermement le sol.
La gueule de Reptos s'abaisse peu à peu, me fuyant, se soumettant. Je pivote sur moi-même et observe la réaction de mes hommes, surtout celle des nouvelles recrues. Ils semblent en admiration devant ce qu'ils considèrent comme un exploit. Pourtant ce n'en est pas un, il suffit juste d'avoir de la poigne, la volonté de faire plier ces bêtes, de plus de deux mètres de hauteur.
— À vous de jouer, les informé-je.
Chacun d'eux se place face à un Ragnor et tente, comme ils m'ont vu faire précédemment, de reproduire mes gestes. Si certains réussissent assez vite, tels que Delvias ou Féléthos, pour d'autres, en revanche, comme Marpos, c'est compliqué.
Seulement, je n'ai pas de temps à perdre !
— Les retardataires, vous nous rejoindrez, pour ceux qui ont réussi, accrochez votre sangle et grimpez sur votre monture, nous nous retrouvons là-haut ! ordonné-je en désignant le ciel.
Tous ceux mentionnés sortent l'objet – un long morceau de cuir, avec une boucle – de leur poche, obligatoire pour les entraînements. Ils l'enroulent au niveau du poignet et du manche de leur arme, avant de chevaucher le Ragnor.
Je fais de même, nous nous retrouvons dans l'espace entre ciel et terre, au-dessus du terrain.
— Nous allons reproduire ce que nous avons vu dans la salle, à la différence que nous serons en plein vol !
À peine ai-je terminé que les combats commencent. Delvias, lui, s'élance dans ma direction, pointe en avant, me donnant l'impression qu'il pourrait m'embrocher. Je pare son coup, en envoie un en retour qu'il intercepte avec agilité. Nous planons, redescendons plus bas pour essayer de surprendre l'adversaire.

Une bonne demi-heure plus tard, alors que les derniers ont enfin pu asservir leur bête, je nous conduis dans l'arène, ayant été quelque peu modifiée.
À présent, sept grosses colonnes de pierres sans solidifications, de six mètres, sont dressées sur la place, des arches, des obstacles pour leur apprendre à gérer, en plein vol, comment les éviter à grande vitesse. Pour la plupart, ils disposent déjà des bases nécessaires néanmoins, reproduire cet exercice, encore et encore, leur donnera l'expérience adéquate.
J'aurais pu débuter par un parcours simplifié pour les aider à se familiariser avec les lieux cependant, quand ils seront en situation réelle, ils n'auront pas le temps d'appréhender.
Mon père m'a toujours appris que, peu importe ce qu'il se passe, chaque Sylphe se devait d'être fort et puissant. La faiblesse est pour les simples d'esprit, la peur n'empêche pas le danger, donc il faut la vaincre et prendre le dragon par les cornes pour aller au front, même si cela doit nous coûter la vie.
Ses enseignements étaient vraiment difficiles durant mon adolescence, mais sans cela, je ne serais pas devenu l'homme que je suis…

À la fin de cette matinée, nous n'avons à déplorer que deux blessés, deux qui n'ont pas su ralentir à temps, et se sont, l'un après l'autre, planté dans l'une des colonnes, faisant ainsi s'effondrer pierre après pierre.
Heureusement, leurs Ragnors ont ramassé le plus, blessant ainsi mes hommes faiblement.


La Prophétie - Tome 1 - Les Quatres RoyaumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant